Est-ce qu’on a vraiment le choix. Quand on est séropo, qu’on n’est pas déclaré sidéen selon la nouvelle définition du sida, avec 6 T4, une antigénémie P24 positive, une intolérance à l’AZT et une allergie à la ddI, sans parler de celle au Bactrim, oui, a-t-on vraiment le choix des traitements ?
Bien sûr on me parle de ddC, et on me promet d’aller voir les « gens des protocoles » si ça ne marche pas. On me dit de ne surtout pas m’inquiéter, qu’on vit très bien sans T4 et puis j’ai la chance de ne pas avoir – pour le moment – de maladie opportuniste ! Faible consolation, assortie d’un sourire pas très convaincu. Bien sûr, « mon » médecin resta vigilant quand au risque de toxoplasmose, aux mycobactéries atypiques – « en nombre croissant » me précise-t-elle – et puis « il faudra bien continuer à faire vos aérosols et à prendre toutes les vitamines que je vous prescris… ». Mais oui Docteur, bien sûr Docteur, vos désirs sont des ordres Docteur. Alors je me ruine en vitamines – puisqu’elles ne sont pas remboursées par la Sécurité Sociale – j’augmente les doses d’N-acétylcystéine, je dors moins bien la nuit et le matin n’est plus de bon conseil. Et puis je me pose toujours des questions sans réponses : combien mourront avant moi ? Vais-je souffrir ? Serais-je conscient jusqu’au bout ? Retrouverai-je un jour ma libido, le goût et l’envie de faire l’amour avec mon mari ? Vais-je continuer à avoir peur de toucher les autres, ou que les autres me caressent ? À qui pourrais-je me confier, moi qui n’ose plus ? Philippe aura-t-il la force de me suivre jusqu’au bout, et ai-je le droit, la force, l’envie de le lui imposer ? Et qui s’occupera de lui après ? Aurai-je « mon » enterrement politique ? Les labos vont-ils enfin comprendre ce qu’urgence veut dire pour nous ? Vont-ils enfin essayer de trouver des remèdes à nos maladies opportunistes, plutôt que de s’acharner, d’antiviraux inefficaces en antiprotéases – futures – prometteuses ? Vous savez, toutes ces questions qu’on se pose sans pouvoir les formuler vraiment à autrui. Toutes ces questions qui vous gâchent vos derniers jours. Alors on ne comprend pas. On ne comprend plus. On se dit que tout est vain. Tout ce temps précieux à vouloir convaincre des ministres ou leurs conseillers que l’hécatombe est devant nous, qu’il y a urgence. Véritablement urgence ! Et puis, je m’aperçois que j’ai la chance de ne pas être seul. De pouvoir encore marcher, crier et me défendre. Je me rends compte que je suis fier et heureux d’être à Act Up-Paris. D’en être « la présidende ». De pouvoir nous défendre. Au fait, Docteur, si demain vous me proposez des quetsches pour durer encore un peu, je les prendrai, jusqu’au dégoût, parce qu’il faut bien l’avouer ici : j’ai envie de vivre, et pas seulement pour faire chier le monde.