Au ministère de l’Education nationale, on se sent « concerné par le problème du sida » et « solidaire des associations ». Monsieur Castella, conseiller diplomatique et technique de François Bayrou, a enfin reçu Act Up-Paris : il était plus que temps, six mois après sa nomination.
Le préambule de monsieur Castella fut abrupt, autant que déroutant : « Je suis tout prêt à rencontrer des associations, du moment que le dialogue est exempt de toute agressivité et fait montre du respect qui est nécessaire à toute bonne entente. Dès que vos lettres ont été débarrassées du ton très agressif dans lequel elles étaient rédigées, j’ai pris mon téléphone pour fixer une date afin que nous nous rencontrions ». De qui se moque Monsieur Castella ?
La seule lettre courtoise que nous lui ayons écrite était la première, celle où nous lui disions sincèrement combien nous étions content que quelqu’un – que nous espérions enfin compétent – ait été nommé au ministère en remplacement de madame Deroux, et qu’il était urgent que nous nous rencontrions. Devant son silence obstiné, nous avons réitéré notre demande, sur un ton un peu plus dur ; la dernière lettre ne fut rien moins que menaçante, et c’est à celle-là qu’il a répondu ! De deux choses l’une : ou bien monsieur Castella ne sais pas lire, ou bien il s’est faut taper sur les doigts, et « on » lui a intimé l’ordre de recevoir Act Up-Paris avant le zap. Nous préférons croire que cette dernière hypothèse est la bonne (et par là-même, nous lui accordons qu’il sait lire).
M. Castella ne sait rien ; c’est grave. Monsieur Castella a l’impression de savoir ; c’est encore plus grave. Monsieur Castella a des idées (fixes, dit-il) ; elles ne vont pas loin.
La première, c’est son idée « fixe » sur la prévention pour les filles et la prévention pour les garçons. « Eh oui, vous comprenez, les garçons et les filles n’ont pas les mêmes préoccupations ! » C’est vrai, mais il faudrait encore distinguer les garçons pédés des pas pédés, les filles goudous des pas goudous, les garons beurs pédés des garçons beurs pas pédés, etc. Enfin un effort et monsieur Castella aura compris ce qu’est la prévention ciblée ;
Alors, si la première idée fixe n’a pas fonctionné et qu’en dépit de tout son génie, vous avez contracté le virus pendant votre scolarité et que ça vous pose quelques problèmes pour en parler, ou même si vous avez juste des questions à poser, rabattez-vous sur la deuxième idée fixe, du même tabac que le première : allez voir « l’homme-ressource » de votre lycée, l’homme-charismatique (re-dit-il), celui à qui on aime se confier. C’est peut-être le concierge, ou un pion, ou une dame de service, en tout cas pas un spécialiste du sida.
Cela suffit à monsieur Castella puisque selon lui le pourcentage de gens contaminés au lycée « avoisine zéro » : « Les jeunes de 13 à 14 ans ne sont pas concernés par le sida ». Devant des arguments pareils, nous avons été sidérés ; une fois de plus, nous avions l’air de nous inquiéter pour pas grand chose et de faire beaucoup de bruit pour rien. Décidément Castella n’est pas clair : pourquoi nous rencontrer s’il n’y a pas de quoi s’inquiéter ? Et s’il n’y a pas de quoi s’inquiéter, pourquoi ne pas continuer la même politique qu’avant, celle du black-out ? Même chose dans son attitude avec les chefs d’établissement : monsieur Castella affirme qu’il n’est pas possible de forcer des chefs d’établissements à faire de la prévention dans les lycées et les collèges, mais il ajoute que les chefs d’établissement qui rechignent auront des problèmes dans leur avancement ! D’abord c’est impossible et monsieur Castella est malhonnête de nous affirmer cela. Ensuite c’est bien la l’idée de gens plus habitués à la répression qu’au dialogue.
Dans tout ce fratas de bêtises pétri de bonne conscience et de paternalisme, nous avons tout de même pris note de ses engagements :
– Trois films seront prêts en septembre 1994 : deux à destination des enseignants (30 mn « sur la drogue », 52 mn « sur le suicide ») et le dernier tout public : 30 mn sur le sida avec un « langage dur » (sic), sans jugement ni condamnation, un langage vérité (oh my god, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?). Les associations seront consultées sur ce film, avant sa sortie, et chaque établissement secondaire (donc les lycées ET les collèges) possèdera une copie du génial triptyque.
– – Les contenus de la partie des programmes scolaires consacrée à la prévention du sida seront fixés à la rentrée prochaine, et les associations seront consultées sur ces contenus. On y parlera de toxicomanie et d’homosexualité. Mais de l’homosexualité, pas trop, de peur de « heurter » les parents d’élèves : il faut dire que, pour monsieur Castella, tout tourne autour de la « relation affective », et tant qu’à faire de la relation hétérosexuelle (c’est bien connu, les homosexuels ne sont jamais amoureux). On ne baise pas sans amour ! Monsieur Castella a dû sauter sur son petit Robert après notre entretien, pour savoir ce qu’était une backroom, lieu où nous lui avons assuré que, s’il n’y avait pas forcément d’amour, il y avait en tout cas du sexe et de l’émotion.
– Attention : les deux heures annuelles supplémentaires d’éducation sexuelle vont tout de même coûter 22 millions de francs ! (Nous avons compris qu’à ce moment, il nous fallait dire merci, mais nous ne l’avons pas fait).
– Une université d’été est en préparation pour l’été 1994. Elle accueillera 45 stagiaires ( !) issus de la communauté éducative, et dès la rentrée 1994, 6 stages interacadémiques, accueillant chacun 25 personnes, commenceront à tourner pour créer un réseau de formateurs : en tout 195 personnes, sur environ 6000 000 enseignants en France (0,03 % !). bel effort, vraiment. Espérons au moins qu’ils seront reconduis chaque année.
La France est le premier pays d’Europe touché par le sida . Sans l’impulsion des malades eux-mêmes, rien n’y serait fait pour les séropos et les sidéens. On pouvait au moins espérer que l’Etat fasse en sorte de prévenir les jeunes partout où in peut les toucher et leur parler. Mais non, les jeunes devraient tout savoir avant d’aller à l’école, et poser d’emblée les bonnes questions sur des sujets qu’ils ne connaissent pas. Le ministère de l’Education nationale est dirigé par des cancres qui croient tout savoir.