Dans le dernier numéro d’Action, Act Up dénonçait l’inégalité d’accès à la prophylaxie après exposition accidentelle au VIH, entre le personnel soignant et tous les autres.
Chronologie du feuilleton de l’été…
– 24 juin :
Première étape de l’escalade, un encart en page 17 de Libé sous le titre : Exposition au VIH : l’Etat organise l’inégalité des droits. Act Up fait ce que l’Etat ne fait pas : donner des conseils sur la conduite à tenir en cas de rupture de capote ou de partage de seringue, pour essayer de limiter le nombre de nouvelles contaminations.
Nous réclamons l’application immédiate des dispositions de la note 666 du 28 octobre 1996 à toutes les situations d’expositions au VIH, sang et sperme. Nous insistons enfin sur la passivité des pouvoirs publics, de Jean-François Girard en particulier, le directeur général de la Santé. Sa réaction ne se fait pas attendre. L’après-midi même, il téléphone à Act Up-Paris pour s’offusquer de cette attaque mais reconnaît dans le même temps que nous n’avons pas tort. Jean-François Girard est là depuis trop longtemps. Il doit partir. Il est schizophrène.
– 25 juin :
Dans le Monde, et sous le titre : Sida : les trithérapies « du lendemain » ne seront plus réservées au seul personnel de santé, Jean-Yves Nau reprend une bonne partie des arguments que nous avancions la veille et conclut son article sur la publication prochaine de recommandations officielles pour organiser les modalités d’accès à ce traitement. Act Up a déjà gagné : un problème majeur de santé publique, jusqu’alors l’objet de débats restreints et stériles, est enfin soulevé.
Car cela fait plusieurs semaines qu’on étudie le problème au ministère de la Santé. Par une lettre datée du 7 avril, Jean-François Girard avait en effet sollicité la présence d’un certain nombre de membres de la « communauté sida » dans un groupe de travail sur le diagnostic précoce de l’infection VIH : « les missions du groupe de travail seront d’éclairer les pouvoirs publics dans ces choix ».
Parmi les happy few invités à la première réunion le 29 avril : trois membres d’Aides, des représentants d’Arcat-sida, de Sida Info Service, du CRIPS… mais de représentant d’Act Up-Paris, point. Normal, la lettre de Jean-François Girard ne nous avait pas été adressée. Le lendemain de la parution de l’encart dans Libé, le même Jean-François Girard s’empressait d’ailleurs de nous faire savoir que c’était une « grosse connerie » de ne pas vous avoir demandé de participer à ce travail et que pour se racheter, il nous invitait à intégrer le groupe plénier et à participer à toutes les réunions de travail.
– 30 juin :
Cela tombe plutôt bien la première réunion à laquelle nous assistons s’intitule sobrement « risque et prophylaxie ». Sont présents : la Dr Anne Laporte du Réseau National de Santé Publique, la Dr Sophie Matheron et la Pr Elisabeth Bouvet de l’hôpital Bichat, la Dr Meyer de l’INSERM, le Dr Derouineau de Sida Info Service, F. Sordet d’Aides, Dr Suzanne Guglielmi de la division sida de la DGS, Yves Souteyrand de l’ANRS, le Dr Helal du CDAG de Belleville et la Dr CH. Melman de Sida Info Service. Et les deux folles d’Act Up, assez énervées, la vieille Martet et la petite Doustaly. D’emblée, nous rappelons que n’ayant pas été conviées dès l’origine à ce travail, nous ne nous sentirons pas engagées par ces propositions. Nous faisons remarquer à Anne Laporte – qui supporte visiblement mal le respect limité que nous inspire l’école épidémiologique hexagonale – que le questionnaire aux médecins sur leurs attitudes face à la prescription prophylactique ne fait jamais référence au cas mettant en situation des femmes hétérosexuelles dans le cadre d’un rapport vaginal. On sait pourtant que le risque est deux fois plus élevé pour une femme que pour un homme de contracter le virus. Cette omission n’a pas l’air de la choquer : de toute façon, le questionnaire est déjà parti ! Anne Laporte est prudente mais sait aussi, à l’occasion, faire vite pour les conneries.
L’ambiance s’alourdit de minute en minute. Elle devient carrément électrique quand nous émettons la proposition suivante, transcrite au point V du compte-rendu. Ce qui suit en est l’exacte transcription : « L’association Act Up désire que soit porté au compte-rendu de la réunion qu’elle demande à la DGS d’écrire aux médecins traitants des personnes atteintes par le VIH. L’objectif est qu’une information immédiate soit faite aux personnes atteintes par leur médecins traitants sur l’existence d’une prophylaxie possible en cas d’accident de prévention (rupture de préservatif), de même que sur la conduite à tenir si cela intervient. Le groupe discute cette proposition, rappelant qu’il est missionné pour aboutir à des recommandations fin septembre 1997, et que l’état de la réflexion, de même que l’état du consensus dans le groupe plénier ne permettent pas un affichage d’orientation dès maintenant (…) Une discussion pour savoir sur la DGS est « la mieux placée » pour faire cette information, en terme de légitimité, conclut que non. »
Ce que ne mentionne pas le compte-rendu, c’est qu’il existe bien un clivage au sein du groupe. Entre ceux des participants qui prônent l’attentisme et quelques spécialistes, qui estiment que l’on peut appliquer à tous la note 666. Ainsi, Elisabeth Bouvet et Sophie Matheron, de l’hôpital Bichat, considèrent qu’il n’y a pas d’obstacle majeur à l’accès national et généralisé à la procédure permettant la prescription éventuelle d’une prophylaxie. Dans le numéro du juin de Transcriptase, Elisabeth Bouvet écrit : « L’existence en France d’un réseau de médecins prescripteurs référents hospitaliers, habilités à prescrire en urgence une prophylaxie antirétrovirale en cas d’exposition professionnelle au VIH , doit être mise à profit pour répondre dans l’urgence et en permanence à la demande. ».
– 03 juillet :
Nouvelle réunion, celle du groupe plénier cette fois. Sont présents deux représentants d’Aides, des membres de Sida Info Service, du CRIPS ainsi que des médecins et des fonctionnaires de l’administration.
Alors que la discussion traîne sur les moyens d’accompagnement d’une mise à disposition de la prophylaxie, nous remettons sur le tapis notre proposition. Cette fois-ci, nous précisions « qu’il s’agit de demander aux médecins d’informer spontanément leurs patients séropositifs de ce qu’il faut faire en cas d’accident ». Voici les réactions tells que transcrites dans le compte-rendu : « Anne Laporte souligne que « les avis sont très divergents sur l’opportunité de traiter » si l’on en croit les premiers retours de son questionnaire. Le Dr Pialoux n’est pas favorable à la démarche proposée : on ne peut actuellement aller au-delà de la responsabilité médicale à décider dans chaque cas. (…). La Pr Rouzioux demande « qu’on prenne le temps de mener à terme la démarche engagée ». Le Dr Chossegros pense « qu’il est impossible de répondre positivement à la demande ». Le Dr Pierre Marie Girard partage les avis d’A. Laporte et de la Pr Rouzioux. Monsieur Fierro (un sociologue de Toulouse) est le seul à penser que la demande d’Act Up est recevable : la demande du public existe, la rumeur circule, il faut répondre sans plus rationaliser. Il faut arriver à gérer le désordre.
Françoise Bélingard-Deybach, chefe de la division sida de la DGS, s’engage en conclusion à poser la question à Jean-François Girard.
–17 juillet :
François Bélingard-Deybach annonce à Marc Nectar, président d’Act Up-Paris, qu’une initiative « va être prise rapidement pour répondre à notre demande » ,sans en préciser la nature.
– 24 juillet :
Un mois jour pour jour après l’encart d’Act Up dans Libé, Bernard Kouchner écrit aux coordinateurs médicaux des CISIH (Centre d’Information et de Soins sur l’Immunodéficience Humaine) : « La mise en œuvre précoce d’une prophylaxie en cas d’une exposition à un risque de contamination sexuelle telle qu’une rupture de préservatif entre partenaire sérodiscordants ou en cas d’exposition sanguine liée à l’usage de drogue (partage de seringue avec une personne atteinte) est rendue envisageable par les nouvelles données scientifiques et les avancées thérapeutiques. Jusqu’à présent, des recommandations ont porté uniquement sur les accidents professionnels (…). Par analogie, et en cas de risque avéré, elles conduisent à envisager la mise en œuvre d’une prophylaxie antirétroviral précoce dès lors que l’indication est posée ».
Privilégiant l’effet d’annonce aux mesures concrètes, le ministre se contente d’une lettre alors que nous réclamions une informations directe aux médecins suivant des personnes séropositives, pour faire des ces derniers des relais actifs d’information.
– 29 juillet :
Nouvelle réunion, sur l’accompagnement. Aides et Arcat, si silencieuses quand il s’agissait de mettre fin à une inégalité d’accès aux traitements sont soudainement très prolixes et avancent des propositions, comme celles de créer des lieux spécifiques d’accompagnement, de lancer des plans de formation, des appels d’offre, etc. En clair, elles espèrent de nouvelles subventions pour la mise en œuvre d’une mesure qu’elles ne soutenaient pas 3 semaines auparavant. Bel exemple d’opportunisme, pardon d’adaptabilité.
– 01 août :
Kouchner reçoit Act Up-Paris après d’autres associations de lutte contre le sida. Il affirme sa volonté de rendre accessible le dispositif de prophylaxie à tous.
– 12 août :
289 jours se sont écoulés depuis la publication de la note 666. La division sida de la DGS fait parvenir une circulaire à tous les préfets (DGS/DH n° 97/560) « relative au dispositif transitoire de prise en charge des personnes signalant des accidents de prévention avec exposition au risque de transmission du VIH par voie sexuelle ou par partage de seringue ». En ce qui concerne nos demandes – nécessité de l’ouverture 24h/24 d’un CDAG par département (mais trois sur Paris) et mobilisation des services d’urgence – la circulaire reste muette. Elle demande simplement à ce que le dispositif soit organisé localement sans plus de précision. Ce flou et cette absence de mesures concrètes ont des conséquences : plusieurs personnes confrontées à une rupture de capote contactent Act Up pour dénoncer ici l’absence d’information, là le refus de prescription, ou encore le parcours de combattant pour obtenir des conseils et des traitements.