Avant la marche, Libération, toujours à la pointe des mouvements sociaux, annonçait « une Gay pride plus festive que militante ». Distinction idiote, que la rue a, comme chaque année, démenti : 150 000 pédés et lesbiennes qui festoient au grand jour c’est, en soi, politique. Le gouvernement ne s’y est d’ailleurs pas trompé : pour protéger un ordre symbolique déjà bien ébranlé par nos strings, il a censuré une campagne de prévention ciblée qui devait paraître dans la presse le jour même.
Vous n’avez pas pu voir, le 22 juin dans Libération, la campagne de prévention sida initialement prévue par la DGS (Direction générale de la santé) et le CFES (Comité français d’éducation à la santé). Vous ne la verrez pas parce que Lionel Jospin l’a censurée.
Il s’agissait d’une affiche montrant deux hommes s’embrassant, avec pour slogan « il n’y a pas que le sexe dans la vie ». Elle nous avait été présentée par la DGS le 20 mai. Elle devait paraître aujourd’hui dans les pages Gay pride de Libération. Le SIG (Service d’information du Gouvernement, une administration rattachée à Matignon qui avalise les campagnes de communication des différents ministères) a opposé son veto à cette campagne en dernière minute, dix jours avant sa publication. Une réaction d’homophobie instinctive reprise à son compte par le cabinet du Premier ministre, dont l’arbitrage a été sollicité : « l’Etat n’a pas à faire la promotion de l’homosexualité ». Le secrétariat d’Etat à la santé, pourtant signataire de cette campagne, ne veut pas affronter Matignon. La santé publique recule devant l’ordre moral.
Nous savons désormais ce que Lionel Jospin veut dire lorsqu’il évoque « un certain ordre qu’il ne faut pas transgresser ». Il s’agit d’un puritanisme d’Etat identique à celui qui a retardé jusqu’en 1987 les premières campagnes de prévention, la publicité pour les préservatifs et la vente libre de seringues propres, et décimé les minorités.
Aujourd’hui, comme ces prédécesseurs, Lionel Jospin refuse de mener la prévention ciblée en direction des différentes populations et des différentes pratiques qui, seuls, permettrait de descendre sous le seuil des 6 000 contaminations par an.
Aujourd’hui, les masques sont tombés. Si un gouvernement de gauche a peur de montrer des pédés qui s’embrassent un jour de Gay pride, on peut se demander ce que pèsera son engagement à donner des droits à nos couples lorsque les rues seront vides.
Cette affaire n’a pas fini d’embarrasser le gouvernement. Nous avons interpellé Bernard Kouchner sur ce point lors de la conférence de Genève. Un peu troublé (au point de confondre cette campagne de presse avec une campagne TV qui n’a rien à voir), le ministre a dû promettre la parution « prochaine » d’une campagne ciblée dans la presse grand public.