Lors de la Réunion Publique d’Information sur la douleur organisée le 15 octobre,
Annette Blond, représentante de Bernard Kouchner pour son Plan de lutte
contre la douleur et responsable de ce dossier à la DGS, est venue répondre
aux questions de la salle.
Elle reconnaît qu’à ce jour aucun financement spécifique n’a été prévu, notamment pour permettre la formation médicale, élément central de ce plan. Attristée par les témoignages entendus, elle n’a cependant pas voulu se laisser abattre et a estimé que c’était déjà un grand progrès que de pouvoir parler aujourd’hui de la douleur.
Bref, à aucun moment, elle n’a pu donner l’assurance d’une volonté réelle du Secrétariat d’Etat à la Santé de faire appliquer ce plan existait ; ni d’une concrétisation prochaine des généreuses promesses avancées par Bernard Kouchner en décembre 1997.
Question – Jusqu’à présent, il est clair que l’on ne donne pas au personnel médical le moyen de suivre les formations sur la douleur. Actuellement, dans mon service, il manque une infirmière et demie et à peu près deux à trois aides soignants, et c’est à peu près la même chose dans tous les autres services. Les gens n’ont évidemment pas le temps d’aller se former.
Dr Lassonnière – A l’hôpital, pour pouvoir suivre une formation, les soignants doivent d’abord en faire la demande à la surveillante générale du service. Or, je viens, par exemple, de découvrir avec stupéfaction que dans mon service celle-ci bloque l’accès aux formations sur la douleur parce qu’elle considère que cela ne sert à rien. Dans ces conditions, comment peut-on réellement espérer pouvoir travailler sur cet aspect de la prise en charge ?
Annette Blond. – Vous me rapportez des choses particulièrement navrantes et décourageantes, mais cela veut dire qu’il faut continuer notre travail, continuer à informer et à communiquer. Nous ne nous laisserons pas abattre, nous continuerons de répéter les choses dans les administrations. Bien sûr, vous allez me répondre que les malades n’ont pas envie d’attendre 10 ou 15 ans, alors qu’ils sont en droit d’être soignés correctement…
Dr Gasnaud – Il faut quand même rappeler que beaucoup de professionnels de la santé sont sous le coup d’une double contrainte : il faut vous former, il faut accueillir les malades, les accompagner, et dans le même temps on nous dit qu’il faut être efficace, être rentable, faire des économies. Quand une surveillante ne peut pas faire tourner le service, elle bloque les accès à la formation. Ce qui est évident ce sont les contraintes des moyens qui sont insuffisants.
Q – Il est clair qu’il s’agit avant tout de moyens financiers. Allez-vous mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que le personnel soignant puisse suivre des formations ? C’est une vraie question pour laquelle nous voudrions une vraie réponse.
A.B. – Vous savez, je suis ici en tant que représentante de la Direction Générale de la Santé, je ne représente pas la Direction des Hôpitaux. Il y a des budgets formation dans les hôpitaux, et il y a certainement des choix à faire… Le plan douleur fait quand même partie des grands axes de cette année.
Q – Concrètement que comptez-vous mettre en place pour faire évoluer les mentalités du personnel médical ?
A.B. – Nous lançons des instructions que nous voulons essayer d’évaluer. C’est ce que nous faisons depuis quelques mois. Depuis quelques mois, Bernard Kouchner a réouvert le dossier des soins palliatifs. Bien sûr, la douleur ne concerne pas que les soins palliatifs. Je suis d’accord avec vous quand vous me dites que vous n’attendrez pas vingt ans pour être pris correctement en charge. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien faire.
Nous allons essayer d’avancer à la vitesse à laquelle nous pouvons avancer. Nous sommes en 1998. Je crois qu’il y a un certain nombre de choses qui se passent en ce moment dans le domaine de la douleur. D’en parler déjà, c’est quelque chose de primordial, parce qu’il y a dix ou quinze ans on n’en parlait même pas. Ce n’est qu’en 1986 qu’ont émergé les premières réflexions sur la douleur. Vous avez tout à fait raison de me faire remarquer qu’à l’heure actuelle on ne va certainement pas assez vite sur les formations. Mais il y a, en gros, une réglementation pour que les médecins soient formés correctement. Il y a quand même eu quelques séminaires qui se sont mis en place dans les cursus universitaires. Je pourrais moi aussi dire qu’au niveau du ministère de la santé on fait des choses mais que ça ne va jamais servir à rien, pourtant je pense que la parole donnée aux usagers à travers le plan douleur va faire bouger les choses, ou alors de se parler, ça ne sert à rien.
Une série de questions a ensuite porté sur l’absence dans le Plan de lutte contre la douleur de mesures spécifiques visant à mettre un terme au non-traitement de la douleur chez les usagers ou ex-usagers de drogues. Le personnel soignant continue, en effet, de véhiculer la croyance tout à fait obsolète -aux dires mêmes des spécialistes de la substitution et de la réduction des risques- selon laquelle ces produits peuvent contribuer à réveiller le désir de consommer des produits stupéfiants. Soupçonnés de simuler la douleur, les « ex-toxicomanes » sont alors privés de la plupart des antalgiques efficaces. Et quand on leur en donne enfin, ils sont systématiquement sous-dosés.
Témoignage de Christine Weinberger
Je témoigne ici en tant que personne HIV depuis 16 ans et demi. Mon dossier médical porte depuis 1987 un tampon indélébile : toxicomane. Pourtant -même si je n’ai pas à me justifier- je ne me shoote plus depuis 15 ans et demi. Je suis amenée à consulter pour d’horribles douleurs. On doit me faire une ponction lombaire et un électromyogramme. J’exprime ma crainte de la douleur mais on me refuse un pschitt anesthésiant. J’entends l’interne dire : » Pas question, ça pourrait lui donner envie de se droguer « . On s’y reprend à cinq fois pour me piquer. La douleur d’un guillaimbaré radiculo polynévrite est extrême. On m’accorde deux Diantalvic® trois fois par jour, la troisième prise dépendant toujours de l’humeur de l’équipe médicale de nuit qui ne sait rien de ma maladie, à part que je suis » toxicomane « .
J’ai eu énormément de mal à avoir du Diantalvic® la nuit. A cause de cette douleur, je m’enfile en cachette d’innombrables suppositoires de Diantalvic®. Il y a des risques de nécrose lorsqu’on dépasse les dix suppositoires. Je tombe donc à 5 d’hémoglobine. » Mais où est donc passé tout ce sang ? « , me questionne d’un air soupçonneux le médecin. On doit alors me faire une fibroscopie, une coloscopie, en me refusant toute anesthésie. Cette fois je me barre ailleurs. Je sais que ces examens désagréables peuvent se faire sous neuroleptiques, sans le danger de l’anesthésie générale.
Q – On se demande ce qui est prévu dans le plan contre la douleur pour faire cesser ce type de pratiques. Il y a vraiment un problème de culture médicale. Est-ce que vous comptez donner des instructions à tous les services hospitaliers pour faire passer le traitement de la douleur avant l’obsession du sevrage chez les usagers de drogues ?
A.B. – Je crois que nous avançons, que la prise en charge de la douleur, c’est aussi une façon de reconnaître le droit des malades, que c’est quelque chose d’essentiel, que c’est un des volets de qualité des soins qui doit permettre d’offrir au malade une qualité de soins qu’il est en droit d’attendre. Je réponds un peu à côté… Je ne pense pas qu’effectivement il y ait eu une réflexion pour faire la part entre ces risques et ces craintes chez les professionnels.
Q – L’utilisation de produits pharmaceutiques concernant la douleur évoque sans arrêt un autre débat, celui des drogues et de la législation particulière qui existe en France. Est-ce que les représentants de la répression des drogues ont été associés dans le cadre des réflexions qui démarrent actuellement sur la douleur. Est-ce que la MILDT participe à cette réflexion ?
A.B. – Non, la MILDT n’a pas particulièrement été consultée pour l’élaboration du Plan de lutte contre la douleur.
Q – Il me semble, pourtant, évident qu’à un moment donné la volonté de faire évoluer les pratiques pour combattre la douleur, entre autre par l’utilisation de morphine ou de cannabis, va sans arrêt se heurter au cadre législatif actuel que je qualifierais d’inutile et de meurtrier. Qu’avez-vous prévu pour résoudre cette contradiction ?
A.B. – La sécurisation des ordonnances devrait conduire à une sécurité plus large, et donc à une prescription plus simple. Mais je tiens à vous rassurer la consommation de morphine n’augmentera pas.
Cette réponse stupéfiante sera la conclusion d’un débat qui nous laisse perplexe quant à la volonté réelle du gouvernement de traiter le problème de la douleur.