Les intérêts financiers des laboratoires s’imposent trop souvent au détriment de la santé des séropos. Les essais menés par les laboratoires Merck, Glaxo Wellcome et Dupont-Pharma l’ont prouvé récemment. Ces trois laboratoires n’ont pas hésité à utiliser dans leur stratégie commerciale tous les moyens dont ils disposent pour présenter leurs nouvelles molécules sous un jour favorable et assurer la vente de leurs produits. Le contrôle exercé sur les essais cliniques en est un : il permet aux laboratoires de dissimuler des informations, de retarder la communication sur les inconvénients que présentent leurs produits et de sélectionner les malades lors du recrutement des essais sur la base de critères d’inclusion suffisamment restrictifs pour écarter les séropos pré-traités.
Pratiques de la communication, par Merck
Le dernier essai de Merck compare l’efficacité antivirale de l’indinavir en deux prises par jour à celle du même produit en trois prises. Après six mois de traitement, 64 % des volontaires ont une charge virale inférieure à 400 copies / ml dans le premier groupe, contre 91 % dans le deuxième groupe ; l’écart entre les deux groupes ne cesse de se creuser au cours des semaines. Le laboratoire a du en tirer deux conclusions : premièrement, il n’est plus question de promouvoir l’indinavir en deux prises quotidiennes (sauf éventuellement en association avec une autre antiprotéase) ; deuxièmement, si cette posologie a été adoptée par des patients, il faut la changer sans attendre l’échec virologique.
Ces résultats mettent un terme à la stratégie commerciale de promotion de la double prise d’Indinavir® (crixivan) ; stratégie développée par Merck pour relancer son produit farouchement concurrencé par la sortie du Viracept® (nelfinavir) de Roche. Mais il remet aussi en question les résultats des premiers essais pratiqués par Merck. Des résultats, qui, selon le laboratoire, renforçaient l’idée que les deux posologies pouvaient avoir une efficacité équivalente.
Depuis plus d’un an, influencés par cette communication, de nombreux patients ont réduit leurs prises quotidiennes. Certains ont, pourtant, pu constater après quelques semaines que la nouvelle posologie n’était pas aussi efficace. Dès mars 1998, des données pharmacologiques indiquaient également que la double prise était une stratégie dangereuse. A l’époque, le laboratoire s’est alors efforcé de décrédibiliser ce discours qui s’opposait à sa tactique commerciale, arguant des premiers essais menés. Aujourd’hui, ces nouveaux résultats lui imputent clairement la responsabilité de nombreux échecs thérapeutiques.
Exclusion des pré-traités.
L’exemple du développement de l’abacavir est typique. Il a fallu attendre l’automne 1997 pour que soient enfin mis en place des essais qui s’adressent aux patients pré-traités. L’image du produit est alors déjà imposée : une molécule merveilleuse présentant tous les avantages, et sans défaut. Mais le plan de communication n’est pas pour autant terminé.
A l’approche des procédures d’ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation), la stratégie du laboratoire est rendre son produit le moins attractif possible pour les pré-traités, afin de pouvoir rejeter leurs éventuelles revendications d’accéder à l’abacavir en urgence dans le cadre d’un traitement de relais. La priorité est bien entendu de capter le maximum de patients naïfs d’antiviraux, pour qui la durée de prescription de la spécialité est la plus longue. Les essais recrutent donc de préférence des patients lourdement pré-traités, à forte charge virale. Le protocole ne permet dans le meilleur des cas que deux changements d’antiviraux dans la combinaison thérapeutique testée. Il s’agit clairement de conclure que le produit n’est pas vraiment intéressant pour un traitement de relais. Le laboratoire est de toute façon quasiment assuré que les patients pré-traités en échec thérapeutique prendront malgré tout son produit lorsqu’il sera disponible, compte tenu du choix limité, voire nul, d’antiviraux de relais.
Lors de l’ATU, le laboratoire justifie la restriction de l’accès au médicament pour les pré-traités prétextant du manque de données les concernant. Au moment où le médicament devient accessible à tous, il n’y a toujours aucune information sur la façon dont il peut être utilisé pour les séropos pré-traitées puisqu’ils ont jusqu’à présent été exclu des premiers essais réalisés.
Les données issues des études réalisées in vitro sur la résistance virale à l’abacavir indiquent, par exemple, que le croisement de résistance est faible ; les premiers essais incluant des séropos pré-traitées montreront, in vivo, que le profil des mutations du virus engendrant une résistance à l’abacavir sont fortement croisé. Aujourd’hui encore, les recherches sur la façon d’utiliser ces données de résistance à l’abacavir pâtissent toujours du retard initial.
Ces stratégies développées par les compagnies pharmaceutiques est scandaleuse. Le développement des produits doit être conduit en incluant les pré-traités afin que tous puissent en bénéficier dans les meilleures conditions.
Désinformation, par Dupont-Pharma
C’est l’Antiviral Report publié en juin 1997 par les activistes de TAG qui donne le premier des informations sur l’efavirenz (Sustiva®), concluant que « de prochains résultats sont attendus pour confirmer ces data si roses ». Les data roses en question indiquent une puissante activité antivirale, une prise unique de trois gélules, sans contrainte et sans effets secondaires. Les premiers résultats sont très prometteurs et le développement de la molécule va se poursuivre à une vitesse exceptionnelle. La motivation du laboratoire est de rattraper à pas de géants l’avance de Boehringer Ingelheim acquise avec la névirapine (Viramune®) qui, après deux ans d’un développement laborieux, vient de montrer son efficacité en polythérapie, et va être prochainement disponible en ATU.
Pour Dupont-Pharma, tout patient suivant un traitement avec de la névirapine est a priori un patient perdu pour son efavirenz, car les données concernant la résistance à la névirapine, font craindre, et à raison, des résistances croisées avec les autres inhibiteurs nucléosidiques. Dès lors, la stratégie de Dupont-Pharma sera de s’engager dans une course folle vers l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché).
A la conférence de Hambourg, les data continuent de montrer une forte puissance antivirale de l’efavirenz. Peu de jours après, en octobre 1997, se tient à Paris la première réunion entre activistes et responsables scientifiques et commerciaux du laboratoire. Dupont-Pharma assure que les effets secondaires ne surviennent que durant les 15 premiers jours, avec des manifestations banales pour un antiviral (nausées, maux de tête, etc.). La réalité est bien différente. Ils omettent de mentionner les troubles neurologiques et l’état d’ébriété, qui en raison de leur ampleur et de leur fréquence, sont forcément connus du laboratoire qui a déjà inclu des dizaines de volontaires dans ses essais.
Il faut cependant attendre que les patients ayant accès au produit en ATU témoignent de la survenue de ces effets pour que l’information soit diffusée. Les mois suivants ne sont qu’une succession d’anecdotes, plus ou moins drôles et inquiétantes, sur les effets euphoriques du médicament. Lorsqu’au mois de juillet, à la conférence internationale de Genève, la supériorité antivirale de l’efavirenz sur l’indinavir est annoncée, cette information, présentée comme la bonne nouvelle de la conférence, est en fait reçue par la plupart avec une certaine circonspection. La crédibilité du laboratoire Dupont-Pharma est alors très faible. Mais la nouvelle est malgré tout accueillie favorablement par les activistes dans la mesure où elle peut remettre en cause du leadership de Merck avec le Crixivan.
Satisfaction motivée par la haine portée à Merck pour son refus de participer aux réduction des coûts des traitements pour l’accès aux antirétroviraux dans tous les pays. Ce que la plupart ignorent, cependant, c’est que Merck, détenteur d’actions Dupont-Pharma qu’il s’apprête à revendre, ne peut lui aussi que se réjouir : la côte de ces actions est d’autant plus forte que les data présentées sur le Sustiva® sont prometteuses.
De retour de Genève, Dupont-Pharma est stoppé dans sa course à l’AMM par l’Agence du Médicament qui réclame des informations sur les troubles neurologiques liés à l’efavirenz. Jusque là, le laboratoire s’est bien gardé de communiquer sur les effets secondaires. Aujourd’hui, on apprend par les séropos d’Act Up qu’après la phase euphorique, surviennent des crises d’angoisse. Certains ont même évoqué des tendances suicidaires. Mais les dirigeants de Dupont-Pharma essayent pourtant d’imposer le prix du Sustiva® comme le plus élevé de tous les antiviraux, en raison de son activité antivirale et de sa facilité d’observance (si aucun effet secondaire ne survient).
Pour les experts, ce prix ne se justifie pas, et les effets secondaires de troubles du comportement se développent. De nombreuses questions sur les risques et la conduite à tenir restent en suspens. Dupont-Pharma doit désormais réviser sa politique de communication et fournir des réponses pour lutter contre les effets nocifs de son produit.