Alors que Lionel Jospin s’était engagé à ouvrir un débat public sur la politique des drogues, la MILDT (Mission interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie) organise clandestinement en décembre 1997, un séminaire interministériel sur le plaisir des drogues. Une réunion tenue dans le secret et l’embarras, à l’ombre des institutions, loin de la réalité des usagers de drogues, laissés à l’écart comme il se doit en ces occasions exceptionnelles. On peut se demander quand ce type de réflexions, principale clef du débat, sera intégré officiellement et concrètement dans l’approche de la « toxicomanie », ouvrant alors sur l’indispensable évolution législative de la politique des drogues.
Il y a un an déjà, dans le cadre de la préparation de la Semaine Européenne de Prévention des Toxicomanies (SEPT) qui se déroulera du 16 au 22 novembre 1998, la MILDT organisait un séminaire sur « La place du plaisir dans une démarche préventive des comportements de consommation de substances psycho-actives ».
Etaient conviés à cette réflexion des représentants de neuf Ministères et deux Secrétariats d’État, les présidents de l’Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie et du Réseau Européen des Intervenants en Toxicomanie, les directeurs de l’Observatoire des Drogues et Toxicomanies et de Drogues Infos Service, les Professeurs Olivenstein et Parquet, des psychiatres, des pédopsychiatres, des sociologues, ainsi que des médecins.
« …Les intervenants ont été invités à porter leur réflexion sur les trois questions suivantes :
– Le plaisir est-il une valeur et donne-t-il un sens à la vie ?
– Comment ce concept peut-il faire évoluer la pratique éducative et la prévention ?
– Comment traduire ce thème auprès du public, professionnels, parents et jeunes ?… ».
Suite au discours d’ouverture de Mme de Veyrinas, la représentante de la SEPT demande :
« …pourquoi ce thème, qui est inhabituel dans un cadre institutionnel ? La notion de plaisir est au centre du sujet, pour le toxicomane, pour l’usager qui, sans être toxicomane, est également, certainement, dans une recherche de plaisir… ».
Le coup d’envoi est donné. Cette première partie du débat reste frileuse, d’aucun n’ayant souvent à exprimer que réticences et pudeur déplacée.
« …pour avoir du plaisir, est-il vraiment nécessaire de gâcher sa santé ?… On pourrait imaginer une prévention sur la séduction des risques ?… La question que je me pose depuis le début de cette séance, c’est comment essayer de désamorcer la bombe, et savoir si cet axe de travail sur le plaisir peut avoir des mérites…. »
Le professeur Parquet, malgré tout, marque un essai :
« …c’est une grande joie et non pas un grand plaisir de voir que l’on s’oriente vers une démarche qui est plus centrée sur les facteurs de protection, sur les facteurs de santé, sur les facteurs du « Vivons ensemble », que sur ce qui ne va pas, sur le côté figures du dépendant, figures emblématiques de la déviance, figures emblématiques de la marginalisation, figures emblématiques d’une société qui ne va pas… »
Giulia Sissa, philosophe, auteur de l’ouvrage « Le plaisir et le mal : Philosophie de la drogue » aux éditions Odile Jacob, fait en guise de deuxième partie, dans son rôle d’avocat du diable, un brillant exposé qui débute par :
« …pourquoi ne pas se droguer ?… les psychotropes favorisent des transformations de la vie… qui peut dire que le plaisir de l’héroïne est moindre que celui de la lecture d’un livre ?… la jouissance toxique n’est pas mauvaise en soi, elle est moins prisée que d’autres… c’est une communication plus intéressante que « Just Say No ! »… ne pas se droguer est un investissement pas un renoncement … on doit parler de drogues et pas de toxicomanies … la réussite des échanges de seringues chez les toxicos est la garantie que les jeunes doivent bien être en mesure de choisir leurs plaisirs… »
Amenant un argument que peu d’usagers osent revendiquer, elle conclut sur la raison d’être de la légalisation :
« …en terme de plaisir, la chimie est plus efficace que l’existence… Il faut donc une gestion du recours à ces substances… ».
Ce séminaire a eu lieu le 10 décembre 1997, à la veille des rencontres de Kouchner sur la toxicomanie, où dans son discours de clôture il rappelait que :
« La politique de l’autruche, tête dans le sable, n’a jamais protégé des coups de pieds au … ».
Pour plus de détails, nous vous invitons vivement à consulter l’intégralité des retranscriptions des débats, sur le Reitox, (site internet prohibitionniste hébergeant celui de la MILDT et bien d’autres encore) : http://www.ofdt.fr/bulletin/docdgldt/debats.html