Il y a bientôt dix ans le slogan « silence=mort » suffisait à lui seul à expliquer la situation de l’épidémie. Ce silence, nous avions contribué à le briser. Aujourd’hui, nous avons le sentiment d’un retour en arrière : tout se passe comme si l’arrivée des multithérapies avait autorisé les pouvoirs publics et les médias à se complaire dans un mutisme satisfait. L’apaisante parole des chercheurs a recouvert le vacarme des malades en colère. Une gestion tranquille de l’épidémie, organisant la régression systématique d’un certain nombre de nos acquis, se substitue à la « mobilisation générale » que l’Etat lui-même avait dû reprendre à son compte. Maîtrisée au Nord, l’épidémie ne serait plus qu’une des nombreuses calamités subies par les pays en développement.
Les applaudissements à la science et les apitoiements humanitaires laissent peu de place aux trouble-fêtes.
Qui s’inquiète des nouveaux visages de l’épidémie : du nombre de malades en situation d’impasse thérapeutique, des effets secondaires parfois dramatiques des traitements, de la co-infection par les virus du sida et de l’hépatite C, qui devrait pourtant provoquer un nouvel état d’urgence ?
Qui s’alarme de la démission des pouvoirs publics : de l’absence presque totale de campagnes de prévention, censurées lorsqu’elles font « la promotion de l’homosexualité » ; de la liquidation discrète des institutions chargées de la lutte contre le sida, à l’ANRS ou à la DGS ; des délais inscrits dans le projet du PaCS, incompatibles avec la situation d’urgence où se trouvent des malades homosexuels ?
Qui dénonce les inégalités que le sida révèle ou conforte : la difficulté croissante à obtenir ou à renouveler une Allocation Adulte Handicapé ; la sous-représentation des femmes dans les essais thérapeutiques ; la difficulté d’accéder à des soins décents quand on est prisonnier, usager de drogues, prostitué, précaire ou immigré ?
Qui s’indigne de l’avarice des Etats du Nord face aux personnes atteintes dans les pays du Sud ?
Loin de s’enrayer, l’épidémie se maintient dans les populations qui lui ont payé le plus lourd tribut, et explose dans les périphéries sociales et géographiques des pays riches : dans des populations qui n’ont pas la parole. Le 1er décembre, il faudra la reprendre.
Reprendre la parole : c’est également le sens des Rencontres Nationales des acteurs de la lutte contre le sida, les 12 et 13 décembre prochains.