Du 31 janvier au 4 février 1999 s’est déroulée à Chicago la VIème conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes. Partis comme toujours avec de grandes espérances, nous sommes revenus avec un bilan contrasté quoique assez fourni. Nous avons pu constater l’émergence de nouvelles molécules antivirales ainsi que de nouvelles pistes thérapeutiques intéressantes. De plus, l’efficacité des molécules récentes et de leurs associations a été confirmée. Mais de nombreux problèmes persistent puisque l’épidémie continue à progresser, et, du fait de l’apparition de résistances du virus aux médicaments, de nombreuses personnes sont maintenant contaminées d’emblée par des souches mutantes du virus, ce qui est très préoccupant et complique les stratégies thérapeutiques. Le bilan concernant les lipodystrophies est également très maigre ; tout comme celui sur la progression vers un vaccin à cause de la grande variabilité du virus.
Des essais transformés
Quelques molécules parmi celles apparues ces dernières années ont franchi la barre de l’industrialisation. De nombreuses études concomitantes, dont voici quelques morceaux choisis, ont alors cherché à valider leurs effets antiviraux seules ou en association avec d’autres, et en fonction de groupes de patients divers.
Les thérapies antirétrovirales hautement actives (HAART) contenant une antiprotéase sont d’une manière générale plus efficaces que les traitements antiviraux simples. Une quadruple thérapie avec Saquinavir-Soft Gelatine Capsules (Fortovase®) et Nelfinavir (Viracept®) bénéficie aux patients en échappement. On peut ajouter que l’efficacité d’un traitement croît avec le nombre de molécules administrées.
L’association Indinavir (Crixivan®)/Ritonavir (Norvir®) tolérerait une prise biquotidienne au cours des repas. L’Abacavir (Ziagen®) et l’Efavirenz (Sustiva®) sont des molécules aux effets inhibiteurs soutenus, et peuvent être administrés à long terme avec ou sans IP (Inhibiteur de Protéase). L’Adefovir Dipivoxyl (Preveon®) est bien toléré chez des patients ayant un lourd passé thérapeutique. L’Amprenavir (Agenerase®) est un IP pouvant s’associer efficacement avec d’autres agents antirétroviraux.
Une nouvelle moisson de molécules
Voici les noms des molécules qui nous ont été présentées pendant la conférence. Ce sont à l’aide de ces molécules que les laboratoires pharmaceutiques essaient de déjouer les résistances virales existantes. Il va de soi que la plupart de ces futurs médicaments en est encore à un stade d’étude préliminaire.
– Inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (NRTI) : FTC (Triangle Ph.), Lodenosine ou f-ddA, Phosphazid (un AZT hautement amélioré), BCH10652 (BioChem Pharma).
– Inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (NNRTI) : AG1549 (Agouron Ph.), DMP961 (DuPont Pharma), DMP963 (DuPont Pharma), GW867 (Glaxo Wellcome), Calanolide A et B (Sarawak MediChem Ph.).
– Inhibiteurs de la protéase (IP) : AG1776 (Agouron Ph.), ABT378 (Abbott Lab.), BMS232632 (Bristol-Myers Squibb Ph.).
A la recherche de nouvelles pistes
Les stratégies thérapeutiques s’enrichissent de nouveaux points d’attaque du virus : le ribozyme anti-VIH est dirigé contre la séquence tat de l’ARN viral, l’entrée ou la fusion du VIH est inhibée par AR177 (Aronex Ph.), T140, AMD3100 (AnorMED), T20 (Trimeris), FP21399 (Lexigen Ph.), Met-SDF1, PRO542 (Progenics Ph.), le glissement du ribosome lors de la traduction du gène gag-pol est visé par un antibiotique la sparsomycine, et les protéines indispensables à l’assemblage et la libération du virus par la triciribine. L’intégration de l’ADN proviral semble plus délicate à prévenir.
Sur le plan immunologique, on tente d’induire l’expression des virus latents (par IL-2 et OKT3 notamment) et d’utiliser des médiateurs immunitaires (INFb et Rantes) ou la cytokine IL-16 en combinaison avec une thérapie antivirale classique. On a également observé que la réponse spécifique des lymphocytes n’est pas restaurée par les HAART. Il semble que l’on puisse désormais la retrouver en combinant une immunothérapie par virus inactivé avec un traitement médicamenteux.
Concernant la réponse spécifique lymphocytaire, deux études démontrent (quoique menées sur un nombre limité de patients) qu’une thérapie antivirale intermittente peut induire le contrôle de l’infection par le système immunitaire, même après l’arrêt du traitement, mettant les individus concernés dans une situation semblable aux non-progresseurs à long terme.
Les lipodystrophies sous le feu des projecteurs
Parmi les effets secondaires des HAART, les complications métaboliques avaient une place de choix au programme de la conférence. Une session très attendue et très suivie a notamment eu lieu le premier après-midi. Malheureusement les intervenants en sont restés à un état des lieux, ne voulant pas trop se risquer sur un sujet complexe et mal connu. Il était d’ailleurs agaçant d’avoir l’impression que les malades en savaient plus sur le sujet que les intervenants et qu’il n’y avait, visiblement, pas d’urgence en la matière. Les posters sur ce sujet ont été un peu plus riches d’informations. Il semble se dégager que les IP entraîneraient des dyslipémies de manière plus fréquente que les NNRTI et plus encore que les NRTI et joueraient un rôle dans l’apparition de la résistance à l’insuline observée. La lipoatrophie est reliée de plus en plus fortement aux traitements par certains NRTI tandis que les causes de l’obésité viscérale ne sont clairement attribuées ni aux IP ni aux NNRTI ou NRTI. La plupart de ces altérations prendraient place de manière progressive et peuvent être traitées par substitution de l’IP, régimes, traitements médicamenteux ou hormonaux, avec des résultats encourageants (sauf pour la lipoatrophie).
Ne pas relâcher la pression
Les données épidémiologiques globales (qui datent souvent d’il y a plus d’un an) semblent rassurantes si l’on y jette qu’un coup d’œil rapide : les cas de sida déclarés, les maladies opportunistes et le nombre de décès décroissent toujours chez les personnes suivant une HAART. Mais c’est un piège dans lequel il ne faut pas tomber, et l’on observe l’apparition de nombreuses résistances aux médicaments non seulement chez les personnes traitées mais également chez les sujets primo-infectés. Il faut donc intensifier la lutte contre le VIH, favoriser un dépistage toujours plus large puisque de nombreuses personnes ignorent leur statut sérologique, proposer une prise en charge précoce et appropriée des malades (par des tests phénotypiques et génotypiques ainsi que des mesures de la charge virale ultrasensibles <50 copies/ml) de manière à leur assurer une qualité de vie optimale, et faciliter l'observance (par des mesures plasmatiques du taux de médicaments) dont l'absence est souvent un facteur d'apparition des résistances. Les pratiques sexuelles à risques sont à éviter à tout prix, car, on ne le rappellera jamais assez, une personne infectée est, et reste, même sous traitement, contaminante. Même si la charge virale est indétectable et si le taux de virus dans le liquide séminal suit une évolution similaire, il ne faut pas oublier que la réplication du virus continue dans les cellules infectées ou y est latente.