Un an a passé depuis les premières frictions entre Act Up-Paris et les représentants de la Banque mondiale à Abidjan lors de la conférence sur le sida en Afrique. A cette époque la seule réponse de la Banque mondiale -l’un des deux plus gros bailleurs de la lutte contre le sida dans le monde- face à la question de l’accès aux antirétroviraux dans les pays en développement était de s’arquebouter sur un «tout-prévention» moins coûteux.
Un an de lobby plus tard, le 11 janvier 1999, deux membres de la commission Nord/Sud d’Act Up-Paris étaient invités à participer à un meeting organisé au siège de la Banque mondiale à Washington par le Gay & Lesbian Organization for the Bank Employees (GLOBE), sur le thème du sida dans les pays en développement.
Devant une assemblée composée de représentants de la Banque, homosexuels ou non, spécialisés sur le sida ou non, de responsables politiques résidents à Washington ou non, les militants d’Act Up-Paris ont repris les principales critiques adressées depuis un an à la politique de lutte contre le sida de la Banque mondiale. Sur la base de ce discours ont suivi trois jours de rendez-vous avec les principaux représentants de la Banque engagés sur le sida.
Aux économistes braqués sur le coûts des antirétroviraux, nous demandons des chiffres : ceux des conséquences économiques de l’épidémie aux niveaux nationaux comme sur le plan international. Il est de plus en plus évident que ces chiffres là seront d’ici peu sans commune mesure avec ceux des montants engagés dans la lutte contre le sida, avec ou sans coût des antirétroviraux : si l’épidémie n’est pas contrôlée, les pays en développement seront rapidement confrontés à une situation économique catastrophique. Prétendre parler en terme de coût-efficacité (la plus fameuse litanie de la banque) sans être en mesure de prendre en compte ces chiffres est irresponsable. Nous demandons que les spécialistes fassent leur travail et soient en mesure de produire et de communiquer ces données dans les plus brefs délais.
Le rôle de la Banque mondiale n’est pas tant de déterminer la nature des politiques de lutte contre le sida dans les pays auxquels elle prête de l’argent que de s’engager aux côtés des Etats et des autres agences de l’ONU dans les négociations de prix des traitements avec les laboratoires pharmaceutiques.
Elle ne peut continuer à nier l’existence des antirétroviraux. D’une façon ou d’une autre, ces traitements sont présents dans les pays. Il est impératif de contrôler leur distribution et d’en démocratiser l’accès. Si la Banque refuse de s’y engager, elle sera responsable des conséquences de son inertie ; en terme d’apparition de résistance, d’inégalité d’accès, de propagation de l’épidémie.
L’accès aux traitements en général est indispensable ; ne serait-ce que pour permettre l’efficacité des politiques de prévention. La Banque mondiale doit participer au développement de programmes d’accès aux soins et aux traitements; revoir ses programmes foireux dans les quelques pays où elle s’est d’ores et déjà engagée. Pour ce faire, la coordination avec les autres bailleurs est une nécessité absolue et bien que les différentes agences de l’ONU prétendent l’exercer, il est évident pour tous que cette coordination n’existe pas. Il en va de même des évaluations de programmes trop fréquemment mises de côté.
L’action des « groupes d’usagers » des systèmes sanitaires, des associations de malades, est indispensable à la mobilisation ainsi qu’à la réalisation des programmes d’accès aux soins et aux traitements.
La lutte contre le sida ne peut se faire sans les malades. Dans les pays en développement comme en Occident les associations doivent être soutenues financièrement et impliquées dans les programmes qui se mettent en place.
Pour finir, les malades exigent un discours officiel de la Banque – « différent » de ce qu’il a été jusqu’à présent – qui témoigne de sa prise de conscience quant à la gravité de la situation et à sa volonté de mobilisation.
Au terme des quelques jours de discussions, des promesses ont été faites, des résolutions prises. Est-ce à dire que les responsables de la Banque mondiale ont enfin pris conscience de l’urgence de la situation et sont prêts à revoir leur façon de travailler ? Difficile d’être trop optimistes. Une chose est certaine, dans la perspective des prochaines conférences internationales et notamment de celle qui doit se tenir en Afrique du Sud (plus de 10% de prévalence) dans un peu plus d’un an, il vaudrait mieux que la Banque mondiale, comme l’Union Européenne et la plupart des gouvernements, aient revu sérieusement leur approche, s’il tiennent à leur image.