Tester une loi
Le 7 avril 1998, le Sénat a adopté, en première lecture et à l’unanimité, le projet de Loi sur la sécurité routière. Un amendement de la commission des lois prévoyait une peine de deux ans de prison et 30 000 Frs d’amende pour les conducteurs automobiles responsables d’accidents mortels sous » l’emprise » de drogues illicites. Cet article a finalement été abandonné au vote, à une voix près seulement.
Un problème technique essentiel a été évoqué au cours des débats : comment rapidement tester en extérieur, et de nuit, la consommation de drogues illicites sur une personne ? Les réponses des institutions (Agence du médicament, responsables de laboratoires de toxicologie,…) semblent unanimes : « il n’existe pas » encore » en France, de système de tests de stupéfiants pouvant être fait dans des conditions similaires à l’alcootest, et dont la fiabilité des résultats soit acceptable ».
Pourtant, une vingtaine de testeurs de drogues divers ont déjà été agréés d’autorisations de vente pour les laboratoires d’analyse professionnels. L’Agence du médicament sous pression des lobbies industriels qui commercialisent ces tests à l’étranger, et du fait du vide juridique qui entoure ce type de produits, a délivré ces autorisations malgré le fait que ces tests encore de l’ordre du gadget ne fournissent pas d’informations véritablement utilisables. Le jour où des tests fiables seront mis au point, hormis le vendeur, qui y trouvera son interêt ? Quel usage en sera fait et dans quel cadre ?
Tester une limite
Les tests de consommation de drogues illicites sont soumis à une limite, celle de ne pas en avoir. On ne peut pas imposer comme pour l’alcool, une tolérance de consommation pour un produit illégal ; on ne peut pas fixer un seuil légal à partir duquel il y aurait danger pour le comportement ou risque pour la conduite de tel ou tel type de véhicule, ou pour la prise de certaines responsabilités. Pourquoi, alors, vouloir créer un article de loi condamnant les conséquences mortelles d’accidents dus à l’usage, encore interdit, de substances interdites ? D’autant que contrairement à l’alcool, le moindre milligramme de substance interdite entre déjà dans un cadre légal autorisant toutes les surenchères pénales.
Tester une morale
Les testeurs de drogues dits » rapides » ne déterminent pas uniquement la consommation, mais cherchent à déceler la moindre présence infinitésimale de ces substances. Les seuils de détection se mesurent en nanogrammes (milliardièmes de gramme), au point de détecter positif quelqu’un qui aurait mangé un gâteau aux graines de pavot ! Nous ne sommes définitivement plus dans le » test de consommation de drogues illicites « , mais bien dans la détection de » surface « . C’est à dire un test qui détecte si vous avez été en contact avec des drogues, ou en contact avec des » amis » qui sont en contact avec … (ad libitum).
Appellons donc ces tests, des » tests de fréquentation « . Car c’est bien dans cette logique que s’inscrivent les campagnes de » marketing » pour ce genre de testeurs, qui se multiplient dans certains pays et que l’on a vu apparaître il y a deux ans en France : entretenir une parano sécuritaire. Le plus inquiétant : ces tests peuvent être faits sur n’importe quel objet en contact avec la peau, et donc à l’insu de la personne : manteau au vestiaire, poignée de porte ou d’attaché case, clavier d’ordinateur ou verre au bar, pourquoi pas aussi cuvette des toilettes.
Tester les sensibilités
Les résultats de tests de consommation de drogues dépendent du type, de la quantité et de la qualité de drogues consommées, de la fréquence de consommation, de la simultanéité de prise de plusieurs drogues, du poids de l’usager, de son métabolisme, de ses fonctions rénales, de son pourcentage en graisses, de l’intensité et de la durée des exercices physiques avant le test, de son hydratation, de la prise de boisson et de nourriture, et bien sûr de la sensibilité du test.
Tester des plaisirs
La France est un des plus gros consommateurs d’antidépresseurs, somnifères, calmants, excitants, benzodiazépines, et autres » drogues sans plaisirs « , beaucoup plus acceptables par la morale. Ces drogues ne procurent pas réellement de plaisirs, mais entraînent, par contre, léthargie ou surexcitation. Sur quatre enquêtes faites par les services de sécurité routière, en France, en Belgique, en Angleterre et en Suisse, les problèmes liés aux médicaments arrivent juste après l’alcool, bien avant les psychotropes, et même le cannabis !
Tester qui
Derrière le mythe sécuritaire autour des testeurs de drogues fiables se tient la volonté de pouvoir s’appuyer sur une » garantie scientifique » qui permette de dépister bonne moralité et fréquentations recommandables. Et lorsque ces tests sont autorisés pour une commercialisation grand public, comme c’est le cas aux Etats Unis, alors toutes les sorcières sortent de l’ombre.
Les premiers clients ciblés sont les parents » largués « . Les vendeurs de tests entretiennent suspicion, » gap générationnel » et vide relationnel en donnant aux parents la possibilité de tester leurs enfants à leur insu. Ces sociétés ont, d’ailleurs, proposé à des adolescents dans des lycées de quartiers » chauds « , moyennant contribution, de tester leurs camarades à leur insu, en vue de constituer un fichier qui permettra ensuite de s’adresser aux parents. En Angleterre, des élèves de collèges et de lycées ont été expulsés sur simple test de dépistage.
Il y a également le juteux marché des tests à l’embauche. On peut comprendre que des compagnies d’aviation souhaitent que les pilotes subissent ces tests, mais quand il s’agit régulièrement de tester au hasard un nombre d’employés » tirés au sort « , on peut s’affoler : 70 % des grosses entreprises américaines reconnaissent y avoir recours, mais la pratique est aussi courante chez les fonctionnaires et dans l’armée, pour un marché total de 100 millions de dollars en 1994, dont 60 % pour le groupe Syva-Bio-Mérieux. Une estimation par ce laboratoire, à cette époque, évaluait le marché français à plus de 3 millions de francs. A cela s’ajoute les intéressantes perspectives du marché que constituent les assureurs et autres mutuelles, pour qui le test serait certainement un procédé utile, en cas de litige, pour justifier la radiation d’un client visiblement bien peu fréquentable.
La société SECURETEC qui fabrique des tests (Drugwipe et Frontline entre autres), est, tout comme le laboratoire Roche, une filiale de Boeringer-Manheim. Curieusement ses tests ne permettent pas de dépister les benzodiazépines, produits ( Rohypnol, etc…) que fabrique leur confrère, le laboratoire Roche. Boeringer-Manheim ne va tout de même pas marcher sur ses propres plates-bandes.
Tester sur quoi
Jusqu’à maintenant, en France, seules sont reconnues comme ayant valeur légale auprès des tribunaux, les conclusions d’un laboratoire de toxicologie de CHU (une trentaine en France) si elles sont effectuées à la demande d’un tribunal ou figure sur une ordonnance. Les techniques sont différentes à chaque produit, les conclusions sont obtenues, en général, par le recoupement d’analyse de chromatographie en phase gazeuse ou liquide, et d’analyse de spectrométrie de masse.
Sachez qu’un avocat a toujours la possibilité de demander une contre-expertise. Ces tests coûtent environ mille francs à chaque fois. On peut tester la consommation de drogues à partir de certains éléments biologiques du corps humains, qu’on appelle » matrices « , en cherchant si elles contiennent des dérivés chimiques des drogues. L’urine est considérée comme la meilleure matrice pour détecter la présence de métabolites. Les contrôles d’urine sont, d’ailleurs, utilisés dans les programmes de substitution pour contrôler les » rechutes « .
Le sang peut servir aussi. Apparemment les analyses seraient beaucoup plus chères, mais, par contre, elles permettraient de » dater » à court terme, la prise de drogue – utile, par exemple dans le cas d’un accident, lorsque l’on cherche à déterminer si l’usager était sous l’emprise de ce produit et non pas s’il en avait pris la veille.
Mais on parle surtout pour un futur proche des tests sur les cheveux. En effet, on peut détecter au coeur du cheveu la présence de certaines particules xénobiotiques. Ces tests ont été mis au point dans la fin des années 70 par la Navy américaine, pour les vétérans du Vietnam. Le cheveu moyen pousse de 1,2 cm par mois, on pourrait envisager, chez ceux qui laissent pousser, de quantifier, de dater et de retracer l’historique de leur consommation : les différents produits consommés selon les âges, les abus occasionnels ou réguliers, etc… Seule limite, on ne peut détecter les consommations qu’après quelques jours, le temps que » ça » monte dans les cheveux. D’autres essais, sur poils pubiens, ont fait apparaître 40 % de métabolites en plus par rapport aux résultats des tests sur les cheveux. Nous vous laissons imaginer la suite.
Tester le marketing
Pretory SA, société américaine implantée en France, cherche à implanter son produit, le Drugwipe, un testeur » rapide » pour stupéfiants : cannabis, opiacés, cocaïne et amphétamines/ecstasy. Il coûte cent francs et s’utilise une fois. Sur les supports publicitaires, on peut lire, entre autre : « Les enfants, dès l’âge de 10 ans peuvent être sollicités par des dealers… Le maître mot contre la toxicomanie précoce reste la prévention associée à un test de dépistage… La disponibilité et la fermeté des parents, dès le début de cette dérive, sont des facteurs de prévention importants… Ce test est fiable à 80 %. » (soit, une erreur sur cinq…)
Il y a un an, la Sté Pretory, suite à une campagne de séduction auprès des douaniers, a lancé une opération de distribution à des pharmaciens dans trois départements : Eure, Yvelines et Seine-Maritime. Ils ont fait une demande d’AMM à l’Agence du médicament pour la vente au grand public. Comme pour les tests VIH, le ministère de la Santé a préféré, d’abord, consulter le Comité National d’Ethique, qui, pour l’instant, n’a pas encore donné sa réponse.
Tester nos conclusions
Si ces tests devaient obtenir un cadre légal en France, nous pourrions alors, tout comme aux Etats-Unis, trouver dans des fanzines spécialisés, des publicités pour la vente de produits à prendre quelques heures avant ces tests pour brouiller leur lecture. Les produits sont nombreux, les sociétés aussi, les méthodes sont, soit-disant, garanties : « satisfait ou remboursé 200 %, sur preuve du test positif et des poursuites judiciaires engagées ».