Lors de la révision des accords du GATT qui a aboutit, en 1994, à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), une des modifications majeures a consisté dans l’introduction, au sein de la réglementation internationale, de la protection de la propriété intellectuelle. Si des conventions existaient auparavant, gérant cette protection, aucun pays n’était obligé d’y adhérer, et donc d’en respecter le contenu. Désormais les accords ADPIC (TRIPS en anglais) sur la propriété intellectuelle sont intégrés dans la discipline commerciale internationale. Cette réglementation fait partie du « package » auquel doit souscrire tout pays désirant bénéficier de l’ensemble des accords sur le commerce.
TRIPS & santé.
Les accords TRIPS sont calqués sur le modèle des législations occidentales ; ce sont les pays riches qui ont fait pression pour que les produits industriels, dont ils sont ultra-majoritairement les inventeurs, demeurent sous leur entier contrôle une fois commercialisés internationalement.
Ces accords, qui protègent à l’échelle mondiale, les brevets, les copyrights, les trademarks etc. auront une influence majeure sur les politiques de santé des pays en voie de développement puisqu’ils concernent tous types d’invention et notamment les molécules.
Jusqu’à présent, les propriétaires de brevets sur les produits pharmaceutiques n’avaient aucun moyen légal, avalisé internationalement, de suivre la totalité de la production et de la commercialisation de leurs produits dans le monde. Cela a, il est vrai, aboutit fréquemment à ce que des médicaments de mauvaise qualité circulent, notamment dans les pays les plus pauvres. Désormais, les accords TRIPS permettent aux compagnies pharmaceutiques d’avoir tout contrôle pendant 20 ans sur leurs produits, du fait de leurs brevets. Il n’est théoriquement plus possible à un pays de produire en générique sur la base d’une invention dont il n’est pas propriétaire, ni même d’acheter le produit original sans l’accord du propriétaire.
De nombreux pays pauvres se trouvent ainsi prisonniers de la position de monopole que les accords TRIPS offrent aux compagnies pharmaceutiques occidentales, de leur bonne volonté d’exporter ou de produire localement, et du prix qu’elles fixent unilatéralement.
Brèches.
Il existe néanmoins, au sein des accords TRIPS, des clauses qui peuvent être considérées comme des « brèches » pour les pays les moins industrialisés et qui laissent à chacun des membres de l’OMC un minimum de latitude par rapport aux propriétaires de brevets. Ce sont ces clauses qui font l’objet, actuellement, de discussions serrées. Les PVD doivent pouvoir en bénéficier telles qu’elles sont inscrites dans l’accord au même titre que tout Etat, pourtant certains pays occidentaux, les Etats Unis en tête, font tout pour que ces clauses ne puissent pas entrer en vigueur, voire même, pour qu’elles soient renégociées lors de la prochaine révision des accords de l’OMC.
Les trois « brèches » majeures de ces accords concernent : les exceptions au droit de brevet, les licences obligatoires (compulsory licences), les importations parallèles.
Exceptions.
Des exceptions à l’exclusivité accordée au propriétaire du brevet peuvent être accordées, dans la mesure ou elles n’entravent pas démesurément l’exploitation normale du brevet et qu’elles ne nuisent pas déraisonnablement aux intérêts du propriétaire. Elles peuvent être appliquées à certains secteurs qui touchent à l’intérêt général, et notamment à la santé publique.
Mais ces exceptions doivent être en nombre limité et être parfaitement justifiées.
Licence obligatoire.
Il s’agit d’une licence accordée par un gouvernement à un tiers, l’autorisant à bénéficier d’un brevet ne lui appartenant pas. C’est essentiellement un outil permettant aux gouvernements d’intervenir lorsque la jouissance d’un brevet par son propriétaire vient nuire au bon fonctionnement d’un marché et empêcher les consommateurs d’avoir accès au produit ou au procédé (soit parce que le prix est trop élevé du fait d’absence de concurrence, soit parce que le propriétaire du brevet refuse la production ou la distribution locale du produit).
La loi française, par exemple, autorise le gouvernement à accorder des licences obligatoires sur des produits pharmaceutiques lorsque l’existence d’un brevet empêche que le produit soit disponible en quantité suffisante sur le marché ou lorsque le prix est anormalement élevé.
Les règles internationales n’interdisent pas les pays d’avoir, dans leurs législations, des clauses autorisant les licences obligatoires. Mais les accords TRIPS en limiter le champ. Ces licences doivent être réellement justifiées par le marché local, elles ne doivent pas être autorisées avant qu’une demande ait été faite au propriétaire du brevet et que celui-ci ait refusé d’exploiter son brevet localement, elles doivent avoir un champ et une durée réduits, le propriétaire du brevet doit être dédommagé honnêtement.
Importations parallèles.
Elles s’appuient sur le principe dit d’épuisement du droit qui établit que le propriétaire d’un brevet n’a aucun droit de contrôle sur son produit une fois qu’il l’a légalement commercialisé. Ainsi, l’acheteur d’un produit est libre de le revendre sans que le propriétaire du brevet ne puisse intervenir. Cela a donc pour effet, au moins en théorie, de créer un vrai marché mondial, puisqu’il est possible de trouver dans certains pays, des produits à des prix bien moins élevés que ceux qui seraient consentis si on achetait directement au propriétaire du brevet.
Rétorsions.
Les licences obligatoires, comme le principe d’épuisement, sont des moyens à la portée des pays en voir de développement afin de mettre en place une politique de santé, sans avoir à subir la loi des compagnies pharmaceutiques contrôlant intégralement le marché, la production, le prix et la distribution.
Cela dit, régulièrement, lorsqu’un pays, notamment en voie de développement, tente d’instaurer, dans sa législation, une possibilité d’emploi de licence obligatoire ou d’appel aux importations parallèles, le gouvernement américain, sous la pression du lobby pharmaceutique, non seulement engage des poursuites internationales auprès de l’OMC, mais exerce également un intense chantage bilatéral et menace de rétorsions. C’est notamment le cas avec la Thaïlande, le Brésil et l’Afrique du Sud.
Thaïlande.
En 1992, la Thaïlande a fini par céder aux pressions américaines et accepté de cesser d’acheter des médicaments par la voie parallèle. En 1998, le gouvernement américain récidive, concernant les licences obligatoires cette fois. Si la Thaïlande n’obtempère pas, les Etats Unis prendront des mesures pénalisant les importations américaines de bijoux et de bois thaï. Ainsi, les malades thaïlandais risquent d’être toujours sous le joug des multinationales pharmaceutiques contrôlant l’intégralité du marché intérieur des médicaments qu’elles vendent à un prix beaucoup trop élevé. C’est particulièrement le cas pour le Diflucan (Fluconazole) produit par Pfizer et l’Amphotericine B produit par Bristol-Myers Squibb, deux antifongiques permettant indispensables aux malades du sida qui ne sont pas sous antirétroviraux ; il en est de même pour la ddI de BMS.
Pfizer vend le Diflucan 230 Bath les 200 mg alors que, sachant que le Fluconazole peut être acheté en gros sur le marché international à US $600 le kilo, il serait possible de produire un générique et de le vendre en Thaïlande pour 7 ou 8 Bath les 200 mg. Pfizer légitime son prix de vente en terme de nécessité de rentabilisation des coûts de recherche et de production. Si la Thaïlande cède aux Etats Unis, elle n’aura plus la possibilité de produire localement ses génériques et une majorité de malades perdra toute possibilité d’acheter ces médicaments.
Afrique du Sud.
L’Afrique du Sud a modifié, en 1997, sa législation concernant les médicaments, leur production et leur importation, puisque le gouvernement a décidé de rendre légale l’octroi de licences obligatoires, pour que certains médicaments soient produits en générique localement, ainsi que les importations parallèles de médicaments.
Les laboratoires pharmaceutiques américains ont immédiatement réagi, accusant l’Afrique du Sud de ne plus protéger les brevets sur les médicaments et menaçant de ne plus poursuivre leurs investissements dans le pays. La branche sud africaine de l’organisation mondiale des laboratoires pharmaceutiques, soutenue par les compagnies américaines et européennes, a déposé une plainte contre cette loi et a obtenu satisfaction. Mais le gouvernement sud africain a alors fait voté une autre loi, reprenant les mêmes dispositions. Devant l’organisation Mondiale de la Santé, le représentant du Ministère Sud Africain de la Santé a insisté sur le fait que les autorités n’entendaient pas céder et qu’ils utiliseraient, chaque fois que cela serait nécessaire, les licences obligatoires et les importations parallèles, exhortant même les membres du groupe des « Non-Alignés » à en faire de même.
L’administration américaine, affirmant sa volonté de protéger les intérêts américains en danger, est alors entrée en conflit avec le gouvernement sud Africain, arguant, elle aussi, que cette nouvelle loi n’était pas conforme aux accords TRIPS (ce qui est faux).
Elle a tout d’abord demandé à son ambassade de faire pression pour que l’amendement soit retiré. Devant le refus sud africain, les U.S.A. ont ensuite demandé aux européens de se joignent à eux, notamment la Suisse et l’Union Européenne. Jacques Chirac est ainsi personnellement intervenu lors de son voyage en Afrique du Sud pour faire valoir l’insatisfaction française, tandis que les chefs d’état allemands et suisses prenaient également parti. Différents ministres américains se sont ensuite rendus sur place. Le Vice Président Al Gore, lui-même, a mis tout son poids dans la bataille. Les négociations se poursuivent, mais les U.S.A. ont déjà placé l’Afrique du Sud sur leur « watch list » des pays en passe d’être sanctionnés et ont annoncé des mesures de rétorsion économiques concernant quatre produits clefs de l’exportation de l’Afrique du Sud vers les Etats Unis.
Pour l’instant, l’Afrique du Sud refuse toujours de céder, expliquant que, non seulement, sa réforme n’est pas en infraction par rapport aux accords TRIPS, mais qu’en plus, c’est la seule solution pour que l’accès aux traitements soit possible à tous dans le pays. Les Etats Unis ont porté plainte devant l’OMC, mais leurs avocats indiquent que cette plainte n’est pas recevable concernant les importations parallèles. Il faut dire que l’article 6 des accords TRIPS indique clairement que le principe d’épuisement des droits de propriété n’est pas abordé par la nouvelle réglementation.
Il est clair que l’administration américaine et les compagnies pharmaceutiques vont tenter, lors de la prochaine révision des accords de l’O.M.C. à Seattle, fin 1999, de revenir sur ces brèches afin d’en réduire un maximum le champ d’action.
L’Organisation Mondiale de la Santé a, quant à elle, pris clairement position en faveur des articles de TRIPS offrant aux pays les moins riches les possibilités de ne pas se trouver totalement piégés par les accords TRIPS (dont on sait qu’ils n’ont pas été négocié de manière très équitable). Un premier texte avait été rédigé, qui n’a pu être validé, parce que trop ostensiblement en faveur des brèches. Un second texte a été ratifié. Lors de la prochaine Assemblée Mondiale de la Santé en Mai 99 à Genève, un 4 pages comprenant une synthèse de cette lecture des accords TRIPS sera proposé au vote. Il est indispensable que ce texte soit accepté. Il est, en effet, extrêmement important que l’OMS puisse jouer un rôle afin que ce qui, dans ces accords, demeure favorable aux P.V.D. entre en vigueur et ne soit pas remis en cause à Seattle. Lors de cette assemblée la position du Ministère de la Santé Français nous intéresse tout particulièrement. Pour l’heure Avenue de Ségur on ne se prononce pas. Rendez-vous dans quelques semaines.