A l’initiative d’AC!, Act Up-Paris, Aides, du GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées), du GMP (Groupement Multiprofessionnel des Prisons), de l’OIP (Observatoire International des Prisons) a été lancée une plateforme revendiquant des minima sociaux pour les détenus (Action n°57, nov. 1998). En effet, en prison, plus de 60% des détenus vivent en-dessous du seuil de pauvrété carcéral et n’ont aucune possibilité de subvenir à des besoins élémentaires (achat de produits d’hygiène, de denrées alimentaires), d’aider leurs proches (loyers, emprunts). Confinés dans un univers social désastreux, ils n’ont aucune possibilité d’envisager par avance une quelconque réinsertion à leur libération.
Lors d’une rencontre interassociative, le député Jean-Pierre Michel s’était engagé à interroger le gouvernement, et plus particulièrement Martine Aubry, sur cette question. Il le fit à plusieurs reprises.
Lors de la séance des questions écrites à l’Assemblée Nationale du 4 mai 1999, Bernard Kouchner a finalement répondu et s’est une fois de plus illustré par des propos édifiants, prononcés en son nom et en celui de Martine Aubry. Il n’aura pas hésité à se lancer dans une justification des législations en vigueur, qui ont pourtant toutes pour conséquence la diminution, voire la suppression de ces minima, et qui s’appliquent indifféremment, quelque soit le régime d’incarcération, détention provisoire comprise.
La suspension du RMI, qui intervient à compter du premier jour du mois civil suivant le 60ème jour d’incarcération, se justifierait « à double titre », puisque, d’une part, l’Administration pénitentiaire « prend en charge les dépenses d’hébergement et de subsistance des détenus » et parce que, d’autre part, les institutions pénitentiaires « ont vocation à prendre en charge leur réinsertion sociale ». Bernard Kouchner tentait encore de nous faire croire au mythe de la prison, lieu de reconstruction et de réinsertion sociale. Les statistiques relatives au taux de récidive, au taux de chômage et de pauvreté des personnes ayant été incarcérées sont pourtant claires : la prison est un lieu de désinsertion sociale.
L’allocation de parent isolé est elle aussi supprimée puisque la personne détenue n’assure plus « la charge effective et permanente de son enfant ». C’est évident, pour Bernard Kouchner, lorsqu’on est détenu, on n’est plus parent. Dans sa bienveillance, Martine Aubry a, elle, demandé l’ouverture d’une « réflexion » sur cette question, qu’elle juge tout de même « fondée ».
De même, la suspension de l’allocation de solidarité spécifique paraîtrait tout à fait justifiée : « le bénéficiaire incarcéré n’est pas inscrit à l’ANPE comme recherchant un emploi ». Cette législation s’applique à des personnes incarcérées avec des conditions relatives à des personnes libres. Les détenu(e)s devraient-ils disposer d’un don d’ubiquité ?
Quand à la baisse du montant de l’allocation adulte handicapé (AAH) (après 45 jours d’incarcération, le montant est ramené à 12% du taux plein, soit environ 425 francs), cela paraît si normal que Bernard Kouchner a tout bonnement oublié de l’expliquer. Reconnaissons la générosité de l’Etat français : l’AAH est maintenue « pour les personnes mariées, celles dont le conjoint est reconnu inapte au travail et celles ayant une charge de famille ». Lorsque l’on est handicapé, célibataire et sans enfant, une seule solution : attendre sa libération.
Cette réponse, écrite au nom de Martine Aubry, a été exemplaire de la méthode Kouchner : révolté par les situations de précarité il passe pourtant son temps à se réfugier derrière l’existant, qu’il s’agisse de réglementations, de pratiques, ou de tabous. Ce n’est pas parce que des réglementations imposent la suppression des minima sociaux aux personnes incarcérées qu’un ministre doit s’en réjouir et les utiliser. A aucun moment, ni lui, ni Martine Aubry, n’ont envisagé de modifier ces législations et de mettre en œuvre des actions permettant l’amélioration de la situation sociale des personnes incarcérées.
Prudent malgré tout, Bernard Kouchner rappelait que chaque situation est « examinée attentivement, y compris et surtout lorsqu’il y a des incidences familiales, charge d’enfants par exemple ». Qui voulait-il berner ? Quiconque travaille avec des détenus connaît le peu de moyens accordé au suivi social ; certaines prisons sont d’ailleurs dépourvues de travailleurs sociaux. Si chaque cas était véritablement « examiné attentivement », nous ne serions pas sollicités constamment, pour résoudre des problèmes d’obtention d’AAH, d’assignation à résidence mot208], ou de logement thérapeutique à la sortie de prison.
Qu’il s’agisse des minima sociaux, de la continuité des soins en prison (distribution de produits de substitution, prescription de trithérapies et de traitements anti-VHC), le constat est le même : il y a une pratique à l’extérieur, et une pratique à l’intérieur, en prison. La multitude de circulaires incitant les institutions pénitentiaires à appliquer les législations relatives à la situation sociale et sanitaire des détenus restent inefficaces et ne suffisent pas.
Tant que le responsable au ministère de la Santé restera muet face à Martine Aubry et Elizabeth Guigou, tant qu’il fera passer des intérêts sécuritaires devant ceux de santé publique, cette situation demeurera : un système à deux vitesses, où l’on est plus pauvre qu’à l’extérieur, où l’on est plus malade qu’à l’extérieur.