Le chiffre est maintenant officiel : 8% des séropositifs traités ne répondent plus à leur traitement, soit entre 6 000 et 8 000 personnes dont l’immunité s’est effondrée (moins de 200 CD4), dont la charge virale est incontrôlable (plus de 30 000 copies), et qui attendent de développer ou développent déjà des maladies opportunistes. Un chiffre livré aux associations par plusieurs responsables de service des maladies infectieuses, confirmé finalement par la Direction des Hôpitaux : un chiffre qui a réveillé un peu brutalement les institutions et autres apôtres de l’efficacité des traitements. Un chiffre qui a très vite fait l’objet d’une mobilisation des associations de lutte contre le sida : comme nous l’avions annoncé, huit d’entre elles, dont Act Up-Paris, se sont réunies pour élaborer une stratégie visant à permettre aux personnes en échec thérapeutique un accès précoce à de nouveaux médicaments.
La première d’une série de rencontres sur ce thème se déroule fin mai.
Le TRT5 et deux vice-présidents d’Act Up rencontrent, dans le cadre de réunions régulières, l’Agence des Produits de Santé, cette fois-ci sur le thème des personnes en échappement.
A notre demande, l’Agence a contacté plusieurs laboratoires dont certains produits, en cours d’élaboration, présentent un intérêt pour les malades porteurs de résistances importantes aux traitements actuellement disponibles. L’exposé qui nous est fait est pitoyable : incomplet (nous indiquons à la personne chargée des contacts avec les labos le nom et les coordonnées de celui qui fabrique le T20), partiellement faux (nous la corrigeons plusieurs fois dans sa description des essais cliniques en cours). Ce travail peut difficilement rivaliser avec le dossier » nouvelles molécules » constitué par le TRT5, ou encore les contacts que le groupe interassociatif a d’ores et déjà établi avec les laboratoires. Le ridicule de cette situation aurait dû inciter l’Agence à une certaine humilité ; difficile pourtant de leur faire entendre l’urgence de notre demande, difficile de les faire sortir du petit rythme tranquille adopté avec l’arrivée des trithérapies – depuis le début du mois de mai, par exemple, les associations demandent une réunion sur les échecs thérapeutiques, avec la participation de l’ANRS et de la Direction des hôpitaux, réunion vitale que l’Agence met une bien mauvaise grâce à nous accorder. Une date nous est finalement proposée : le 6 juillet, début des vacances d’été… Pour nous, c’est trop tard.
Le 2 juin, Act Up revient seul à l’Agence des Produits de Santé.
Cette fois pour une autre sorte de rencontre, moins langue-de-bois et plus efficace. En quelques minutes, les onze portes de l’Agence sont cadenassées, des stickers collés aux vitres, des tags bombés au pochoir sur les marches. C’est un zap. Il ne nous reste plus qu’à attendre l’arrivée du personnel, slogans et tracts à l’appui. Ceux-ci exigent :
– Que l’Agence prospecte de manière systématique en direction des traitements anti-VIH à venir (participation assidue aux congrès internationaux, dépouillement exhaustif de la littérature médicale, rencontre avec les laboratoires).
– Que l’Agence des Produits de santé, de concert avec l’ANRS, mette en œuvre un dispositif d’accès compassionnel à ces molécules, plus rapide que le système d’ATU actuel, et moins discriminatoire qu’un essai thérapeutique classique.
– Qu’une cellule d’information soit créée dans le cadre de l’Agence assurant la communication sur ces produits en direction des services hospitaliers.
Philippe Duneton, le directeur de l’Agence, rappelé de Roissy, d’où il devait s’envoler pour Londres, arrive sur ces entrefaites : une discussion s’engage avec Act Up, devant une caméra de LCI, à l’issue de laquelle nous exigeons la tenue d’une réunion sous 10 jours avec l’ensemble des responsables institutionnels.
17 juin, une réunion se tient avec l’ensemble des responsables institutionnels.
En présence d’un représentant d’Aides, d’un représentant d’Actions Traitements et des deux vice-présidents d’Act Up. De cette première véritable réunion de travail sortent plusieurs pistes, que les associations souhaitent voir explorées conjointement :
– La mise en place d’essais cliniques par l’ANRS, évaluant ces nouvelles molécules sur des personnes en échec thérapeutique, et qui permettront de récolter les données sur les effets indésirables et les interactions médicamenteuses.
– La mise en place, simultanément, par l’Agence des Produits de Santé, d’ATU pour ces médicaments, y compris ceux encore à des phases précoces de leur développement, afin que l’accès soit le plus large possible.
– L’accès des personnes les plus malades à certains médicaments sous la forme d’un octroi compassionnel (et donc rapide).
L’essentiel étant la nécessité de faire venir ces médicaments en même temps, afin qu’ils soient administrés simultanément, et non pas l’un après l’autre, ce qui nuirait à leur efficacité. L’ANRS est d’accord. L’Agence des Produits de Santé s’engage à réfléchir là-dessus.
Depuis le 8 juin, l’action médiatique des associations avait, elle, débuté. Juste avant la RéPI d’Act Up (Réunion Publique d’Information) sur le thème de l’échec thérapeutique, le premier communiqué de presse sur l’échec thérapeutique était envoyé par l’association Vaincre Le Sida, suivi de ceux de Sol En Si, Actions Traitements, Arcat Sida, Act Up-Paris, Aides, Sida Info Service. Suite au questionnaire envoyé fin avril, une vingtaine de personnes avaient manifesté leur désir de témoigner de leur état de santé. Les ayant mis en relation avec les médias qui nous contactaient, plusieurs articles ont ainsi été publiés dans la presse généraliste et la presse spécialisée. Suffisamment pour que Bernard Kouchner s’inquiète.
18 juin, Bernard Kouchner convoque une réunion au ministère.
Est convié le groupe interassociatif TRT5. Sont également présents : la Direction des Hôpitaux, l’Agence des Produits de Santé, l’ANRS, le Rapport du comité d’expert à l’infection à VIH, deux cliniciens (W. Rozenbaum et P-M Girard) ainsi qu’un conseiller de Bernard. Kouchner. C’est une réédition de la réunion précédente (essais cliniques et ATU), mais le Secrétaire d’état à la Santé est présent et s’énerve : « On ne va pas s’arrêter dans nos efforts. Il faut tenter quelque chose ! ». Chacun acquiesce. Bernard Kouchner propose de contacter les PDG des laboratoires concernés, afin d’accélérer la procédure. Ce à quoi le TRT5 répond que du côté associatif, une conférence téléphonique est programmée. Elle s’est tenue le 1er juillet.
1er juillet, trois laboratoires américains ont été contactés : Gilead Sciences, pour l’Adefovir et le PMPA (ténofovir) ; Pharmacia & Upjohn pour le tipranavir ; US Biosciences pour le f-dda.
Quelques perspectives se dégagent pour l’automne, du côté du Tipranavir, avec des études d’interactions, et peut-être la possibilité d’utiliser le stock que le laboratoire est obligé de constituer aux USA, en amont de la mise sur le marché. Mais globalement, nos interlocuteurs n’ont pas mesuré l’urgence de notre demande, ou bien ils ont fait la sourde oreille. Les laboratoires n’ont de toute façon pas l’habitude de modifier leur calendrier pour quelques milliers de malades, à moins d’être l’objet de fortes pressions.
C’est de ces pressions qu’il est question lors de la réunion du 6 juillet à l’ANRS.
En présence de la même équipe (Agence des Produits de Santé, Direction des Hôpitaux, TRT5) : après diverses propositions d’essais ANRS ne couvrant qu’un nombre insuffisant de malades (200), la discussion est consacrée aux moyens de pression à mettre en œuvre vis-à-vis des laboratoires. Il s’agirait, à long terme, de rattraper le retard accumulé par l’Europe en matière d’accès compassionnel par rapport aux USA. Mais à court terme, il faut surtout que les laboratoires nous livrent leur produit en quantités suffisantes : la proposition de Bernard Kouchner, faite le 18 juin, de téléphoner directement aux laboratoires concernés est une perspective ; tout le monde tombe d’accord sur un courrier collectif au Secrétaire d’état à la santé, avant son départ pour le Kosovo, afin de lui rappeler sa promesse ; joint au courrier, la liste des médicaments à obtenir…
La première manche contre l’échec thérapeutique semble remportée : convaincre l’ANRS d’organiser des essais cliniques que l’Agence des Produits de Santé accompagnera d’ATU. La seconde manche, une joute avec les laboratoires pour la délivrance des produits, s’annonce plus coriace. Les moyens de pression sont limités. Il va falloir innover, imaginer, et délirer. Mais surtout, il faudra être nombreux. Aidez-nous à poursuivre cette campagne. Contactez-nous.