Aujourd’hui, en France, des séropositifs étrangers sont totalement privés de droits. Cela s’appelle « l’assignation à résidence ». C’est un aménagement à la double peine, présenté comme une mesure de clémence, qui frappe d’expulsion les justiciables étrangers à l’issue de leur condamnation. Condamnation qui peut leur avoir été infligée suite à un refus d’embarquement lors d’une expulsion, ou dans un cadre pénal, pour infraction à la législation sur les stupéfiants, par exemple. Inexpulsables du fait de leur pathologie, ces ex-détenus malades étrangers sont sous le coup d’interdictions du territoire pouvant aller jusqu’à dix ans, prononcées par les cours de justice qui les ont jugés, et sont alors, suivant l’article 28 de l’Ordonnance de 1945, assignés à résidence. Il est alors interdit au malade de sortir d’une circonscription administrative donnée, une ville, un département ou une région. Celui-ci est tenu de pointer régulièrement auprès de la police ou de la gendarmerie, sous peine de retourner en prison. Seule une autorisation exceptionnelle du ministre de l’Intérieur ou du préfet peut lui permettre de sortir de ce territoire. Impossible de choisir son médecin, son service hospitalier ou une association de soutien en dehors de ces limites. Impossible de rendre visite à des proches, d’accompagner ses enfants à l’école ou de consulter un avocat si l’on doit pour cela franchir les limites de l’assignation. Un simple contrôle dans le métro peut ramener le malade en prison.
Pire : dans cette situation absurde de contrôle en plein air, le malade assigné à résidence ne reçoit de titre de séjour que selon le bon vouloir des services préfectoraux, en fonction, par exemple, des raisons pour lesquelles il a déjà été jugé et emprisonné. Ce titre éventuel n’est que provisoire, le plus souvent de trois mois. De nombreux malades assignés à résidence n’ont donc pour tout titre que la notification de leur assignation à résidence : un bout de papier qui n’est valable qu’avec des papiers d’identité que bien souvent ils n’ont plus. Ils peuvent rester indéfiniment dans cette situation de stigmatisation intégrale, sans aucun droit ni revenu, car ces titres ne donnent pas tous droit au travail, qui de toute façon, reste en réalité inaccessible sans titre de séjour définitif. La durée minimale d’une assignation à résidence à Paris peut-être, par exemple, de deux ans. La préfecture considère, au mépris de toute considération pour la santé, que ce dispositif est une période probatoire nécessaire au terme de laquelle l’ex-détenu malade peut en demander la levée. C’est donc l’administration policière qui juge de la bonne réinsertion du malade, alors même qu’il a déjà été jugé et puni par la Justice.
Le malade assigné à résidence ne peut sortir de cette situation que si la juridiction qui l’a condamné lève son interdiction du territoire. Dans les faits, cette levée n’a lieu que dans les cas où une situation familiale est en jeu. Seuls les assignés à résidence qui arrivent à prouver à la DDASS qu’ils ont continué à jouer les bons pères ou mères de famille peuvent espérer devenir des malades étrangers régularisables au titre de leur pathologie dans le cadre de la loi Chevènement, ce qu’ils n’ont en fait jamais cessé d’être. C’est cette discrimination absurde entre malades étrangers qui doit cesser.
Tous les malades assignés à résidence ne subissent pas de la même manière le dispositif. Certains sont effectivement pris en charge par des proches, ou peuvent travailler. D’autres s’effondrent doucement, de refus en brimades, sans aucun revenu, rejetés des structures d’accueil, des rares appartements thérapeutiques existants, finissent par ne plus pouvoir prendre leurs traitements et perdre tout espoir. Le seul secours que la collectivité ait prévu pour les assignés à résidence est l’Aide médicale État, qui n’a jamais fonctionné correctement. Elle aussi, fonctionnant comme un dispositif de stigmatisation, soumet les malades au tri ignoble des services de recouvrement des hôpitaux et autres centres de soins. Il est très facile de se faire rejeter d’un service hospitalier public, même muni d’une ordonnance d’un service sida connu, lorsque l’on montre à la caisse sa carte de l’Aide médicale. Les problèmes de remboursement à l’intérieur même de structures publiques poussent des agents zélés à préserver les budgets de leurs services des malades indésirables, n’hésitant pas à dire à des personnes sans revenu de s’adresser à la médecine de ville… Le pire est à venir, pour les assignés à résidence comme pour les autres étrangers en situation précaire tels les sans-papiers, puisque ce dispositif qui n’a jamais fonctionné leur est maintenant réservé par le projet de Couverture maladie universelle, qui exclut les personnes titulaires d’un titre de séjour provisoire ou sans titre du tout, organisant ainsi un véritable Apartheid médical.
Le principe de la double peine est inique. Ses aménagements sont absurdes. Expulser un détenu après sa peine sous le prétexte qu’il est étranger, alors que les nationaux sont libres de se réinsérer dans la société, est discriminatoire et rappelle le temps des supplices et des bannissements. Imposer aux anciens détenus malades étrangers une situation floue, soumise aux arbitraires les plus divers, organise purement et simplement une zone de non-droit pour toute une partie des malades étrangers.
Act Up-Paris exige la suppression de la double peine pour tous les détenus étrangers, et la suppression de l’assignation à résidence pour les malades étrangers. Ces malades doivent tous être régularisés de plein droit au titre de leur pathologie et obtenir sans délai des titres de séjour renouvelables d’un an, en attendant la régularisation de tous les étrangers par l’attribution de cartes de dix ans.