Nous sommes actuellement extrêmement préoccupés par le problème des échecs thérapeutiques lourds. Après trois années d’utilisation des antiprotéases dans le cadre des polythérapies antivirales, près de 10% des patients en traitement sont en situation d’impasse, ce qui met en péril leur pronostic de vie à court terme. C’est très certainement le début d’un nouveau tournant dramatique de l’histoire du VIH.
C’est pourquoi, nous souhaitions approfondir la question avec un médecin confronté à ce problème dans sa pratique quotidienne. Le professeur Christian Courpotain, pédiatre spécialisé dans le suivi d’enfants porteurs du VIH (Hôpital Trousseau) a répondu à notre invitation, développant la problématique de l’échappement chez l’adolescent lors d’une réunion de la commission Traitements & Recherche.
Le professeur Courpotain compte aujourd’hui 25 adolescentEs dans sa file active. C’est à partir de critères biologiques, physiques et psychiques, et non de critères d’âge, qu’il définit ses patients comme adolescents. Cela se comprend d’autant mieux qu’il a affaire en majorité à des enfants issus de populations migrantes chez qui le cycle de développement physique n’est pas identique à celui des populations européennes. En outre, l’infection à VIH retarde en moyenne d’un à un an et demi la puberté, nous précise t-il, ce qui pose toujours des problèmes – en général plus délicats chez les garçons que chez les filles.
Parmi ces 25 adolescentEs, deux sont actuellement en échec thérapeutique avec un pronostic de vie limité. Leur profil thérapeutique est identique à celui d’adultes dans la même situation : succession de traitements depuis 1987, gestion extrêmement difficile des nombreux effets secondaires, aléas incontournables de l’observance, résistances multiples, croisées et de classe à l’ensemble des antiviraux existants.
Il y a peu de chance que leur multithérapie permette un effet antiviral suffisamment fort ou une couverture immunologique » d’attente « . Si à l’issue de trois mois de suivi médical rapproché, leur état biologique se dégrade malgré les efforts d’accompagnement mis en place autour de l’observance, le professeur Courpotain a décidé de recourir à toutes les options possibles comme cela se fait pour les adultes : IL2 et Hydréa (bien qu’il n’y ait aucun essai, ni aucune indication chez le jeune adulte), recyclage massif de toutes les molécules prises les mieux tolérées (Gigahaart, Mégahaart, etc.), recours aux antioxydants (vitamines et micronutriments) afin de renforcer les membranes cellulaires.
D’une façon générale, le professeur Courpotain pense que la répétition de situations d’échappement, même indépendamment des problèmes liés à l’observance, est inévitable chez un patient, quel qu’il soit, tant que les thérapies anti-sida seront exclusivement antivirales, axées sur deux sites, celui de la transcriptase inverse et celui de la protéase.
Selon lui, il faut d’urgence :
– 1. accéder aux nouveaux antiviraux, actuellement en phase précoce de développement, et faire porter en priorité les efforts vers des molécules à action lente pour une simplification des prises,
– 2. obtenir des antiviraux dirigés vers de nouvelles cibles (la fusion, l’intégrase),
– 3. accélérer la recherche en matière d’immunité pour combiner les traitements avec des molécules immunomodulatrices,
– 4. alerter le milieu médical pour une meilleure prise de conscience de la situation actuelle,
– 5. développer un travail de proximité accru dans le suivi des patients.
C’est à partir de son expérience singulière qu’il abouti à ces conclusions.
Dans sa file active, une majorité d’enfants est porteuse de la maladie depuis la naissance (parmi les autres, deux ont été contaminés par rapport sexuel et huit d’origine africaine sont nés de mère séronégative mais dépistés VIH positif à leur arrivée en France – vers l’âge de six-huit ans).
Ces enfants, pour la plupart issus de classes défavorisées, ont grandi dans un contexte familial marqué par le VIH – deuil d’un ou de plusieurs parents. Ils sont soumis à une forte pression et une forte stigmatisation en raison du tabou autour du sida. Certains parmi eux arrivent à l’adolescence ; une période de la vie parfois difficile à gérer et qui se prête difficilement aux obligations d’un traitement lourd et systématique. Il est également délicat d’aborder le sujet de la sexualité (au delà du préservatif) avec des adolescents pour qui la notion de risque est très réelle, multiforme, et qui disent » affronter « la sexualité sans plaisir. Comment rompre la » barrière du silence « , qui est peut-être la plus grande souffrance pour l’adolescent séropositif ? Comment, enfin, aborder le thème de la mort ?
Il ne reste au thérapeute qu’une alternative : tout mettre en oeuvre pour rendre son patient » autonome » le plus rapidement possible, quel que soit son âge et son milieu.
Christian Courpotin rappelle, par ailleurs, les difficultés pour les adolescents d’accéder à des traitements prophylactiques de post exposition (Cf. article dans Action n°61). En tant que mineur ils sont dans l’obligation de recourir à un accord parental, ce qui est le plus sûr moyen de les tenir éloignés de l’hôpital dans ces situations d’urgence. Il serait donc primordiale de se servir de l’expérience acquise en matière de contraception pour les mineurs, et réclamer au plus vite, qu’en la matière, la loi change.