… avec Erik Rémès
« Je me suis rapidement aperçu qu'[il] était complètement désœuvré et paumé, vraiment con, prétentieux et immature. Je me suis dit que le contaminer ne pourrait mettre que du plomb dans sa microscopique cervelle de laitue. En fait, je crois lui avoir rendu service en le contaminant. Je lui ai donné un sens à sa vie. »
Ce texte est extrait du livre d’Erik Rémès, Je bande donc je suis. Celui qui parle a le nom de l’auteur ; c’est un ami et un double du narrateur Berlin Tintin.
Ont-ils vraiment lu ce passage, ceux qui traitent les militants d’Act Up de fascistes ou de censeurs, juste parce que nous avons écrit sur une affiche que ce livre « propose une petite religion de la prise de risque » ?
Croient-ils vraiment ce qu’ils disent, ceux qui, comme le 3615 JKH, du groupe Gai-Pied, ont suspendu leur publicité dans Action, en signe de « soutien à Erik Rémès » ?
Respectent-il vraiment leur ami Rémès, ceux qui le déchargent de toute de responsabilité sous prétexte qu’il « fait de la littérature » ?
C’est pour combattre des propos comme ceux d’Erik Rémès que j’ai rejoint Act Up en 1990. A l’époque, les mêmes saloperies d’idées étaient exprimées par d’autres, qui avaient cependant plus de style. Hervé Guibert, dans À l’Ami qui ne m’a pas sauvé la vie, rendait grâce à l’ « incroyable perspective d’intelligence qu’ouvrait le sida dans une vie ». A l’époque, il n’y avait pas davantage de monde pour s’en effrayer.
1989-1999 : c’est toujours la même histoire. La souffrance, la maladie, la mort, rien de tel pour ouvrir l’esprit, dégager des « perspective d’intelligence » ou « mettre du plomb dans la cervelle ». En général, les lecteurs en raffolent. Surtout si c’est un pédé qui parle.
Le problème, avec Rémès, c’est qu’il est vieux. Ses idées bégayent. Et elles puent le cadavre.
… avec Jan-Paul Pouliquen
Jan-Paul Pouliquen est président du Collectif pour le PaCS. Il supporte mal que l’on puisse, comme Act Up ou le CGL, émettre des réserves à l’encontre d’un projet auquel il s’est totalement identifié. Que des malades, des étrangers, des parents gays et lesbiens, des allocataires des minima sociaux, estiment que le projet du PaCS ne résoudra pas les problèmes qu’ils rencontrent, le laisse indifférent. Futurs usagers du PaCS, qu’ils se mêlent d’en modifier la teneur avant qu’il soit trop tard le fait sortir de ses gonds.
Quand il sort de ses gonds, justement, Pouliquen pète les plombs. Il l’avait fait début 1996, en diffusant dans les bars gays parisiens une lettre ouverte où il réglait déjà ses comptes avec les associations de lutte contre le sida. Il nous y rappelait à l’ordre et à notre raison sociale : nous aurions trahi notre cause en nous occupant de luttes qui ne nous regardaient pas, comme les droits des homosexuels, par exemple. Ce faisant, nous détournerions l’argent du contribuable à des fins de prosélytisme, etc.
Mais quand Pouliquen pète les plombs, il devient ignoble. Dans cette lettre ouverte, il écrivait que le sida faisait vivre plus de gens qu’il n’en faisait mourir. Faites un effort de mémoire : au printemps 1996, les trithérapies ne sont pas encore massivement distribuées comme elles le seront plus tard. Prenez de vieux carnets d’adresses. Comptez le nombre de vos amis qui sont morts, au printemps 1996.
Pourquoi en parler maintenant ? Parce que Jan-Paul Pouliquen récidive. Depuis 1996, il a découvert le courrier électronique. Alors il inonde les réseaux de lettres ouvertes qu’il signe « un simple citoyen qui ne vit pas du sida ». À Caroline Fourest, présidente du CGL, il reproche de conforter l’idée que « c’est une maladie qui fait vivre plus de gens qu’elle n’en tue ». « On est en droit, dit-il encore dans une autre lettre, de savoir où passe notre argent. »
Parfois, on perd jusqu’à l’envie de répondre. Trop de tristesse, trop de dégoût. Que faire alors ? Le citer. Car personne ne fait mieux que Pouliquen la publicité de sa propre turpitude.
… avec Jean Le Bitoux
« Je m’associe totalement à ta colère quant à l’argent du sida ». C’est Jean Le Bitoux qui adresse son soutien dans une autre lettre ouverte à Jan-Paul Pouliquen.
Quand j’étais petit, j’admirais Jean Le Bitoux. Parce qu’il était passé par le FHAR, parce qu’il avait participé à la fondation de Gai-Pied, parce que j’étais petit et que j’avais de la reconnaissance pour ceux qui se battaient pour mes droits et le respect de moi-même.
Et puis j’ai grandi, j’ai rencontré Jean Le Bitoux et j’ai déchanté. Le militant historique ne contemplait et ne commentait plus que lui-même. C’est un mélange d’amertume et de belle âme, qui s’autorise de ce qu’il a fait pour empêcher tout ce qui reste à faire.
La dernière fois que je l’ai vu, c’était quelques jours avant la Lesbian & Gay Pride, à l’occasion d’un débat sur l’outing. Jean Le Bitoux était contre, ce qui est son droit. Mais il le dit, une fois de plus, en se réclamant du passé, comme s’il en était l’unique dépositaire. Il l’écrit encore à Jan-Paul Pouliquen dans la même lettre : « La moindre justification du outing insulte ceux qui nous ont précédé, victimes de fichiers, de délations, de mise à l’index (…) ».
Il y a quelques années, Michel Celse, alors vice-président d’Act Up-Paris, m’avait éclairé sur l’usage du passé et des morts selon Jean Le Bitoux. Michel consacrait sa thèse à la déportation des homosexuels, et avait à ce titre recensé les textes de l’animateur de l’association Mémorial de la Déportation Homosexuelle, Jean Le Bitoux. Parmi eux, celui-ci, paru dans 3 Keller : « Pour les homosexuels du Reich, le cauchemar et la mort s’installèrent dès 1933. Combien ? Inutile de dire que cette tragédie est inchiffrable, si ce n’est en centaines de milliers de victimes, à moins de rentrer dans des querelles de révisionnistes. » C’était, en quelques lignes, couper le sifflet à tous ceux qui, par respect pour les morts, veulent ne défendre que l’histoire en travaillant précisément sur les persécutions des homosexuels sous le IIIe Reich. Le problème est que Jean Le Bitoux n’a pas grand respect pour les morts. Ils lui servent, il s’en sert, dans des querelles mesquines et haineuses, à conforter une posture de statue du Commandeur. Dans l’histoire, cette statue règne sur un cimetière.
… avec deux années de présidence
Il y a exactement neuf ans, j’assistais à ma première réunion d’Act Up. J’y suis resté, je m’y suis engagé, parce que c’est selon moi le seul groupe qui ait toujours témoigné d’un amour inconditionné de la vie. Nous le devions à ceux qui étaient morts, à ceux qui mouraient, à ceux qui meurent. Cela exigeait qu’on se batte, y compris à l’intérieur de ce que nous avons pris l’habitude d’appeler notre communauté, contre la vieille chanson de l’amour à mort, contre le déni poujadiste, contre les velours viscontiens – aujourd’hui, respectivement, Erik Rémès, Jan-Paul Pouliquen et Jean Le Bitoux.
On ne dira jamais assez qu’une traduction appropriée de queer manque au lexique français. A Act Up, nous avons suffisamment tordu le sens du mot « pédé » pour en faire un équivalent possible de queer. Qu’il me soit permis d’apprendre à ceux qui l’ignoreraient qu’Emmanuelle Cosse, au moment où elle prend la présidence d’Act Up-Paris, si elle est sans doute moins homosexuelle que Rémès, Pouliquen et Le Bitoux, est infiniment plus pédée.