La remise en cause du droit à l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) pour les personnes séropositives et les malades du sida suit son cours. Au début de l’année, le rapport IGAS/IGF affirmait que le sida était désormais une maladie réversible ; le versement de l’AAH aux personnes atteintes par le VIH ne se justifiait donc plus. Une seule alternative était proposée : le retour au monde du travail. Suivant la même logique, le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité a sorti le 7 juillet 1999 une circulaire » relative à l’amélioration de la prise en compte des handicaps survenant au cours de l’évolution des maladies chroniques « et qui modifie les conditions de fixation du taux d’invalidité. Si VIH et hépatite C y occupent une place importante, cette circulaire, censée répondre enfin aux revendications des associations, mais rédigée sans qu’elles soient consultées, va à l’inverse de ce que nous exigeons.
Comme le rapport IGAS/IGF, la circulaire du 7 juillet définit le sida comme une maladie chronique. Il est clairement notifié qu’un sida avéré ne justifie plus un taux d’invalidité à 80% comme c’était le cas auparavant. Les personnes séropositives qui ont été atteintes par une toxoplasmose ou un CMV doivent donc maintenant fournir la preuve qu’elles sont « suffisamment » malades pour bénéficier de droits minimum.
La circulaire peut bien prétendre considérer les handicaps subis par les personnes malades, le ministère peut bien essayer de nous faire croire qu’il s’intéresse aux effets secondaires des traitements ; il est évident que cela n’est pas le cas .
Le but n’est pas, comme il est inscrit dans le texte, » d’harmoniser les pratiques des COTOREP « , mais plutôt d’avaliser l’arbitraire des décisions de chaque commission. Ainsi, peut-on lire » Il vous est loisible d’intégrer le retentissement de la douleur « pour évaluer le niveau des incapacités ; » il sera judicieux « d’informer les médecins traitants de la nécessité de bien remplir un certificat médical. Il serait effectivement » judicieux » de le faire, mais surtout, il est indispensable de généraliser l’inclusion, au niveau national, d’une notice d’information aux médecins dans le dossier de demandes d’AAH – comme cela se fait à la COTOREP de Paris.
Au lieu de cela, Martine Aubry préfère lancer une circulaire rédigée dans des termes volontairement vagues, et qui, on le sait, ne sera jamais appliquée. Ainsi, peut-elle répéter à qui veut l’entendre que les dossiers concernant des pathologies évolutives graves doivent bénéficier d’un traitement accéléré (rappelons-le, à Paris, la durée moyenne du traitement d’un dossier est toujours de 5 mois).
C’est, finalement, dans les dernières lignes du texte qu’apparaît clairement l’objectif du gouvernement : » l’évolutivité des pathologies chroniques n’est pas constamment synonyme d’aggravation et des améliorations de l’état de santé de la personne peuvent vous amener à réviser à la baisse le taux ou les prestations accordées « . La logique implacable suit son cours : puisque les malades vont mieux, il faut les renvoyer travailler. Alors que l’on sait aujourd’hui que 8 % des séropositifs sous traitement sont en échappement thérapeutique et peuvent tomber malade ou mourir à tout moment, cette circulaire évacue la possibilité même d’une aggravation de leur état de santé. Or, les thérapies ne font que stabiliser notre état, au prix d’effets secondaires invalidants, et pour une durée incertaine.
Nous sommes des malades du sida et à ce titre nous exigeons des explications. La stabilisation provisoire de notre état de santé ne justifie pas cet acharnement à nous voir retrouver le monde du travail. Quelles garanties pouvons-nous avoir sur notre capacité de travail à long terme ? Il est clair qu’à la moindre aggravation de notre état, il nous faudra emprunter à nouveau le parcours d’obstacle pour obtenir une AAH, qui sera forcément réduite puisque la Caisse d’allocations familiales en calcule le montant en tenant compte de nos revenus.
Les rédacteurs de la circulaire mesurent-ils les conséquences de leurs décisions ? Un guide-barème ne peut pas être modifié simplement par une accumulation de textes déconnectés de la réalité des maladies qu’on entend prendre en charge. Les associations de personnes concernées doivent absolument être consultées.
La spécificité et la complexité du VIH et du sida justifient à elles seules un chapitre spécifique dans le guide-barème. L’évaluation du taux de handicap lié à une séropositivité au VIH doit prendre en compte les caractéristiques du virus : évolutivité, irréversibilité, caractère léthal.
C’est cela qui doit être pris en compte en premier chef pour la fixation du taux d’invalidité, et dans les décisions de durée d’attribution des prestations des COTOREP.
Les affections de la liste C de la classification d’Atlanta qui définissent un sida avéré ont été choisies à cause de leur gravité et de la permanence des séquelles. C’est pourquoi elles nécessitent un taux d’invalidité de 80 % renouvelable.
Uniquement consacré au VIH, un chapitre du guide-barème devrait tenir compte des éléments suivants :
– Les traitements ne doivent pas être considérés à la légère ; même avec de bons chiffres viraux et immunitaires, la lourdeur des traitements, les effets secondaires, constatés ou potentiels, justifient l’ouverture d’un taux d’invalidité de 50 % dans le cas d’une séropositivité sous traitement.
– Les effets secondaires et leurs répercussions doivent être pris en compte au titre de déficiences spécifiques. Les conséquences d’une lipodystrophie, par exemple, sont tout autant physiques que psychiques.
– Un sida avéré ouvre automatiquement et de façon permanente un taux d’invalidité de 80%. Des règles de cumul des affections catégorie B ouvrant un 80% sont également indispensables.
– L’évolutivité de l’infection doit impérativement être prise en compte : tout échappement, résistance, changement fréquent de traitement, doivent justifier immédiatement l’aggravation du dossier et l’accès au 80 %.
– Les contraintes thérapeutiques doivent être considérés comme des handicaps à part entière. Aux COTOREP de faire valoir l’incompatibilité entre les prises de traitement et les horaires de travail, les contraintes diététiques et les repas servis en entreprise, etc… Autant d’aspects de la vie quotidienne qui ne sont pas pris en compte dans le monde du travail.
– L’ensemble des troubles psy, neurologiques, du comportement, de l’humeur, de la libido doivent eux aussi être considérés.
Enfin, et indépendamment du guide-barème, le montant de l’AAH doit impérativement être revalorisé de façon conséquente, afin d’être au moins équivalent au SMIC.
La lecture de cette dernière circulaire en atteste, nous sommes bien loin des règles minimum qui fonderaient un guide-barème et une AAH adaptés à la vie des malades. Tant que les responsables politiques et administratifs refuseront d’écouter les séropositifs, tant qu’ils ne se soucieront que d’impératifs budgétaires, ils produiront des textes inadaptés qui condamnent irrémédiablement la santé et le bien-être des malades.