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L’accès aux soins des toxicomanes : la discrimination hospitalière

Un usager de drogue admis dans un établissement de soins est rarement considéré comme un patient comme les autres. Alors qu’il devrait, comme tout autre malade, recevoir tous les soins que sa pathologie exige, et dans des conditions adaptées à sa situation, il est fréquemment reçu d’abord comme un «malade» de la toxicomanie, et non pas comme un patient souffrant d’une pathologie. Ainsi, nombreux sont les établissements hospitaliers qui tiennent à aborder le «problème» de la toxicomanie avant de prendre en compte la pathologie physiologique pour laquelle l’usager a été admis en hôpital. Cette discrimination de la part de soignants débordant de leur champ d’action a des conséquences graves sur la prise en charge médicale de l’usager hospitalisé.

Toxicophobie

Alors que l’hôpital est censé soigner et accueillir tout individu, les toxicomanes sont victimes de toxicophobie de la part des soignants.

Il arrive que des services exercent un chantage au sevrage : les soins ne seront effectués qu’en échange de la mise en place d’un sevrage, alors que le patient n’est pas venu dans cette structure pour soigner sa toxicomanie mais une pathologie particulière.

Tout aussi grave, on a vu des services d’urgence refuser d’admettre des personnes quand ils ont appris qu’elles étaient d’anciennes ou actuelles toxicomanes, tout simplement parce qu’ils ne voulaient pas de ces malades considérés comme trop «à risque». Ce refus de soins est tout simplement illégal et s’appuie sur le fait que les personnes ainsi rejetées sont souvent peu amènes à porter plainte.

Les pratiques discriminantes auxquelles les usagers de drogue ont a faire face relèvent autant d’une vision caricaturale que d’une toxicophobie qui n’a pas à entrer dans les établissements de soins.

Caricature, en effet, que ces toxicomanes considérés comme irresponsables et incapables d’analyser sérieusement leur état de santé.

Caricature encore que ces usagers automatiquement soupçonnés de ne penser qu’à se défoncer, et à qui on va réduire les doses de traitements contre la douleur. On sait, par exemple, que certains patients se voient refuser la morphine, même en cas de douleur grave, ou alors à des doses systématiquement abaissées. S’il doit y avoir soupçon, ce n’est pas du côté du malade mais bien du côté des soignants qu’il doit s’orienter. Il est inadmissible qu’à une époque où la sensibilisation sur la prise en compte de la douleur commence à porter ses fruits, certaines catégories de patients en soient toujours exclues, sous des prétextes déconnectés de la réalité.

Il est également tout à fait inacceptable que certains établissements de santé effectuent des tests d’urine ou de sang à l’insu des patients toxicomanes pour tenter de savoir s’ils ont pris des drogues pendant l’hospitalisation, au cas où une exclusion serait envisagée. A nouveau, certains services hospitaliers s’arrogent des droits inexistants quand ils ont affaire à des malades qu’ils considèrent comme hors la loi et face auxquels il est possible d’user de pratiques illégales. De même, certains hôpitaux exercent un chantage sur leurs patients toxicomanes et leur imposent des contrats oraux couvrant toute la période d’hospitalisation. A nouveau, il s’agit de pratiques interdites que se permettent des services appréhendant ces patients comme des personnages à part.

Enfin, certains établissements retardent certains traitements quand il s’agit de soigner des usagers de drogue. Cette fois, la discrimination touche le soin direct de la pathologie. On sait que , dans certains hôpitaux, des toxicomanes n’ont pas eu accès aux trithérapies VIH aussi rapidement que les autres patients, simplement parce qu’ils ne sont pas considérés comme des patients comme les autres, et notamment parce que leur toxicomanie les empêcherait d’être aussi compliants que les autres.

Il est fondamental que ces pratiques changent : un toxicomane entrant à l’hôpital doit être accueilli et soigné pour la pathologie qu’il présente à son admission et non pour son usage de drogue. Certes, elle doit être prise en compte et entendue pour la stratégie thérapeutique à établir, mais elle ne doit, à aucun moment, servir de prétexte à un refus de soin, de traitement ou à un chantage au soin.

Substitution

La prise en charge des personnes sous substitution reste aussi problématique : si elle est le plus souvent proposée et acceptée par les soignants, qui y ont longtemps été réticents, elle reste assez inadaptée au toxicomane. Par exemple, la méconnaissance de la toxicomanie conduit parfois à proposer du subutex à un usager d’héroïne prenant 2 gramme par jour. Cette mauvaise solution aura pour conséquence de placer assez vite le malade en état de manque.

Pour les personnes déjà en substitution, il est fondamental de leur procurer exactement le produit de substitution utilisé avant l’hospitalisation, et au même dosage, sans quoi c’est la démarche menée par l’usager qui est mise en danger. Pour le moment, les services de substitution dans les établissmeents de santé sont laissés à la discrétion des responsables des services qui, très souvent, ne font guère d’efforts pour proposer des solutions adaptées.

On sait, en revanche, qu’un hôpital (dont nous tairons le nom pour des raisons évidentes de sécurité des personnels concernés) a laissé l’ami d’un usager hospitalisé le fournir en héroïne pendant toute la durée de son hospitalisation, et ce, en accord avec le service. Cette pratique exemplaire d’un vrai service de soin est hélas rarissime alors qu’elle devrait être généralisée : le manque est un handicap aggravant dans le processus de soin et sa prise en compte permet justement de faire évoluer le traitement thérapeutique. Ce type de pratique se heurte à la loi du 31 décembre 1970 qui réprime l’usage de drogues et l’usager. Cette loi constitue un frein à tout changement de pratique et notamment la manière dont on peut envisager les produits et les utiliser dans le cadre de pratiques médicales.

Les soignants de ce service hospitalier ont choisi de faire leur travail de soin dans sa globalité et ont donc été contraints de se mettre dans l’illégalité. Mais, à choisir entre les hôpitaux qui refusent de soigner et ceux qui laissent entrer des produits illicites, on voit bien où l’illégalité joue en terme de santé.

Droits des malades

L’usager de drogue a les mêmes droits que les autres malades lorsqu’il est hospitalisé, puisque sa présence en hôpital ne tient qu’à sa pathologie. Il a le droit de refuser les prises de sang et ce refus ne peut être suivi de sanctions. Il a , de plus, droit à la même substitution qu’à l’extérieur. Cette substitution ne peut faire l’objet d’aucun chantage. Il a le droit aux mêmes traitements que les autres, notamment aux trithérapies et aux anti-douleurs. En revanche, les soignants doivent maîtriser les incompatibilités entre certaines molécules et certains produits de substitution.

Le toxicomane a également le droit de participer aux essais thérapeutiaques comme les autres malades. Le prétexte ou l’a-priori selon lequel il serait moins compliant que les autres relève également de la caricature. L’exclusion des usagers de drogue dans les essais thérapeutiques est une défaillance grave en terme de recherche et de santé publique.

Il a également le droit de refuser de voir un psychiatre. Il faut dire que, très fréquemment, les hôpitaux font tout pour que le toxicomane soit suivi psychologiquement, toujours sur la base grossière d’une vision rigide de l’usager de drogue.

Les hôpitaux feraient mieux de se préoccuper de la situation sociale du malade et de l’aider à régler les problèmes d’ordre social qui peuvent très vite le renvoyer en établissement de santé. Il est clair qu’un toxicomane VIH+ ou VHC+, voire co-infecté, ou hospitalisé pour pneumocystose ou tuberculose, a de fortes chances de retrouver l’hôpital assez vite si il vit dans un squatt ou dans une cave.

Si l’usager est un injecteur, il serait plus intelligent et plus utile de lui donner des conseils que de lui faire des leçons de morale. (ex : pour dissoudre l’héroïne brune, il faut prendre de l’acide ascorbique ou citrique plutôt qu’un citron qui pourrait provoquer des mycoses et des candidoses extrêmement dangereuses pour les toxicomanes séropositifs). Il serait également judicieux de fournir des guides tels que «Le manuel du shoot à moindre risque» de Asud, et plus généralement, de procurer aux malades usagers de drogues le plus d’informations possibles sur les modes de contamination.

On sait que cette population est parmi les moins bien informées sur les maladies comme le VIH ou le VHC. L’accès aux soins passe aussi par les moyens d’éviter les maladies. De façon plus générale, la suspicion, les tracasseries, la discrimination sont autant de facteurs aggravant dans le traitement d’une pathologie. L’usager hospitalisé doit pouvoir être traité dans les conditions les plus favorables à sa guérison et non vivre l’hospitalisation comme une épreuve d’autant plus pénible qu’il est la cible d’un rtejet des pêrsonnels soignants.
De plus, les centres d’accueil et les Ecimud ne doivent pas être des prétextes pour que les services hospitaliers se déchargent de leurs responsabilités en terme de soins. Actuellement, de nombreux services s’appuient sur le fait que les Ecimud s’occupent de substitution pour éviter de faire le moindre effort dans ce domaine. Ainsi, si un toxicomane arrive un jour où les Ecimud ne fonctionnent pas après 18h ou en week end, aucune substitution ne lui sera proposée.

Le principe selon lequel un toxicomane serait un malade dérangeant dont il faut se débarasser au plus vite est incompatible avec la charge des établissements de santé. Les incitations à l’arrêt de prise de drogues n’entrent pas davantage dans le service que les hôpitaux sont censés offrir.

Enfin, et de façon plus générale, il faut que le traitement des usagers de drogue hospitalisés pour une pathologie ne soit plus laissé à la discrétion ou au bon vouloir de responsables hospitaliers plus ou moins conciliants ou compréhensifs.

L’établissement de santé est un lieu où on soigne et où on assiste le malade quand sa situation sociale met sa santé en danger, et ce, quelque soit son usage ou non de drogue. Or, pour le moment, on constate que certains hôpitaux ont fait l’effort de soigner les usagers de drogue de la façon la plus adaptée et sans discrimination alors que d’autres persistent dans leurs agissements inégalitaires et répressifs.

On peut ainsi signaler que l’hôpital Louis Mourier à Colombes impose des analyses d’urine, qu’au CHU Henri Mondor de Créteil, on a constaté certains problèmes d’accès aux soins réels et qu’à Bichat (Paris XVIIIème) , des contrats oraux (substitution contre isolement) sont imposés aux usagers hospitalisés.

A l’inverse, le Kremlin Bicêtre se caractérise par ses infirmiers refusant de porter sur les usagers malades le moindre jugement quant à leur mode de vie, de même qu’à Broussais, dans le service du Professeur Kazatchkine, les usagers de drogue sont considérés comme des humains à part entière ayant droit, comme les autres, aux meilleurs soins possibles. C’est ce type de rapport à la prise en charge hospitalière des usagers de drogue qui doit être généralisé. En attendant que la vie des toxicomanes ne soit plus mise en danger par la loi elle-même.