L’épidémie de sida est actuellement en pleine expansion, hors de contrôle. 30 millions de personnes au moins sont condamnées à une mort certaine à court terme. En 1999, 5 600 000 personnes ont été contaminées dans le monde, 2 600 000 sont mortes pendant l’année. A l’heure actuelle, 34 000 000 de personnes sont atteintes par le sida, dont près de 95 % vivent dans les pays du Sud. La plupart n’ont accès à aucun soin ni traitement (Source ONUSIDA, Nov. 99).
Les récentes conférence internationales sur le sida en Asie (Nov. 99) et en Afrique (Sept.99) ont fait état de projections alarmantes.
Les conclusions du rapport de la Banque mondiale sur l’Afrique de juin 1999 sont éloquentes : » le sida constitue aujourd’hui la plus grave menace pour le développement de la région d’Afrique subsaharienne « … L’épidémie » se distingue par son impact sans précédent sur le développement régional : il décime la main-d’oeuvre et fait des millions d’orphelins « … » Un quart des adultes sont infectés au Botswana et au Zimbabwe, et plus de 10% le sont dans au moins 10 autres pays africains « … » Face à ces réalités, les gouvernements africains et leurs partenaires doivent agir dès à présent pour prévenir les nouvelles infections par VIH et soigner les millions d’africains déjà atteints « .
Dans ce contexte, l’accès aux soins et aux traitements est effectivement une priorité pour lutter contre l’épidémie.
Depuis 1995 les antirétroviraux sont vendus dans les pays occidentaux. Or, à l’heure actuelle, le prix d’un traitement est de plus de 50 000 FF par an.
Ce prix est aujourd’hui le principal obstacle à l’accès à ces traitements dans les pays du Sud, et interdit notamment la poursuite et l’élargissement de programmes d’accès aux antirétroviraux lancés dans certains de ces pays (Côte d’Ivoire, Ouganda, Sénégal, Maroc, etc.).
Certains médicaments contre les maladies opportunistes du sida restent également inaccessibles pour les malades (par exemple, le Triflucan® qui revient à 200 FF par semaine).
L’industrie pharmaceutique pratique, en effet, des marges allant jusqu’à plus de 95% par rapport au coût de fabrication.
En Thaïlande, par exemple, une entreprise locale produisait un version générique du Triflucan® pour 3% du prix proposé par le laboratoire Pfizer. Pour ne pas perdre le marché le laboratoire détenteur du brevet a d’ailleurs fini par s’aligner sur ce tarif.
Les accords internationaux sur la propriété intellectuelle, dits accords ADPIC (TRIPS en anglais), prévoient la possibilité pour un Etat confronté à une situation d’urgence nationale de faire fabriquer directement par une industrie locale des versions génériques de médicaments : il s’agit du recours aux licences obligatoires ou de l’achat des traitements là où ils sont vendus moins chers (importations parallèles). L’Inde fournit ainsi de l’AZT à ses malades pour un trentième du prix occidental.
Ces dispositions conformes aux règles du commerce mondial représentent les seules possibilités légales, pour les pays pauvres d’intégrer l’OMC tout en permettant à leurs populations l’accès aux traitements.
Pourtant, depuis plus d’un an, les Etats-Unis, cible directe du lobby pharmaceutique, pratiquent pressions bilatérales et menaces de rétorsions commerciales et financières pour dissuader les pays du Sud qui tentent de recourir à ces dispositions légales. L’Afrique du Sud, dont 20 à 25% de la population est infectée par le sida, a notamment fait l’objet de pressions systématiques.
Lors des re-négociations de l’OMC à Seattle, le lobby pharmaceutique espère obtenir la disparition de ces dispositions et garantir ainsi son monopole sur les traitements.
A l’occasion de l’Assemblée Mondiale de la Santé, en juin dernier, l’OMS a reçu mandat pour veiller au respect des priorités de santé dans le cadre des négociations des accords commerciaux internationaux. Durant les derniers six mois de nombreux responsables officiels de l’OMS, de la Banque mondiale, de l’ONUSIDA ont encouragé le recours aux licences obligatoires pour faire face à l’épidémie de sida et traiter les malades. ONG, activistes, professionnels de santé et du développement se sont mobilisés pour alerter l’opinion publique et les responsables politiques (en France : Act Up, Aides, Agir Ici, MDM, MSF, Remèdes, Sidaction, etc.).
Pour autant, la position des Etats du Nord reste pour le moins insatisfaisante. C’est pourquoi, il est essentiel que la France comme l’Europe affiche une volonté claire et impose une véritable prise en compte des enjeux de santé par l’OMC afin de garantir l’accès aux soins et aux traitements dans les pays du Sud.
Les responsables politiques doivent donc s’engager afin que les licences obligatoires et les importations parallèles ne soient pas remises en cause lors des prochaines négociations de Seattle.
De plus, ils ont le devoir de condamner publiquement les pratiques de rétorsions économiques auxquelles ont recours les Etats-Unis à l’encontre de pays du Sud.
Au delà des accords internationaux, ces responsables doivent prendre rapidement position en faveur de la diminution des prix des médicaments et de la mise en place d’une tarification adaptée aux pays du Sud. Si les laboratoires souhaitent vendre leurs traitements aux pays en développement il doivent accepter d’adapter leurs tarifs aux capacités financières des Etats.
En outre il est grand temps d’exiger des compagnies pharmaceutiques une réelle transparence sur les coûts de recherche et de production, ainsi que sur les marges bénéficiaires. On sait maintenant que plusieurs médicaments contre le VIH ont été mis au point grâce à des financements du gouvernement américain et non des laboratoires comme ils le prétendaient jusqu’alors !
Enfin, en tant que bailleurs internationaux, les représentants des gouvernements et du Parlement européens ont le devoir de s’engager financièrement pour permettre l’achat de médicaments.