Tract distribué lors de la manifestation des femmes du 15 janvier 2000.
Aujourd’hui, la plupart des femmes séropositives vivent encore leur sida dans le secret, comme une maladie honteuse. Beaucoup d’autres ne sont pas dépistées, à cause du silence et de la peur qui entourent toujours la maladie. La honte, le rejet et l’opprobre sont loin d’avoir disparu.
On nous a dit « coupables » de vagabondage sexuel. On nous a dit « victimes » de partenaires inconscients. Deux versants d’un même discours : autant dire qu’aujourd’hui encore, la vie sexuelle des femmes a difficilement droit de cité. Les pouvoirs publics reculent devant leurs responsabilités et négligent les campagnes de prévention. Les préservatifs féminins sont quasiment introuvables. La recherche sur les gels virucides stagne, faute de moyens suffisants. C’est à cause de ces attitudes que l’épidémie continue de progresser. Il y aujourd’hui 13 contaminations par jour en France, dont au moins la moitié de femmes.
Tout cela nous exaspère. Nous ne sommes ni coupables ni victimes. Nous sommes simplement des femmes contaminées qui, grâce à l’avancée des traitements, sommes en bonne santé pour la majorité d’entre nous, et sans doute pour longtemps. Nous sommes vivantes et belles. Nous avons le droit de vivre au même titre que toutes les autres femmes. Nous en avons assez de rester à la porte d’essais thérapeutiques plus accessibles aux hommes qu’aux femmes. De peiner à voir prendre en compte les problèmes spécifiques (gynécologiques, notamment) que nous pose le VIH ; assez d’entendre discourir sur notre compte, de loin et sur un ton gêné.
Ce que les pédés ont réussi à conquérir, en partie au travers de la lutte contre le sida – la fierté d’être gay ou lesbienne, la fierté d’être ce qu’on est, la possibilité de « sortir du placard » – nous avons encore à le conquérir. Cette épidémie nous a conduits à demander la reconnaissance des droits des homosexuels. Elle nous a conduits à contester les lois sur les drogues ou sur l’immigration. Elle nous demande aussi de réinventer le féminisme.
Nous, femmes séropos, ne nous en sortirons, comme les autres minorités avant nous, qu’en nous affichant. En brisant le silence. En refusant de laisser les autres parler à notre place. En revendiquant les droits qui sont les nôtres : celui de vivre, de travailler, de séduire, d’être aimées, d’avoir une sexualité libre et heureuse, sans être obligées pour cela de cacher notre statut sérologique. Nous aimons vivre, et nous n’avons pas l’intention de nous en priver.