L’état de santé actuel des malades du sida, et notamment des 8 000 personnes en échappement thérapeutique, nécessite des traitements et examens particuliers pouvant entraîner des hospitalisations. La majorité des malades opte cependant pour des soins en externe ou pour des hospitalisations de jour, comptant sur l’aide à domicile pour pouvoir continuer à vivre chez eux.
L’aide à domicile nous est donc indispensable. Elle permet de bénéficier d’un soutien au quotidien pour accomplir des tâches élémentaires (ménage, courses, etc.) à des tarifs très avantageux – les associations prestataires obtenant des exonérations de charges patronales. Elle nous permet de conserver notre autonomie et constitue parfois notre seul lien avec l’extérieur.
Avant 1998, le responsable associatif chargé de la coordination de l’aide à domicile se rendait chez le malade afin de déterminer le nombre d’heures nécessaires. Un résultat positif au test de dépistage et une carte d’assuré social à 100 % suffisaient pour bénéficier du dispositif.
En 1998, cette prestation est désormais subordonnée à un interrogatoire médical. Cette nouveauté répondrait à des besoins épidémiologiques. L’interrogatoire comprend notamment des questions sur la charge virale, les taux de CD4 et de CD8 ou encore les affections opportunistes. Il est fait, sur la demande des médecins-inspecteurs de la DDASS semble-t-il. A Paris, cet interrogatoire est mené par les coordinateurs de l’aide à domicile – qui ne sont pas soumis au secret médical. Ailleurs, comme dans les Hauts-de-Seine, ces renseignements sont fournis par le biais de certificats médicaux que les malades sont tenus d’envoyer aux associations prestataires. Ceux qui refusent se voient exclus de l’aide à domicile. Dans les deux cas, le secret lié à des informations médicales, personnelles, nominatives et confidentielles, est violé.
Cette pratique est illégale ; aucun texte ne la justifie. L’interrogatoire médical n’a qu’un but : restreindre l’accès à l’aide à domicile et diminuer le nombre d’heures accordées.
En octobre 1999, la DGS émet une nouvelle circulaire. Le bénéficiaire de l’aide à domicile doit désormais prouver qu’il est incapable d’accomplir seul certains actes de la vie quotidienne. Deux scénarios sont possibles :
– Le demandeur doit justifier d’une pension d’invalidité, d’une Allocation Compensatrice Tierce Personne (ACTP) ou d’une notification de la COTOREP, prouvant dans les trois cas un handicap d’au moins 80 %. Or, les COTOREP sont de plus en plus réticentes à accorder ce taux. Elles le refusent parfois même aux malades en sida avéré.
– Pour toutes les personnes reconnues handicapées à moins de 80 %, les conditions d’obtention restent les mêmes qu’avant la parution de la circulaire. La prestation est soumise à l’arbitraire des DDASS, qui ont tout loisir d’exiger un certificat médical et de faire pression sur les associations prestataires pour l’obtenir des malades. Inutile de dire que les critères des médecins-inspecteurs des DDASS, visant à définir les personnes « suffisamment» malades », ne sont pas les nôtres. Donc, si nous sommes reconnus handicapés qu’à 79 %, nous risquons de voir diminuer nos heures d’aide à domicile. Si nous travaillons ce risque sera encore plus grand.
D’un côté les pouvoirs publics et les administrations incitent fortement les séropositifs à trouver un emploi en restreignant les critères d’acceptation de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH). De l’autre, ils font tout pour que disparaissent des aménagements indispensables aux malades, notamment pour leur permettre de supporter les contraintes d’un emploi.
Les impératifs budgétaires imposés par les DDASS ne menacent pas seulement le volume horaire de la prestation. Ils ont un retentissement sur sa qualité : les salariéEs de l’aide à domicile sont sous-payéEs (32 francs de l’heure) et mal forméEs aux problèmes spécifiques du VIH. Ils/elles n’ont aucune notion, par exemple, du régime à observer en cas de lipodystrophies. Là où le portage des repas existe, les mets sont souvent insipides et inadaptés aux besoins des séropos. Par souci d’économie, on contraint des personnes qui ne sont pas des professionnels de la santé à accomplir des actes qu’ils n’ont théoriquement pas le droit d’exécuter, comme le rasage ou la toilette.
La remise en cause de l’aide à domicile pour les séropositifs accompagne celle de l’AAH, de l’ACTP ; elle va de pair avec la diminution des logements thérapeutiques ou des lits-sida dans les hôpitaux. Elle révèle l’incroyable incompétence des pouvoirs publics en matière de sida et de prise en charge sociale qui oublient que la prise de multithérapies est épuisante et s’accompagne d’effets secondaires invalidants. L’aide à domicile qui limite les corvées de la vie quotidienne représente une garantie indispensable pour une meilleure tolérance des thérapies, une meilleure adhésion, donc une plus grande efficacité thérapeutique.
Nous exigeons une loi qui régisse l’aide à domicile et un cahier des charges précis des prestations et de leur qualité. Le 100 % Sécu doit suffir pour accéder à ce dispositif. Enfin, les séropositifs et les malades bénéficiaires de l’aide à domicile doivent être représentés dans les comités de pilotage.