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La 4ème conférence internationale sur la prise en charge extra-hospitalière et communautaire des personnes vivant avec le VIH/sida s’est tenue du 5 au 8 décembre 1999 à Paris. A cette occasion deux représentantes de la commission femmes sont intervenues sur le thème des femmes séropositives. Une partie de leurs interventions est retranscrite ici.

Images

« Je vais vous parler de l’image de la femme séropositive en France. Une image, c’est ce que l’on voit et que l’on renvoie à l’autre : on existe en partie dans le regard de l’autre.

Jusqu’à présent les femmes séropositives ont été considérées comme des coupables, puis comme des victimes.

Des coupables parce que nous portions une maladie très stigmatisée, qui touchait principalement les homosexuels et les toxicomanes. Une femme séropo qui n’était pas toxico n’était pas identifiable. Alors, on nous a collé une étiquette de femme facile qui couchait avec tout le monde. La morale judéochrétienne et le puritanisme sont revenus en force : nous étions simplement des salopes.

Puis de salopes nous sommes devenues victimes. On a eu pitié de nous. Nous étions de pauvres filles au passé douteux qui payaient pour leurs fautes. Alors nous avons du nous cacher à cause du jugement des autres. La majorité des femmes se cache encore, vivant leur sida en silence, comme un fardeau, une faute, une maladie honteuse. Elles finissent par se considérer elles-même comme coupables ou victimes.

Mais, aujourd’hui, nous les femmes séropos, nous sommes excédées par cette image que l’on nous renvoie. Nous ne sommes ni coupables, ni victimes. (…) Nous sommes vivantes et belles et nous devons recouvrer ce droit primordial : celui d’être une femme ; car notre dignité de femme a été bafouée depuis le début de cette épidémie.

Les femmes séropos doivent cesser de vivre dans la peur du regard et du jugement de l’autre. Seule la visibilité nous permettra d’y parvenir, d’obtenir le droit de vivre au même titre que toutes les autres femmes, sans être obligées de cacher sa maladie. Une femme séropositive a le droit de travailler, de séduire, de draguer, d’être aimée … Si je suis venue à Act Up, c’est pour cela. »


Quand on intitule une table ronde « femmes, choix et quotidien », il y a, si je ne me trompe pas, quelques idées en arrière-fond :
– Le « choix », c’est ce que les femmes n’auraient pas (et ce que les hommes auraient),
– Le « quotidien », c’est ce que les hommes n’auraient pas (et ce que les femmes vivraient),

ou quelque chose comme ça.

Alors, je voudrais juste demander aux hommes séropos qui sont dans cette salle si le matin quand ils se regardent dans la glace, ça ne les angoisse pas eux aussi certains jours de voir que leur visage a changé ; si certains jours eux non plus n’arrivent pas à se fringuer le matin, depuis qu’ils sont amaigris par les traitements ; ou s’ils n’ont pas eux aussi des problèmes avec le quotidien et l’image de leur corps. Ou encore s’ils ont vraiment l’impression d’avoir le choix ou non de retourner au travail, quand on les menace de couper leurs allocations – parce que finalement ils iraient beaucoup mieux avec leurs traitements, et parce que leur maladie serait devenue chronique et au bout du compte banale.

Et je voudrais demander aux femmes séropos qui sont dans la salle si, quand un homme avec lequel elles ont envie de faire l’amour ne veut pas ou n’arrive pas à mettre un préservatif, elles ont vraiment l’impression que c’est cet homme qui les empêche de « choisir », ou si elles ne se disent pas que, franchement, si on pouvait trouver des préservatifs féminins en pharmacie, ou si les milieux scientifiques se bougeaient un peu pour faire des recherches sur les virucides, ce serait plus facile, d’avoir au moins le choix entre plusieurs moyens de prévention.

Ou si cette espèce de non-choix qu’elles ont eu de rester à la maison garder les enfants (ce qui ne les amuse pas toujours) et de ne pas avoir d’autonomie financière, ce ne serait pas plus un non-choix imposé par l’organisation de nos sociétés, que le fruit de délibérations intimes ou privés : qu’elles ont de toutes manières à faire avec le fait que les places en crèche soient trop rares et trop chères ; que les frais de garde des enfants engloutiraient presque entièrement ce qu’on appelle le « 2ème salaire » qu’elles ramènent à la maison ; et que de toute manière elles n’ont pas droit à toucher des minima sociaux, dès lors qu’elles sont mariées et considérées comme entretenues par leur mari.

Ce que je veux dire par là, c’est qu’en règle générale on se met à mélanger tout, quand on parle de ce qu’on appelle les « minorités opprimées » – entre autres quand on parle des femmes. On mélange sans arrêt des considérations symboliques ou culturelles, ou humanitaires, etc. avec les problèmes matériels auxquels les gens sont confrontés.
(…..)

Femmes, choix et quotidien

Parler, par exemple, de la sexualité des femmes séropositives, ça m’intéresse.

Qu’une femme dise, moi je privilégie ma sexualité sur mon rôle d’éducation des mecs que je rencontre -et, par ailleurs, j’ai des pratiques safe, et par ailleurs je milite pour que les femmes séropos fassent leur coming out et le disent, pour casser cette image de victime défavorisée, pour qu’on ait juste le droit d’être nous-mêmes, ça, ça m’intéresse. C’est autrement plus féministe que s’interroger sur la « féminité blessée » des femmes séropos. C’est quand même plus utile aux femmes séropos – simplement parce que voilà : c’est une femme qui est libre, qui a réussi à se libérer des images dont on l’affublait, et qui a décidé de le dire sur la place publique.

Après, oui encore, il y a des choses à dire sur le statut fait aux femmes séropos : on ne peut pas ne pas être choqué par exemple de voir que les gens comprennent très bien ce que ça peut être la « honte » d’être une femme séropositive, mais qu’ils ne comprennent plus rien quand une femme séropositive leur parle de fierté, comme le faisait la même femme lundi qui parlait de sa fierté d’avoir réussi à se battre contre la maladie (d’être en bonne santé au bout de 15 ans de séropositivité) ; de sa fierté aussi d’avoir réussi à surmonter le poids des stigmatisations, et de s’être réapproprié son énergie, son désir de vivre, et son image de femme. Honteuse, oui. Fière, non, ça ne passe pas.

Si j’insiste là-dessus, c’est aussi parce qu’on est dans une conférence consacrée à « la prise en charge » des personnes vivant avec le VIH, et que je trouve qu’on touche bien là aux limites de ce qu’on appelle l’ « humanitaire », et de la place qu’on accorde (ou qu’on n’accorde pas), dans certaines structures, à l’expression des personnes atteintes.

Là je vais être un peu méchante. Mais l’humanitaire s’accommode très bien du statut de « victime » des gens – par contre il s’accommode souvent beaucoup plus mal du désir de fierté et d’autonomie des personnes atteintes.

En France – je ne sais pas comment ça se passe ailleurs -, il y a toujours un moment où le « sentiment humanitaire » est rattrapé par la morale, et où les personnes atteintes viennent se casser les dents sur les limites de ce qu’on appelle « la bienséance » :
– malade oui, mais malade trop revendicatif, non ;
– femme séropo essayant de se dépêtrer du poids des stigmatisations oui, mais femme séropo fière de vivre sa vie de femme en toute liberté, non ;
– usager de drogues paumé et malade, oui, mais usager de drogues revendiquant le fait qu’il prend du plaisir à consommer des drogues, non.

Etc.

On veut bien s’occuper de tous ces malades issus des « minorités stigmatisées », OK, mais tant qu’ils mettent la sourdine sur une partie de leur propre vie, sur une partie de ce qui fait leur identité – c’est à dire sur ce qui fait, aussi, en partie, la valeur de leur vie.