Le Bénin, démocratie et bon élève du FMI, attire tous les bailleurs de fonds. Agences de l’ONU, coopérations bilatérales et multilatérales : ils sont tous là. De prime abord, l’impression est plutôt positive. Leur coordination au sein du groupe thématique dirigé par ONUSIDA est exceptionnelle. L’information circule, les réunions font salle comble. Fait notable, la prise en charge thérapeutique constitue un axe de travail prioritaire ! Nous avons, cependant, toutes les raisons de douter de la volonté réelle des bailleurs de fonds qui tarde à se concrétiser, sans preuves tangibles d’engagements financiers.
Il y a près d’un an, les promesses étaient les mêmes, et depuis, les choses ont bien peu changé. Pourquoi cet immobilisme ? Les responsables s’épuisent en préalables à chaque initiative : soucis de concertation, de pérennisation et autres « processus de planification stratégique », qui accouchent généralement plusieurs années plus tard de conclusions alors devenues obsolètes. Aucune concession n’est faite à l’urgence de la situation. ONUSIDA & Co s’intéressent aux séropos, mais aux séropos de demain. Et ceux d’aujourd’hui…
Au PNLS (Programme National de Lutte contre le sida), le coordinateur, pourtant motivé, est submergé du fait de ses multiples casquettes. Il ne suffit pas d’assister aux réunions, conférences, séminaires, groupes de travail, etc. Il faut aussi assurer le suivi des dossiers. En concertation avec les agences de l’ONU, le PNLS vient néanmoins d’ouvrir un centre de prise en charge pour les personnes atteintes : le Centre de Traitement Ambulatoire (CTA).
Ce centre, mis en fonctionnement en janvier dernier grâce à un financement de l’ONUSIDA, propose aux personnes séropositives une prise en charge thérapeutique qui se veut globale. Le CTA, doté de cinq lits, est conçu comme un hôpital de jour. Pour une somme mensuelle fixe, chaque patient a accès à des consultations « à volonté » avec le médecin du centre, à des consultations avec des médecins spécialistes (dermatologue en particulier) ainsi qu’à quelques médicaments génériques – mais si peu.
Jusqu’à présent les soins dispensés de façon informelle au PNLS étaient gratuits. Au CTA, le forfait mensuel, qui doit théoriquement permettre la pérennisation du centre (dont les financements ne sont assurés que pour deux ans), représente pour certains malades un obstacle insurmontable : les personnes atteintes, confrontées à l’exclusion et à la discrimination, vivent généralement des situations de précarité telles, que payer 50FF par mois – ou même seulement 10FF – est souvent impossible. Et quoi qu’il en soit, les fonds collectés de cette manière ne pourront jamais suffire à garantir la pérennisation du CTA – sauf à instaurer un forfait plus élevé encore, ce qui viderait purement et simplement le centre, devenu inaccessible pour les malades.
Ce principe de participation financière des malades a fait l’objet d’une discussion animée au sein de l’association de personnes atteintes Action Espoir Vie. Trouver 10FF par mois paraissait irréalisable pour beaucoup, mais une volonté s’affichait de montrer à « ces personnes qui nous aident que nous avons conscience que la santé à un coût ».
Le professeur Zohou, sommité de la lutte contre le sida au Bénin, mène de son côté son propre programme d’accès aux soins au centre Arc En Ciel (voir Action n°61). Fondateur du PNLS, professeur d’université, dont l’incompétence n’a d’égale que la suffisance et la mythomanie, il se vante d’avoir été l’un des premiers à parler du sida dans un pays d’Afrique : « on a été l’enfant chéri de l’OMS ». Au centre Arc En Ciel, les soins, gratuits à l’origine, sont désormais payants, faute de fonds. Son directeur refuse de s’abaisser à rédiger un projet pour le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) qui lui propose une aide financière pourtant conséquente. Dans ces conditions les fonds non utilisés dans les délais requis repartiront sans doute au siège…
Ainsi, que ce soit au CTA ou au Centre Arc en Ciel, il n’existe plus actuellement de possibilités de se faire soigner pour les séropos dépourvus de moyens financiers.
Côté antirétroviraux, les choses ont peu progressé en un an. La CAME (Centrale d’Achat des Médicaments) a réussi à imposer les antirétroviraux dans la liste des médicaments essentiels du Bénin, ce qui constitue une avancée. Mais rares sont les personnes qui y ont accès, du fait des coûts prohibitifs pratiqués par les laboratoires pharmaceutiques. Les accords passés par la CAME avec les laboratoires sont loin d’être satisfaisants. Seul Bristol Myers Squibb (BMS) et Roche ont été contactés. BMS, après discussion, a accepté un système de dépôt-vente à prix réduit pour le Zérit® et le Videx®. Roche refuse toujours cet accord. La CAME ne fait aucune marge sur ces médicaments, mais les maigres réductions consenties et le peu de molécules disponibles ne permettent pas un accès large à ces thérapies. Au Bénin comme ailleurs, l’intransigeance des laboratoires place les thérapies antirétrovirales hors de portée de l’immense majorité, et les cantonne à des circuits parallèles de prescription sauvage, à destination des plus fortunés.
Ainsi, le Professeur Zohou a pu mettre quelques patients sous antirétroviraux. Mais la colère monte lorsque qu’il nous raconte que certains de ses patients reçoivent, selon leurs moyens, une bithérapie ou une monothérapie d’AZT, ou encore qu’il conseille aux malades qui oublient une prise, de prendre double dose le lendemain !
Seule alternative pour accéder aux antirétroviraux dans des conditions acceptables : le système D. Quelques débrouillards se rendent tous les trois mois en Côte d’Ivoire pour profiter des prix pratiqués dans le programme pilote.
La situation au Bénin nous contraint de répéter ce que nous ne cessons de dire depuis longtemps : une prise en charge médicale de qualité des malades ne sera possible qu’à condition que les laboratoires pharmaceutiques consentent enfin à adapter leurs tarifs aux capacités de paiement des pays en développement.