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A première vue, ce qu’a financé le Fond de Solidarité Thérapeutique International (FSTI) en Côte d’Ivoire ne mérite guère qu’on s’y attarde : ce qui devait être le fer de lance de l’accès aux antirétroviraux en Afrique ressemble plus à un programme d’accès au lait en poudre – pour éviter aux mères infectées de transmettre le virus à leur enfant en l’allaitant au sein – connaissant de fréquentes ruptures de stock de biberons.

Politisation à outrance, bluff, précipitation : telles sont, en trois mots, les raisons de l’atterrissage manqué du FSTI à Abidjan. On a fait vite, court, et avec les moyens du bord. Le résultat est une de projet « à la française » : isolé du terrain, sans connexion avec le système de santé local. Un résultat qui n’a que peu à voir manifestement avec un programme d’accès aux soins, encore moins aux traitements !

Act Up-Paris a tenté d’évaluer son impact sur le terrain : ce programme ne démontrera rien, sinon l’incapacité des politiques à penser au-delà de leur agenda carriériste personnel. C’est un non-événement.

Rien de grave, donc, diront ceux qui n’en attendaient rien. Pourtant, tout cela a un coût. Du temps précieux a été perdu. Et surtout, le FSTI a échoué à fournir des preuves tangibles qu’antirétroviraux et santé publique ne font qu’un, au Nord comme au Sud. S’afficher comme le fer de lance de l’accès aux antirétroviraux dans les pays en développement, pour se contenter finalement de statistiques sur l’accès au dépistage et sur la capacité des foyers à envisager le lait artificiel comme une alternative à l’allaitement, constitue un bien piètre résultat. C’est malheureusement tout ce qui pourra être tiré à court terme de ce programme, dont l’impact en terme médical est quasi nul. Les chiffres sont éloquents, et ils étaient attendus : plus de 5000 dépistages, et une seule demande de traitements antirétroviraux enregistrée pour le moment, en neuf mois d’activité ! Voilà la « stratégie de la brèche » dans laquelle le FSTI s’est engouffrée.

Il serait temps de passer aux choses sérieuses, de répondre aux vrais besoins, et de donner des traitements à ceux qui les réclament d’urgence. A quelle distance se trouve aujourd’hui le FSTI de ses objectifs premiers ? Qu’est-ce qui sépare son action en Côte d’Ivoire d’un programme d’accès aux traitements ? Ces questions sont graves, à quelques mois de la Conférence Internationale de Durban en juillet 2000. Car ce rendez-vous mondial verra les tenants du tout-prévention s’attaquer aux résultats d’évaluation des rares programmes censés lier dépistage, prévention et traitement.

Le premier défaut du FSTI en Côte d’Ivoire, c’est de s’être plaqué sur une activité de recherche en place depuis des années : les essais « AZT contre placebo » du CDC (Center for Disease Control, USA) et de l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida, France) ont constitué le principal vivier de recrutement des équipes FSTI, et le mode de suivi des femmes instauré par ces recherches antérieures a été maintenu : spécialisation, séparation des tâches, déconnexion du terrain. Les équipes américaines toujours coiffées de leur casquette « Essai RétroCI – USA », font remplir aux femmes enceintes des questionnaires qui n’ont rien à voir avec le programme du FSTI. La recherche américaine semble se poursuivre, dans la même opacité que naguère, sans aucun souci de liaison avec le programme ivoirien d’accès aux traitements. Que deviennent les femmes après qu’elles soient passées par les rouages bien huilés de cette machine à fournir de l’AZT ? Nul ne s’en préoccupe. Après la recherche, le déluge.

Côté « France », les équipes de recherche des sites de l’ANRS ont été reconverties : les essais terminés, elles assument leur mission pour le compte du FSTI. La machine semble moins bien rodée que côté « USA », mais on se pose plus de questions. Comment faire pour atténuer la stigmatisation dont les femmes se sentent victimes et qui les incitent à fuir ceux qui travaillent « pour leur bien » ? Comment impliquer les sages-femmes et répondre à leur peur de la contagion ? Comment améliorer le suivi des femmes qui allaitent après l’accouchement ? Les équipes se remettent en question, mais elles s’affrontent aux limites structurelles du projet : personne n’a été formé sur le plan médical, les sages-femmes n’ont pas été correctement sensibilisées, aucun médecin ivoirien n’a été impliqué, les associations de malades n’ont pas été sollicitées.

Ce qui manque au FSTI pour ressembler à un programme de santé publique se résume donc d’abord dans un mot : « intégration ». On ne lance pas un programme de ce type dans un pays en quelques heures, à la va vite, entre un ministre français et un directeur d’agence de recherche tout aussi français, fut-elle spécialisée dans le sida…

Ce qui éloigne le FSTI d’un programme d’accès aux traitements antirétroviraux, c’est avant tout la focalisation – pour des raisons de diplomatie internationale – sur la réduction de la transmission mère/enfant.

Certes le FSTI prévoit et finance un accès aux soins et aux traitements pour les mères, leurs enfants – voire leurs conjoints. Mais il ne faut pas s’y tromper : ces programmes ne constituent ni des leviers, ni des brèches pour l’accès aux traitements antirétroviraux. Tout au plus, correctement menés, ils pourraient constituer de bons programmes de dépistage et de prévention, éthiques parce qu’ils seraient aussi le lieu où s’amorcerait une prise en charge et un suivi médical et psycho-social de qualité – seules conditions pour établir des relations de confiance et un suivi à long terme avec les patientes. Et pour permettre, lorsque leur situation le nécessite et qu’elle sont en mesure de le faire, la mise sous antirétroviraux.

Il est évident que les pays du Sud doivent être soutenus, pour mettre en place des programmes de réduction de la transmission mère-enfant conçus comme de véritables programmes de santé publique, et qui prévoient la mise sous traitement des membres malades de la famille. Pourtant, le nombre de personnes traitées par de tels programmes restera toujours ridiculement faible, au regard du nombre de malades qui en ont besoin. Ces initiatives ne peuvent faire oublier l’urgence de véritables programmes d’accès aux traitements aux antirétroviraux. C’était avant tout ce créneau qu’était censé occuper le FSTI.

Seulement en Côte d’Ivoire on a voulu limiter les risques. La concentration des efforts sur la transmission mère/enfant s’est faite au détriment de l’appui à l’initiative ivoirienne pour l’accès aux antirétroviraux. Sur les 10 millions de francs octroyés par le FSTI dans ce pays, 2,5 millions devaient venir compléter les subventions aux traitements des adultes. Des liens solides et concrets auraient dû être tissés entre le volet transmission mère-enfant et le programme d’accès pour les adultes. Pourtant, dans la réalité, ces liens n’existent quasiment pas. On ne peut pas s’en étonner. Dès le lancement, le ton était donné par Eric Chevalier. Le FSTI et le programme pilote ivoirien ne devaient pas se mélanger. Financements séparés, critères de subvention séparés, solutions thérapeutiques différentes, personnels triés sur le volet dans les équipes de recherche internationales… Kouchner et Chevalier, son conseiller Afrique, n’ont voulu prendre aucun risque, pensant peut-être qu’ainsi, rien ne leur serait reproché.

Le FSTI vient de se doter d’un nouveau pilote, le Dr Jean-Elie Malkin, coordinateur, longtemps attendu après le départ de Kouchner pour le Kosovo. C’est maintenant à lui de :
– s’assurer que des personnes ayant une expérience de terrain en matière de santé publique et une vraie culture du développement participent à la mise en place et au suivi des programmes, jusqu’ici confiés aux épidémiologistes et autres cliniciens,
– renforcer en Côte d’Ivoire l’intégration du programme dans le système de santé, et ses liens avec l’initiative ivoirienne, en finançant pour de bon les aspects médicaux et sociaux de la prise en charge et en augmentant la participation à l’accès aux traitements antirétroviraux,
– ne pas reproduire au Sénégal ou en Afrique du Sud les erreurs commises en Côte d’Ivoire et contre lesquelles il aura été mis en garde.

Pour le FSTI, et surtout pour un gouvernement français qui se disant engagé dans une lutte exemplaire pour l’accès des personnes du Sud aux traitements produits par le Nord, l’heure des choix a sonné.

L’orientation choisie, résolument en faveur de la réduction de la transmission mère/enfant, n’a pas permis de séduire les bailleurs de fonds internationaux : le fonds Turner finance des programmes de ce type sans passer par le FSTI ; l’UNICEF est par définition maître du créneau. Certes on craint toujours de voir émerger « les usines à orphelins » de l’UNICEF – résultats de programmes n’envisageant pas la mise sous antirétroviraux des mères après l’accouchement. Mais le FSTI n’est de toute façon pas en position de lui faire la leçon.

Le FSTI doit retrouver sa raison d’être. S’il veut garder une place sur l’échiquier de la lutte contre le sida, il doit se repositionner clairement sur l’accès aux antirétroviraux.

Dans de nombreux pays en développement (Thaïlande, Afrique du Sud, République Dominicaine, Brésil, Philippines, etc.) les malades et les gouvernements affrontent les compagnies pharmaceutiques et l’administration américaine, qui leur refusent toute possibilité de production à moindre coût des traitements. Si la France ne se range pas résolument au côté de ces pays, et ne les soutient pas ni politiquement et ni financièrement, elle perdra toute crédibilité.

L’enjeu reste de taille. Grâce aux quelques centaines de séropositifs mis sous antirétroviraux par le programme conjoint de l’ONUSIDA et du gouvernement ivoirien, les malades de Côte d’Ivoire n’oublieront plus jamais que le sida peut être traité. Quoiqu’il advienne de cette « initiative pilote », et quelles qu’en soient les limites et les défauts (on assiste en ce moment à des ruptures de stock dramatiques), ce programme a changé la perception du sida dans le pays.

Ce sont ce type de brèches que le FSTI devrait soutenir. Pour qu’il ne soit plus jamais possible de reléguer au rang d’utopie l’accès aux antirétroviraux dans les pays. Pour mettre un terme aux argumentations de ceux qui, pressés de ne rien faire sinon des économies, sont prêts à toutes les falsifications pour imposer l’idée selon laquelle ces malades ne peuvent être traités. Le FSTI doit choisir son camp, vite.

Mme Dux (ministère des Affaires Etrangères) et M. Chouaïd (ministère de la Santé), sont chargés conjointement du suivi de l’évolution du Fonds. Ils ont – disent-ils – le soutien politique de leurs ministres de tutelle et de Matignon. Le gouvernement et même la présidence de la république se sont officiellement engagés à tout faire pour favoriser l’accès aux traitements dans les pays en développement. Au coeur de ce défi, le FSTI ne représente qu’un élément parmi d’autres. Le soutien à la production de médicaments génériques sous licence obligatoire dans les pays du Sud, et la mise en place d’une segmentation des prix des médicaments en fonction de la capacité de paiement des pays sont autant de pistes que le gouvernement français dit privilégier. Reste à savoir si la France renoncera à faire cavalier seul – pour changé. Dans le cas contraire, nul besoin de talent divinatoire pour prédire que Durban signera la mort du FSTI, et l’enterrement à court terme des velléités françaises d’inscrire l’accès aux traitements dans les pays du Sud sur les agendas internationaux.