Appel à l’assemblée générale publique « femmes et sida ». Avec la participation de groupes féministes et d’associations de lutte contre le sida, le mardi 28 mars 2000 à 19h, Ecole des Beaux-Arts, Amphithéâtre des Loges, 14 rue Bonaparte, 6ème – métro : Saint-Germain-des-Prés.
Les femmes séropositives ont toujours eu à souffrir d’un manque d’intérêt de la part des pouvoirs publics, de la recherche médicale, et de ce qu’on pourrait appeler les milieux féministes. Pourtant, le nombre des femmes contaminées par le virus du sida continue d’augmenter chaque année, en France comme partout ailleurs. Et la honte et le rejet sont loin d’avoir disparu, pour les femmes contaminées. La plupart vivent encore le sida dans le secret. Beaucoup d’autres ne sont pas dépistées, à cause du silence et de la peur qui entourent toujours la maladie.
Aujourd’hui les médias et les autorités, notamment, commencent à se mobiliser – le plus souvent sur un mode embarrassé, ou avec de louables intentions « féministes ». Mais pour nous, femmes d’Act Up-Paris, séropositives ou séronégatives, engagées dans la lutte contre le sida, la plupart des questions sont mal posées.
Ni coupables, ni victimes
On a dit un temps les femmes séropositives « coupables » de sexualité aventureuse, on les dit le plus souvent aujourd’hui « victimes » – victimes de la sexualité des hommes, de partenaires inconscients.
Coupable/victime, le couple est classique et bien connu des pédés et des toxicos séropos. On y enferme ceux que l’on ne veut pas vraiment entendre. Il a pour effet d’accentuer les discriminations, plutôt que d’aider à trouver les moyens de lutter contre elles. Comme il a pour effet d’occulter, plutôt que de traiter, les problèmes réels : les difficultés d’accès aux soins, les problèmes posés par les effets secondaires des traitements ou le manque de ressources et d’autonomie dont souffre une part importante des femmes.
On accable les femmes séropos de discours de compassion, on s’afflige de voir leur féminité « blessée » par la maladie, mais l’apitoiement n’a jamais permis de combattre le sentiment de honte, ni de remédier aux problèmes concrets auxquels on se trouve exposé.
Ces représentations doivent changer. La honte doit être convertie en fierté – en fierté d’être ce qu’on est, de se battre contre la maladie, et d’affirmer son désir de vivre et d’être heureuse. Les femmes séropos ne sont ni coupables, ni victimes. Ce sont simplement des femmes contaminées. Elles doivent pouvoir user des droits qui sont les leurs : celui de vivre, de travailler, de séduire, d’être aimées, d’avoir une sexualité libre et heureuse, sans être obligées pour cela de taire leur statut sérologique.
« Femmes sans sexualité, hommes irresponsables »
En matière de prévention, on parle de doter les femmes de moyens de protection qui soient les leurs, et on présente le plus souvent les virucides et les préservatifs féminins comme des moyens d’ « auto-défense sexuelle », contre la dangereuse sexualité des hommes. La prévention n’est pourtant pas une défense contre la sexualité des hommes, c’est une défense contre le sida. Et il nous semble que nos amis pédés, comme nos amants et nos amantes, auraient autant de bénéfices que nous à voir se développer une gamme de préservatifs variée, ou des virucides efficaces.
Les discours de prévention restent prisonniers des vieilles dichotomies : femmes sans sexualité / hommes irresponsables ; femmes sans désir / hommes incapables de le contrôler. Autant dire qu’aujourd’hui encore la vie sexuelle des femmes a difficilement droit de cité. Et que les campagnes de prévention, en ne s’intéressant ni aux pratiques sexuelles des femmes, ni à leurs désirs, ou en caricaturant les comportements, loupent d’avance leur cible.
Capote contre pilule ?
On oppose aujourd’hui encore campagnes de prévention sida et campagnes sur la contraception. Comme si les cibles en étaient différentes.
L’une sans l’autre sont pourtant vaines et inefficaces ; l’une sans l’autre se combattent et s’anéantissent.
On s’effraie aujourd’hui du nombre des grossesses chez les adolescentes : combien d’adolescentes sont contaminées par le sida, pour être passées à côté de campagnes maladroites et inefficaces ?
C’est qu’on n’a jamais voulu penser la sexualité des femmes de manière globale : comme une sexualité pouvant alterner relations durables et occasionnelles, ayant à gérer risques de contamination et risques ou désir de grossesse.
La prévention en direction des pédés a tardé parce qu’il ne fallait pas parler de leurs pratiques honteuses. La prévention en direction des femmes ne parle pas de pratiques sexuelles, parce qu’on considère qu’elles n’en n’ont pas – que seul « l’amour » les intéresse. Il n’y aura ni prévention efficace, ni autonomisation des femmes sans levée des tabous sur notre sexualité. Il faut nous battre pour plus de visibilité de nos pratiques et de nos désirs.
Comme dans d’autres domaines, le sida révèle les failles de la société, et signale les résistances aux avancées sociales.
De toute évidence, le sida menace de régression la condition des femmes. C’est à cette question qu’il nous faut réfléchir, avec les femmes – séropositives ou non – qui se battent de quelque façon que ce soit pour améliorer leur condition. Les femmes ne forment pas une grande catégorie dont on traite les problèmes en disant qu’elles sont plus vulnérables, ou simplement qu’elles sont dominées. Le féminisme ne peut aujourd’hui exister et trouver des forces que s’il s’attache aux problèmes concrets que rencontrent les femmes, à ce qu’elles vivent et subissent. Nous rencontrons des problèmes divers, qui doivent être affrontés dans les contextes où ils surgissent. Des féminismes doivent être réinventés et multipliés, aux endroits précis où le statut de « femme » nous expose à des difficultés ou à des discriminations.
Il n’y aura pas de lutte contre le sida sans féminismes. Les succès et les échecs des luttes des associations proches des nôtres nous seront nécessaires pour inventer notre politique.
Ce que les homosexuel(le)s ont réussi à conquérir, en partie au travers de la lutte contre le sida – la fierté d’être gay ou lesbienne, la fierté d’être ce qu’on est, la possibilité de « sortir du placard » – nous, femmes séropositives ou séronégatives, engagées ici dans la lutte contre le sida, avons encore à le conquérir. Cette épidémie nous a conduitEs à nous battre pour la reconnaissance des droits des homosexuel(le)s. Elle nous a conduitEs à contester les lois sur les drogues et la toxicomanie. Elle nous a conduitEs à demander la régularisation des sans-papiers et la libération des séropos incarcérés. A contester le contrôle social que nous impose l’administration. Elle nous demande aussi de réinventer le féminisme.
Il nous faut reprendre la parole. Refuser de laisser les autres parler à notre place. Contester les représentations dans lesquelles on a prétendu nous enfermer, et les positions auxquelles on nous assigne. Faire vivre d’autres modèles, loin des images de victimes ou de dominées.