Ce contenu a 24 ans. Merci de lire cette page en gardant son âge et son contexte en tête.

Nous avons participé à la 11ème conférence internationale de réduction des risques liés aux drogues, qui avait lieu cette année, sur l’Ile de Jersey du 9 au 13 avril 2000. Paradis fiscal et donc haut lieu du blanchiment d’argent de toutes provenances, Jersey est aussi fréquentée par les « narco-trafiquants » comme l’a confirmé Sir Philip Bailhache, bailli de l’Ile.

Le dimanche, c’est les femmes

En avant première le dimanche, se tenait une conférence satellite intitulée Femmes et drogues, organisée par la fondation américaine anti-prohibitionniste de Georges Soros (Drug Policy Foundation). Il y a été question de l’émergence des problèmes spécifiques des femmes et surtout de leur visibilité. L’ambiance était assez excitante, sans effets de manches et autres langues de bois, avec un parti pris clair : ne pas parler de victimisation mais plutôt pointer les doubles enjeux assumés par les usagères de drogues face à la répression et au contrôle social, que ce soit dans la rue ou dans les centres méthadone. On a notamment insisté sur le fait que tant que durera le chantage à la garde des enfants, des femmes renonceront à l’accès aux soins et se méfieront toujours des institutions. Une femme noire américaine est intervenue pour dire qu’à son sens on ne pouvait pas parler de ségrégation réelle des femmes en matière de toxicomanie. Selon elle c’est avant tout la prohibition, le racisme et l’exclusion qui remplissent les prisons d’usagèr(e)s de drogues noir(e)s, arabes, latinos… en galère et en manque.

L’ONU en plein délire : fin des drogues, du sida et des usagers

En ce qui concerne la conférence officielle, le programme était prometteur. Pour la première fois, une journée complète en séance plénière était consacrée à la légalisation.

Outre les sempiternels débats psychiatrisants que nous vous épargnerons, la cérémonie d’ouverture a débuté par le traditionnel discours de Pat O’Hare, président de l’association IHRA (International Harm Reduction Association), organisatrice de cette conférence, étrangement mielleux pour l’occasion. Nous avons compris les raisons de son léger malaise après que celui-ci a passé la parole aux « mentors internationaux » de la prohibition. Les représentants de l’ONU toutes spécialités confondues (PNUCID, ONUSIDA et OMS) étaient en effet pour la première fois réunis à l’ouverture de cette conférence espérant en donner le ton. La veille à Rome pour une répétition avec l’ensemble des délégations de l’ONU et Kofi Annan, ils étaient venus nous jouer leur opéra en trois actes :
– Paul Griffiths, du PNUCID (organisme chargé de l’application des programmes d’éradication des drogues de la planète pour 2008 !) : « Les programmes de réduction des risques doivent absolument participer à la réduction totale de la demande de drogues ».
– Daniel Tarantola, de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé qui cautionne la prévention plutôt que de développer l’accès aux traitements et aux soins) : « Le sida s’est développé en Afrique essentiellement à cause des toxicomanes » (bientôt les singes verts du Cameroun vont être jugés pour incitation à l’usage, comme Act Up-Paris.)
– Peter Piot, de ONUSIDA (à qui il a été récemment rappelé qu’en matière de drogues, il devait se contenter de s’aligner au programme du PNUCID, et donc arrêter toute aide pour les « piqueries » et autres salles de shoot) : « Aux Etats-Unis il est regrettable d’avoir perdu des millions de… dollars en coûts hospitaliers, plutôt que d’avoir favorisé les programmes d’échanges d’aiguilles ». Car là-bas, on en est encore à l’échange d’aiguilles. Faudra-t-il attendre les conséquences dramatiques de l’épidémie d’hépatite C pour qu’ils créent des programmes d’échanges de seringues ? Pendant ce temps, ils ignorent tout simplement les milliers d’usagers de drogues morts du sida.

Légalisation

Les sessions et débats sur la légalisation étaient divisés en plusieurs parties que l’on peut résumer par : « Qu’est ce qu’on a réussi à proposer et où en sommes nous ? Quels enseignements et conclusions pour le futur ? »

Nicole Maestracci, présidente de la MILDT, n’a finalement pas participé à la session : « Législations et politiques nationales et locales dans l’Union Européenne ». Les groupes d’usagers étrangers resteront incrédules devant les récentes évolutions de la politique française. « Maintenant il paraît qu’on peut librement parler des drogues en France, mais il ne faut surtout pas le dire à l’étranger ». Les autres invités de cette session, Keith Hellawell, policier anglais, Ingo Michels, responsable vert allemand, Franz Trautmann chargé de mission hollandais, ainsi qu’un député de l’Ile de Jersey ont clairement expliqué qu’à l’heure actuelle, s’il n’y avait pas d’évolution législative envisagée, c’est uniquement pour ne pas froisser les Etats-Unis. Il faudrait remettre en cause les accords internationaux en matière de législation sur les drogues. Tous ont dû reconnaître de façon embarrassée qu’ils craignent les conséquences d’une décision à contre-courant des positions onusiennes et de la politique ultra-prohibitionniste américaine.

«Propositions de réglementation légale pour des substances actuellement illégales.»

Il s’agissait d’une présentation de deux projets de légalisation, l’un suisse et l’autre hollandais. Les suisses essayant de ménager la chèvre et le chou, ont planché sur un projet ambigu, comportant des clauses aberrantes qui imposent un contrôle médico-social, ce qui voue cet essai à l’échec. Malgré tout, lors du référendum en Suisse, 25 % des votants ont encouragé un projet de légalisation contrôlée de toutes les drogues en Suisse.

Le projet hollandais, beaucoup plus abouti d’un point de vue social et humain, n’a en revanche finalement pas été présenté au parlement suite aux diverses pressions diplomatiques. Vous pouvez toutefois le consulter en anglais sur le site web DrugText, un site hollandais de référence en la matière.

Peter Webster qui devait intervenir au début de cette session sur la légalisation a été porté absent. L’entrée sur le territoire anglais lui a en effet été refusé lors de son escale de correspondance à l’aéroport d’Eathrow à Londres. Les autorités anglaises ont cédé aux pressions diplomatiques américaines. Le passé d’activiste anti-prohibitionniste américain de Peter Webster a été jugé politiquement gênant. C’était la preuve par neuf que dix ans après les expériences de Liverpool qui ont valu à John Marks un exil politique durable, on peut parler de légalisation officiellement, mais toujours sous la contrainte de la liberté des frontières .

L’hépatite C invisible

Une session entière a été consacrée à l’hépatite C avec la présentation de plusieurs enquêtes épidémiologiques sur la prévalence en Angleterre. La portée de ces travaux était moins scientifique que politique : il s’agissait d’un appel aux autorités sanitaires anglaises afin qu’elles «ré-autorisent et re-financent» le dépistage anonyme et gratuit du VHC en Angleterre abandonné après qu’il eut permis de prendre la mesure de l’épidémie.

Act Up-Paris a présenté un exposé sur la coinfection VIH-VHC et ses enjeux actuels lors d’une session sur la défense des usagers de drogues . Nous avons invité les groupes d’usagers à rejoindre les associations de lutte contre le sida et les hépatites, afin de trouver le soutien nécessaire pour constituer des groupes de travail spécifiques sur ce sujet puisque la recherche s’y intéresse et que des services hospitaliers en assurent correctement la prise en charge.

Injecteurs de stéroïdes

Une pratique d’injection particulière a souvent été oubliée dans les campagnes de prévention : l’injection de stéroïdes, pourtant pratiquée couramment dans les milieux gay ou body-builder. Certains séropositifs confrontés aux problèmes d’amaigrissement et de déformations musculaires dus à la prise de traitements antiviraux, ont recours à des injections de produits équivalents avec l’accord de leur médecin. Si, les médecins utilisent alors du matériel d’injection à usage unique, Nick Crofts a rappelé qu’il n’en est pas de même dans les salles de sport. Son étude de prévalence sur une soixantaine de sportifs indique de possibles cas de contaminations, particulièrement par les hépatites.

Orange : la couleur des capuchons de shooteuses branchées pour cet été

En France, depuis le 1er avril, de nouvelles normes européennes imposent de distribuer et de vendre uniquement des seringues graduées en cc. (centilitres) repérables à leurs capuchons oranges, et non plus celles graduées en U.I. (unités d’injection) avec un capuchon rouge. Mais depuis cette date, seules des seringues de 1cc. ont été fournies aux programmes d’échanges de seringues. Si les autorités ne se dépêchent pas de trouver un fabriquant pour des seringues de 2, 5 et 10cc., des injecteurs risquent, par défaut, de réutiliser du matériel usagé. Surtout les plus précaires d’entre eux qui l’utilisent pour injecter du Subutex® ou des préparations à base de médicaments psychotropes. Il importe également de mettre rapidement à la disposition des usagers un autre produit de substitution injectable que la buprénorphine (Subutex®) qui présente certains dangers. Une nouvelle galénique injectable à base de sulfate de morphine paraîtrait tout à fait indiquée : elle existe déjà pour les soins palliatifs, mais n’est encore autorisée qu’en milieu hospitalier.

Cinq pays ont testés pour nous les salles d’injections

Robert Haemming, psychiatre de l’Université de Bern, a fait un brillant exposé sur l’histoire internationale des salles d’injection. La première salle de « consommation » hollandaise (House Dealer) autogérée par des usagers a été créée en 1974. L’histoire montre qu’un tel projet nécessite pour réussir discrétion et implication active de tous les services concernés et tout particulièrement des usagers (au même moment, la première salle d’injection officielle, mais discrète, s’ouvre à Bern. Elle sera à l’ordre du jour de la première conférence internationale de réduction des risques à Liverpool en 1990, dans une session présentée par John Marks).

Depuis 1986, d’autres pays se sont lancés dans ces programmes expérimentaux. Aujourd’hui, il y a des salles de shoot officielles et financées par l’Etat en Allemagne, en Suisse, en Hollande et en Australie. Mais il y a aussi des salles de consommation, c’est-à-dire des lieux ou les usagers peuvent consommer des produits testés et vérifiés avec un encadrement sanitaire et social leur permettant à court terme de mieux envisager la question de l’injection et de ses risques spécifiques. C’est dans ce cadre que des associations d’usagers peuvent former les injecteurs à d’autres pratiques assurant quasiment les mêmes effets que l’injection (chasser le dragon, inhaler les vapeurs – Bump you Up, dans le cul ça marche aussi ! ).

Ces programmes permettraient d’atteindre une cible invisible jusque là : les usagers déjà précarisés pas tout à fait à la rue et donc encore plus clandestins. La Hollande vient d’ouvrir en novembre une programme de ce type nommé  » the Basement «  (le sous-sol). Il en existe également au Brésil de manière non-officielle. Les résultats de ces programmes restent pourtant délicats à mesurer. Aucune overdose n’a été mortelle dans une salle d’injection car le personnel est formé à la prévention des risques cérébraux liés à la baisse d’oxygène dans le sang lors d’une réanimation d’OD C’est là un des atouts majeurs de ces programmes.

Politiquement, une tolérance ou une reconnaissance de ces programmes n’est pas envisageable selon les dernières directives du groupe d’experts de l’ONU réunis à Vienne. Ils préconisent au contraire la fermeture de ses projets surtout à Sydney, à l’occasion des prochains jeux olympiques. Robert Haemming a très justement précisé que la Réduction des Risques (RdR) est une stratégie intermédiaire servant à minimiser les dégâts dus à la prohibition, mais en aucun cas une politique en tant que telle. La RdR sera pourtant nécessaire tant que la prohibition existera. Les risques de dérapages politiques que présente cette stratégie sont lourds de conséquences, et en France on peut déjà les mesurer.

En Allemagne, une loi pour la reconnaissance officielle des salles d’injection a été rejetée en première lecture à l’assemblée, puis adoptée en seconde lecture après qu’ait été rajouté l’idée que les salles d’injections ne sont qu’un premier pas vers l’abstinence. Alléluia…