Le microbicide a la particularité de tuer les microbes et peut donc réduire ou empêcher la transmission de MST. La première conférence mondiale sur les microbicides s’est tenue en mars 2000 à Washington. Alors que les essais actuellement en cours ne permettent pas d’affirmer que les microbicides sont efficaces contre le virus du sida, on constate que l’éthique n’est pas la première préoccupation des promoteurs.
Un microbicide est un produit qui s’applique dans le vagin ou dans le rectum avant un rapport sexuel. Il a la particularité de tuer les microbes et sert donc à réduire partiellement ou totalement la transmission de certaines MST. Il en existe différentes formes : gel, crème, suppositoire ou film. Dans l’éventualité où un produit de ce type agirait sur le virus du sida, ou empêcherait sa pénétration dans l’organisme, il pourrait représenter un outil supplémentaire de prévention et offrir une alternative plus discrète, voire moins coûteuse, aux préservatifs. C’est ce qui a motivé Act Up-Paris à se rendre à la première conférence mondiale sur les microbicides à Washington en mars dernier.
Plus de six cents participants se sont retrouvés pour cette conférence. Majoritairement des chercheurs, étudiant diverses pistes et en quête de financements pour supporter leurs travaux. Actuellement au moins 36 composés sont testés en laboratoire ; 20 sont prêts pour les premiers tests d’innocuité ; 4 autres sont en phase III d’essai thérapeutique, c’est-à-dire qu’ils font l'[objet d’essais à grande échelle sur l’être humain (Cf. Protocoles n° 12 et 15).
Depuis de nombreuses années la recherche américaine s’est focalisée sur un spermicide, utilisé depuis quarante ans comme contraceptif, le Nonoxynol 9 (N-9). On a effectivement constaté que ce produit détruisait le virus du sida in vitro. Des essais ont donc été lancés, tous sur le même produit, dans une multitude de pays. Mais les résultats in vivo se sont avérés décevants : surdosé le N-9 est irritant pour la muqueuse vaginale et accroît donc le risque de transmission ; tandis que sous-dosé, il est inactif contre le virus. Ainsi, aucun des produits actuellement en phase III – contenant tous du N-9 – ne montre une efficacité quelconque contre le VIH. Les essais sont pourtant maintenus, à la recherche d’un illusoire dosage optimal.
« Dans l’état actuel de la science, nous aurons probablement un microbicide avant d’avoir un vaccin » a déclaré le Dr Piot, directeur exécutif d’ONUSIDA, en ouverture de la conférence Microbicides 2000. Edifiante déclaration. Surtout quand on sait que, malgré les échecs cumulés avec le N-9, l’ONUSIDA, pour sa part, en est toujours à financer une recherche sur ce produit en Afrique du Sud, au Bénin, en Côte d’Ivoire et en Thaïlande – tout en se dispensant de communiquer ses données pendant la conférence.
En France, une cellule de l’ANRS se penche sur le chlorure de Benzalkonium, spermicide connu sous le nom de Pharmatex . Ce produit détruit également le VIH in vitro et les tests effectués sur des macaques s’avèrent prometteurs, mais il serait hâtif et dangereux de conclure à une efficacité sur l’être humain. Des gynécologues prescriraient pourtant déjà ce produit à des personnes ne voulant ou ne pouvant utiliser de préservatif. Ainsi, le département de la Santé de l’Etat de New York suggère aux femmes ayant un risque d’exposition au VIH les options suivantes (classées par ordre d’efficacité) :
– utilisation du préservatif masculin ou féminin en association avec du N-9 ;
– utilisation du préservatif sans N-9 ;
– utilisation du diaphragme en association avec du N-9 ;
– en dernier recours, utilisation de N-9 seul.
La politique de réduction des risques, appliquée à la prévention, semble oublier que conseiller un produit dont l’efficacité est présumée ou partielle, c’est avant tout exposer les individus à une contamination. Il n’y a pas de demie mesure en matière de protection. Et, pour autant que la science en témoigne, il n’existe pas à l’heure actuelle de microbicide efficace contre le VIH.
Difficile dans ces conditions d’être enthousiaste à court terme en ce qui concerne les spermicides. La recherche doit avancer. En matière de prévention, rien ne rivalise aujourd’hui avec la traditionnelle capote.
La recherche menée sur les microbicides a pourtant une actualité qu’il faut suivre. La plupart des essais à grande échelle se font dans des pays pauvres. La séroprévalence au VIH y est élevée et l’on peut relativement facilement recruter une population précaire, peu informée de ses droits et des exigences de l’éthique. Ainsi, par exemple, des essais recrutent tout particulièrement des femmes prostituées pour lesquelles il est délicat d’utiliser le préservatif, qui ont des rapports sexuels fréquents et donc un risque plus élevé d’être infectées. Bref, une population idéale pour mesurer les taux de contamination !
Selon les protocoles, on compare deux bras : préservatif et placebo versus préservatif et gel microbicide. On peut pourtant douter du caractère éthique de ce type de recherche. Quels moyens sont mis en œuvre pour encourager et garantir l’utilisation du préservatif ? L’expérience acquise depuis 15 ans en matière d’essais thérapeutiques dans les pays en développement n’est pas faite pour nous rassurer sur les pratiques des promoteurs de recherche. Lorsque nous leur posons, par ailleurs, la question de l’accès aux soins pour les personnes contaminées au cours de la recherche, ils nous répondent que c’est au gouvernement local de prendre ces décisions et éventuellement de s’engager financièrement pour permettre la mise sous traitement de leurs cobayes. Une fois de plus la raison économique prend le pas sur l’intérêt des populations.
Si la recherche sur les microbicides est indispensable, elle ne doit pas se faire au détriment de populations pauvres dont on abuse. Une fois de plus la question de la responsabilité des promoteurs d’essais doit être posée. De même que celle du droit des personnes enrôlées et du droit des malades, quel que soit le pays dans lequel ils se trouvent.