Traitements du sida et traitement de la séropositivité, même combat ?
La question la plus débattue depuis un an lors des congrès internationaux sur le VIH-sida semble être : quand traiter ? avec son corollaire : quand changer de traitement ?
Nous ne sommes pas médecins, ni chercheurs ; nous sommes des hommes et des femmes séropositifs qui avons compris que nous devions accepter que nos organismes soient, pour le meilleur et pour le pire, transformés en laboratoires d’expérimentation au service de la recherche médicale et clinique. Nous l’avons accepté à la condition d’être des partenaires de soins et non pas de simples cobayes ; et pour cela nous nous sommes regroupés pour travailler et partager les informations que nous possédions chacun de notre côté.
Nous nous sommes battus pour que des traitements efficaces soient disponibles pour mettre fin à l’hécatombe. Nous accompagnons, en en faisant l’expérience dans notre corps, la recherche médicale et nous nous efforçons d’analyser au quotidien ce que la presse nomme de manière précipitée, voire abusive, des avancées thérapeutiques.
C’est en tant qu’experts de terrain au sens propre, gavés de littérature scientifique, que nous prenons la parole sur le VIH et que nous sommes en mesure de passer du statut de partenaires de soins à celui de partenaires de la recherche.
Ainsi, avant même de mettre dans la balance bénéfice/risque le poids de la trop difficile adhésion complète aux trithérapies, il nous paraît évident que l’on ne peut répondre à ces interrogations relatives à l’opportunité d’un premier traitement ou d’un changement de traitement, qu’en posant une question plus en amont encore, et d’apparence paradoxale : pourquoi traiter ?
On sait que la période dite de latence, durant laquelle l’hôte s’accommode tant bien que mal du virus sans développer d’infection opportuniste, dure en moyenne 7 ans. On sait que ce n’est pas tant le nombre de cellules CD4 présentes à un instant donné que la décroissance plus ou moins rapide de celui-ci qui annoncera l’évolution de la maladie et la fin prochaine de cette période dite de latence. On sait enfin que la charge virale est plus ou moins corrélée à la chute des CD4, mais qu’elle ne constitue pas, à elle seule, un élément permettant de signaler l’entrée ou non dans la maladie sida.
Nous avons tous pu constater la formidable puissance antivirale des polythérapies anti-VIH, mais aussi leurs limites. On ne reviendra pas ici sur les difficultés sans doute insurmontables qu’il y aurait à observer scrupuleusement, une vie durant, des prescriptions médicamenteuses aussi lourdes et aussi compliquées. Nous voudrions par contre insister sur les problèmes majeurs liés à ces thérapies :
– les effets secondaires dus aux intolérances médicamenteuses et aux interactions mal maîtrisées entre les différents traitements
– les infections parallèles récurrentes.
Les effets secondaires
Ils sont multiples. Les mieux documentés sont ceux qui apparaissent dès l’initialisation du traitement et dans la plupart des cas s’estompent au cours des premières semaines (nausée, vomissement, insomnie, sécheresse cutanée, perte de l’équilibre, diarrhée, fatigue musculaire ). Beaucoup de ces effets cependant ne s’estompent pas (neuropathies sous Zérit, Videx, Hivid ; diarrhées sous Viracept ; etc.).
Les effets secondaires à long terme sont de plus en plus évidents quoique mal définis et sans explication (neuropathies irréversibles, trouble du métabolisme des graisses et des sucres, toxicité mitochondriale, ostéonécrose et ostéoporose, atteintes cardio-vasculaires).
Entre ces deux extrêmes, il y a enfin des effets secondaires qui semblent être dépendants de la durée et apparaissent au bout de plusieurs semaines ou de plusieurs mois ; ces effets secondaires sont similaires à ceux apparaissant en début de traitement, mais sont beaucoup plus virulents.
Les intolérances médicamenteuses
Elles sont parfois sévères, parfois dramatiques. Elles peuvent être notamment cutanées (syndrome de Lyell, rashes, déshydratation), digestives (insuffisance hépatique, pancréatites), rénales (lithiases, insuffisance rénale), hématologiques (anémie, hémorragies)
Les infections parallèles récurrentes
Il peut s’agir de bronchites, angines, sinusites, conjonctivites, et autres infections en tout genre qui reviennent périodiquement et prennent des proportions telles qu’elles nécessitent souvent une hospitalisation, alors même que les patients concernés » répondent » bien à leurs traitements anti-VIH. Fréquemment, les cliniciens ne trouvant même aucun agent pathogène à incriminer tentent en désespoir de cause un traitement anti-micobactéries atypiques (Mac).
Tous ces problèmes ne sont en aucun cas liés à l’infection à VIH, ils sont liés à certaines démarches thérapeutiques (cf. l’éditorial de février 98 de la revue Nature Medicine signé par le virologiste Mario Roederer), de même qu’une trop grande partie des décès de personnes séropositives observés depuis deux ans, dans les pays riches, ne sont pas directement liés au sida, mais paradoxalement aux drogues anti-VIH.
Les seules personnes pour qui un bénéfice réel dû aux antirétroviraux a pu être prouvé sont celles qui étaient réellement malades du sida et seraient mortes d’infections opportunistes. Malheureusement, on peut redouter désormais que la majorité des séropositifs mis sous traitement bien trop précocement auront une vie raccourcie du fait des traitements. Les plus maltraités étant ceux qui ont reçu une trithérapie à la découverte de leur primo-infection ou des mois qui suivirent. Les trithérapies constituent clairement une thérapeutique efficace contre le sida. Par contre le recours aux HAART (thérapies anti-virales hautement actives) chez les personnes séropositives ne développant pas d’infections opportunistes n’a rien permis de démontrer, sinon leur capacité à être Toxiquement Hautement Actives.
Aux Etats-Unis comme en Europe, de plus en plus de médecins s’insurgent enfin contre cette stupidité énoncée par David Ho en 1995 : traiter tôt, traiter fort ! Néanmoins, les langues restent encore bloquées du fait des enjeux économiques gigantesques que représente la thérapeutique anti-VIH dans les pays riches et de la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur les prescriptions hospitalières et du chantage qu’elle exerce sur les agences sanitaires pour l’obtention en temps record d’AMM (autorisation de mise sur le marché) pour les antirétroviraux.
Ainsi, sans doute, à la question :
– pourquoi traiter ? On devrait pouvoir répondre : pour enrayer la maladie sida.
– quand traiter ? Sans doute faudrait-il répondre uniquement : quand un patient déclare un sida ou qu’un examen clinique approfondi révèle l’imminence d’une entrée en phase sida, avec probablement comme objectif principal d’arrêter au plus vite le traitement, pour le reprendre au plus juste, l’arrêter de nouveau, etc.
– quand changer de traitement ? On devrait répondre : en cas d’intolérance au traitement remettant en cause l’efficacité de celui-ci ou la santé du patient et en cas d’échec thérapeutique biologiquement avéré, confirmé par un examen clinique approfondi.
En d’autres termes, il nous apparaît de plus en plus urgent que les acteurs de la santé publique, alertés par leurs patients, les associations de séropositifs et leur conscience professionnelle, s’engagent au plus vite dans la recherche qui leur incombe : définir au mieux l’équilibre bénéfice/risque d’une polythérapie anti-sida et tendre vers l’exposition minimale nécessaire des personnes séropositives à ces chimiothérapies aux effets secondaires si dévastateurs.