C’est devenu une habitude : à chaque conférence, l’Etat français, en la personne du ministre de la Santé du moment, multiplie les déclarations tonitruantes, lance des idées généreuses et spectaculaires, et vante le caractère exemplaire de l’engagement français dans la lutte contre le sida.
Durban, Afrique du Sud (13ème congrès mondial sur le sida) — Bref rappel : en 1994, Simone Veil convoquait depuis Yokohama un sommet mondial des chefs d’Etat, au cours duquel Edouard Balladur promettait 100 millions de francs qui n’ont jamais existé ; en 1997 à Abidjan, Jacques Chirac prêchait l’accès aux antirétroviraux pour tous ; en 1998 à Genève, Bernard Kouchner contait, avec une habileté de bateleur, les premiers pas du Fonds de Solidarité Thérapeutique International (FSTI) lancé dans la foulée d’Abidjan ; aujourd’hui, Dominique Gillot vient de convoquer la tenue à Paris d’une Conférence mondiale sur l’accès aux traitements.
A la sortie des conférences internationales, la politique française est beaucoup moins reluisante :
faiblesse de la contribution financière au FSTI
La France a jusqu ‘à présent alloué 40 millions de francs pour deux ans au FSTI. Cette participation financière est ridicule en regard des besoins des pays en développement, et incapable d’entraîner une dynamique sérieuse auprès d’ autres bailleurs de fonds. Aujourd’hui, moins de la moitié de cette somme a été dépensée.
faiblesse des programmes engagés par le FSTI
En Côte d’Ivoire, 200 femmes seulement ont bénéficié d’une prophylaxie par AZT pendant leur grossesse. Une seule femme a ensuite eu accès à une trithérapie. En avril, 86 patients avaient bénéficié d’une prise en charge par le FSTI de 20 % du coût de leur traitement. Au Sénégal, le programme de prévention de la Transmission Mère Enfant du FSTI, qui n’a pas démarré, n’organise ni l’accès aux antirétroviraux ni même aux traitements contre les maladies opportunistes des femmes et de leur famille. Au Maroc, le FSTI fournit quelques boîtes de médicaments – une seule molécule, pour 63 personnes – en complément de ce qu’achète le gouvernement local.
pressions françaises contre les pays producteurs de génériques
Il y a deux ans, au cour du conflit qui opposait l’Afrique du sud et les USA sur la question des licences obligatoires, Jacques Chirac sommait l’Afrique du sud de renoncer à produire des génériques de médicaments de marque : les intérêts de la France, des Etats-Unis et des multinationales pharmaceutiques étaient en jeu.
complicité avec les multinationales pharmaceutiques
Partout où elle intervient, la France favorise le monopole des multinationales en prenant délibérément le parti d’acheter les traitements aux prix forts, c’est-à-dire aux compagnies détentrices des brevets, comme Glaxo-Wellcome. Elle a jusqu’à présent refusé de se procurer des génériques, qui permettraient de soigner plus de malades pour le même prix.
démantelement de la politique de coopération
Le gouvernement français liquide les financements sida pour les pays pauvres. Au Sénégal, par exemple, une partie du budget santé de la Coopération utilisé pour l’achat de traitements contre les maladies opportunistes ne sera pas reconduite. Partout, les postes de conseillers techniques sont supprimés. Les structures de prise en charge perdent leurs financements. En quatre ans, l’aide au développement a été réduite de 34%. Le ministère des Affaires étrangères s’oriente vers un saupoudrage des fonds, faisant passer de 25 à 57 le nombre de pays qui en bénéficient. En outre, la responsabilité de la lutte contre le sida jusqu’à présent confiée aux chefs de mission de la Coopération incombe désormais aux ambassadeurs. On ne peut imaginer symbole plus désastreux d’une politique désormais réduite à la mondanité et au clientélisme.
Ce matin à Durban, Dominique Gillot faisait encore une publicité éhontée du FSTI. Poudre aux yeux : le FSTI, qui aurait pu être un outil au service des malades, n’est ni international, ni thérapeutique, ni solidaire. Il y a un mois, la délégation française à l’Assemblée générale de l’ONUSIDA consacrait toute son énergie à imposer l’organisation, sous l’égide de l’ONU, du sommet que Mme Gillot vient d’annoncer. Ce faisant, elle concurrençe et menace le processus de reprise en main, par les gouvernements africains, des négociations sur les prix des traitements. La France se moque des malades, elle se moque des pays en développement. Il est temps qu’elle se taise.