Pendant la dernière conférence internationale sur le sida, à Durban, en juillet 2000, les militants d’Act Up placardaient une affiche exigeant des firmes pharmaceutiques de nouveaux traitements, moins toxiques. Si les séropos du Nord se sont précipités pour en emmener un exemplaire, en revanche les réactions hostiles des cliniciens ont fusé : “ il ne faut pas décourager les gens de prendre des traitements ! ”. À nouveau, les médecins sont en porte-à-faux avec les malades.
À cela rien d’étonnant si l’on considère les relations (d’argent) qui les lient souvent étroitement aux laboratoires. Entre l’industrie pharmaceutique et les séropos, les médecins ont cette fois encore choisi leur camp. Alors que les bénéfices immunologiques des traitements sont en régression et que les affections graves liées aux effets secondaires se multiplient, il est difficile d’observer leur attitude sans être en colère. En écho aux firmes pharmaceutiques qui se font les hérauts d’une nouvelle ère du sida chronique, du sida tranquille, sans problème, les médecins intègrent et répercutent le discours qui érige la trithérapie en panacée.
En 1984, un malade nouvellement diagnostiqué mourait du sida dans les 6 mois. Depuis, la plupart des séropos ont “ bénéficié ” d’une “ chronicisation ” de leur infection. Dans le même temps et notamment ces quatre dernières années, le terme de chronicité est martelé comme pour effacer la réalité de l’épidémie et le vécu des séropositifs. Cette propagande béate “ sous la trithérapie, la plage ” est assez puissante pour que des séropositifs sous traitement dénient eux-mêmes la maladie, sous l’œil bienveillant des laboratoires et des journalistes à leur botte qui nous vendent “ la baise sans kpote ” comme le dernier des combats libertaires.
S’attaquer aux effets secondaires quand on est sous traitement, c’est évidemment être schizophrène. Les traitements prolongent des vies. Dans le même temps, outre les lourdes contraintes d’observance qu’ils imposent, ils provoquent des effets secondaires tous plus handicapants les uns que les autres et quelquefois sérieusement destructeurs. A l’échelle individuelle, le choix se trouve réduit à cette alternative : prendre ses traitements et ne pas mourir du sida, pour mourir d’un cancer, par exemple… ou, ne plus les prendre pour éviter le cancer et retomber dans le sida.
Au niveau institutionnel, les moyens mis en place pour combattre ces effets secondaires sont dérisoires et ne permettent même pas d’en évaluer la prévalence. Il y a 3 ans que les activistes ont sonné l’alarme sur le problème des effets secondaires induits par les antiviraux. Pourtant l’immobilisme général prévaut. L’ANRS a constitué une AC (action coordonnée) sur les lipodystrophies qui reste totalement inactive. La nullité caricaturale de ce groupe de recherche qui dilapide les fonds publics n’est d’ailleurs qu’un aspect parmi d’autres de l’attentisme ambiant. En ce qui concerne la surveillance et l’incidence des effets secondaires, il paraît donc difficile de s’en remettre aux agences publiques. Aux dernières nouvelles, pour des raisons plus ou moins obscures, les responsables de l’AFSSaPS ont pris la décision de retarder la mise en place d’un programme de pharmacovigilance sur les anti-VIH.
Certes les lipoatrophies (le creusement des joues notamment) ont plus fait pour la prévention dans le milieu pédé que toutes les campagnes gouvernementales réunies. La visibilité des séropos sous traitement est indéniable même dans les bars les plus tamisés. Mais personne ne semble s’inquiéter des conséquences de plus en plus graves et parfois mortelles de ces traitements.
La réaction des séropositifs devant les effets secondaires et la mise en cause des antiviraux ont finalement contraint les laboratoires à mettre en sourdine la systématique célébration de la beauté des corps dans leurs publicités. Souvenons-nous du joli biker vantant les mérites de la d4T – une chose est sûre, lui n’en prenait pas. Idem pour le Crixivan® et son escaladeur ! La dernière en date était publiée il y a un an par Roche : au dessus de visages illuminés, on lisait “ Viracept®, chronicise l’infection à VIH ”. Avec un peu d’honnêteté Roche aurait mieux fait d’indiquer qu’avec le Viracept®, c’est surtout à la chiasse que s’applique la chronicité. Mais en matière d’effets secondaires, les laboratoires préfèrent jouer la désinformation. Alors qu’ils sont les premiers informés des conséquences indésirables de leurs molécules, ils évitent de communiquer ces données afin de pouvoir imposer des prix de vente toujours plus élevés. L’exemple du Kaletra® – une combinaison de ritonavir et de lopinavir (ABT-378) – illustre bien les pratiques des laboratoires à ce sujet.
Ainsi, lorsqu’au cours d’une réunion, les activistes demandent à Abbott quels sont les effets du Kaletra® au niveau psychotrope, lipodystrophique ou osseux, ses représentants disent ne pas avoir de données à ce sujet. Des cas de paranoïa ou de crise d’angoisse de malades sous Kaletra® ont déjà été signalés dans les associations, mais les médecins du laboratoire prétendent l’ignorer. En revanche, et curieusement, ils sont en mesure de signaler des cas d’euphorie. Mentionner des effets secondaires “ agréables ” quand on dément l’existence d’effets secondaires “ embarrassants ”, voilà qui en dit long sur la volonté de transparence du laboratoire. Malgré cette absence d’étude officielle sur les éventuels effets du traitement, et parce que le Kaletra® est sans doute l’antiprotéase la plus puissante du marché, Abbott n’hésite pas à en demander 42 000 francs par an et par personne. Considérant par ailleurs le peu d’engagement du laboratoire en faveur de l’accès à sa molécule en compassionnel – il aura fallu des mois pour que cela se mette en place – on pourrait s’étonner qu’il bénéficie d’un prix de vente aussi élevé.
Parallèlement, les laboratoires poussent à une inflation des prix des molécules déjà sur le marché – la logique voudrait pourtant que, tenant compte des effets secondaires, ces prix soient revus à la baisse.
Jusqu’à présent les pouvoirs publics se sont montrés incapables de contrecarrer les stratégies commerciales de l’industrie pharmaceutique. Dans tous les cas de figure, leur attitude en matière de tarification des médicaments est plus que suspecte.
D’une part, il est rarement possible de prévoir à l’initiation d’un traitement les effets secondaires qui vont survenir. D’autre part, il paraît impossible de s’interdire a priori, sur la base de considérations statistiques, la prise d’un antiviral (surtout dans le cas d’effets secondaires réversibles à l’arrêt du traitement).
Parmi les effets secondaires, certains, pudiquement appelés “ effets indésirables ” sont mieux répertoriés et inscrits sur la notice du médicament. Ils n’en sont pas moins invalidants et peuvent nuire à la compliance, parfois au point de conduire à un échappement thérapeutique. Ainsi, les diarrhées qui peuvent accompagner la prise de nelfinavir sont aujourd’hui la principale cause envisagée pour expliquer une moins bonne efficacité de cet antiviral par rapport à d’autres antiprotéases. Il est donc important en cas de persistance des effets secondaires d’envisager soit un traitement pour y pallier, soit une nouvelle combinaison antivirale mieux tolérée.
Toutes les classes d’antiviraux attaquent potentiellement le foie, a fortiori chez les séropositifs coinfectés au VHB ou au VHC. De ce point de vue, le ritonavir est l’antiviral le plus dangereux, suivi par la névirapine et l’indinavir. D’autres antiviraux comme la d4T et la ddI sont susceptibles de provoquer des hépatites. Des cirrhoses, survenant aussi bien chez les monoinfectés que chez les coinfectés, imposent une surveillance hépatique systématique à l’initiation d’un traitement – surveillance d’ores et déjà pratiquée pour les coinfectés et qui se poursuit en routine.
Mise en évidence par les lipoatrophies, la toxicité mitochondriale des INTI (Inhibiteur Nucléosidique de la Transcriptase Inverse) est l’objet de nombreuses études en cours. Elle correspond à un dysfonctionnement des cellules dû à la perturbation de la métabolisation du sucre et des graisses. Cette toxicité expliquerait également les effets d’ordre pancréatique, myopathique ou hématologique des INTI. Plusieurs études indiquent une responsabilité de la d4T dans la survenue de lipoatrophies, qui pourraient également être attribuées mais dans une moindre mesure à l’utilisation durable des autres INTI. Ces lipoatrophies ne se limitent pas aux joues, mais touchent, par exemple, la plante des pieds ou la base du coccyx, rendant les contacts avec ces parties du corps très douloureux.
Les neuropathies, qui se manifestent notamment par un fourmillement dans les pieds ou dans les mains, sont le principal effet secondaire provoqué au niveau neurologique par les INTI et sont assez bien documentées. La d4T – certaines études montrent qu’un volontaire sur 4 est touché – la ddC et la ddI sont incriminées. Les douleurs entraînent souvent l’arrêt du traitement. La réversion des symptômes peut nécessiter jusqu’à huit semaines. Dans certains cas, les dommages ne sont pas réversibles, il est donc préférable quand ces symptômes surviennent de changer rapidement de traitement si cela est possible.
La toxicité sur le pancréas est principalement associée à la prise de ddI et de façon moindre de ddC et de 3TC. La prise de d4T, avec ou sans hydroxyurée, pourrait entrer en synergie avec la ddI, accentuant la toxicité de celle-ci et aggravant de façon considérable la pancréatite. De plus, certains effets secondaires des antiprotéases (hypertriglycéridémie…) favorisent, en association avec la d4T, l’apparition des pancréatites. Les symptômes sont divers : douleurs ventrales, vomissements, jaunisse, constipation. Les pancréatites entraînent rarement le décès, cependant, leur développement rapide en complique le suivi. Une surveillance régulière des enzymes pancréatiques est donc nécessaire pour tout traitement incluant de la ddI.
L’AZT est le principal incriminé quant aux effets secondaires hématologiques. Il peut engendrer une diminution du nombre de globules blancs (ce qui peut également se produire, quoi que moins fréquemment, avec d’autres INTI) ou de globules rouges.
L’apparition de rashs est fréquent lors de la prise d’un INNTI (Inhibiteur Non Nucléosidique de la Transcriptase Inverse), particulièrement avec la névirapine et de façon moindre avec l’efavirenz. Les femmes sont plus exposées à cet effet secondaire. Des études rapportent qu’environ 10% des volontaires suivant un traitement avec de la névirapine développent des rashs sévères. Le syndrome de Stevens-Johnson (dont les premiers symptômes sont semblables à ceux d’une grippe et sont suivis de rashs sévères) peut apparaître à l’initiation d’un traitement par névirapine (pour moins de 1% des patients). Quelques décès ont été rapportés.
Les principaux effets secondaires de l’efavirenz sont psychotropes. Ils affectent environ la moitié des personnes sous traitement et sont plus ou moins handicapants : irrascibilité, euphorie, problèmes de concentration, dépression, voire tendances suicidaires.
Les effets secondaires majeurs des antiprotéases concernent les lipodystrophies liées à des perturbations métaboliques (variations des taux de triglycéride ou de cholestérol, voir Protocoles n° 14). Ils entraînent des changements de la répartition des graisses dans le corps – les graisses disparaissent notamment des jambes pour s’accumuler au niveau de l’abdomen. Outre les conséquences esthétiques, ces concentrations adipeuses décuplent les risques d’attaque cardiaque. Si ceux-ci ne sont pas officiellement répertoriés, les associations ont cependant connaissance de plusieurs cas d’attaques cardiaques, parfois mortelles, depuis que les antiprotéases sont sur le marché. En outre, une augmentation des cas est à craindre avec la prolongation du traitement par antiprotéase et le cumul d’autres facteurs à risques (tabagie, hypertension). Les perturbations métaboliques peuvent également entraîner l’apparition de diabète. Les antiprotéases affectent également la libido.
Ostéoporoses (diminution de la densité osseuse provoquant des tassements et des fractures) et ostéonécroses (destruction des os) semblent être associées à la prise d’antiprotéases. Celles-ci accélèreraient le développement d’ostéoporoses et seraient responsables de la survenue d’ostéonécroses. Selon plusieurs études, environ 20% des séropositifs traités par antiprotéases sont touchés par l’ostéoporose. 4% des patients seraient atteints d’ostéonécroses.
L’indinavir peut causer des problèmes néphrétiques, notamment l’apparition de caillots dans les reins, ainsi que des diarrhées. Les nausées sont fréquentes avec la prise de ritonavir ou d’AZT. Le nelfinavir entraîne des diarrhées importantes pour 1 séropo sur 3. L’AZT peut également provoquer des myopathies. L’abacavir a pour effet secondaire majeur une réaction d’hypersensibilité (symptômes grippaux, rash) nécessitant l’arrêt définitif du traitement (la reprise du traitement pouvant provoquer la mort) et qui touche environ 3% des séropositifs. La ddI peut, elle, être responsable de troubles gastriques (réduits avec la nouvelle formule du Videx®), ainsi que de diarrhées.
Cette liste d’effets secondaires n’est pas exhaustive. Régulièrement de nouvelles conséquences plus ou moins graves des traitements sont répertoriées. Toute personne sous traitement est susceptible d’y être confrontée. On suspecte par ailleurs les traitements d’être responsables de l’apparition d’affections cancéreuses. En effet, depuis 1996, les lymphomes sont au Nord la seule affection classante (catégorie C) à ne pas avoir diminué (± 0,5% des séropos/an). On note également le développement de carcinomes chez les séropositifs.
L’analyse des données concernant l’évolution des décès de séropositifs met en évidence l’incidence de la toxicité des traitements. Ainsi, dans le dernier numéro du Journal du sida, les statistiques de mortalité de 1995 à 1999 d’une cohorte de 600 à 650 séropos montre qu’en 1995, 112 décès sont survenus. En 1998, leur nombre tombe à 20 puis remontent en 1999 à 32. Cette cohorte permet en outre de répertorier les causes de décès. En 1999, ils correspondent majoritairement à des cirrhoses, pancréatites, et arrêts cardiaques. La plupart de ces décès ne sont pas inclus dans les statistiques du sida dans la mesure où ces affections ne font pas partie des infections opportunistes et qu’elles surviennent dans la plupart des cas chez des individus ayant plus de 200 CD4/mm3. Le même phénomène se produit en ce qui concerne la morbidité puisque les réseaux de surveillance officiels se focalisent sur les infections opportunistes.
Face aux conséquences des effets secondaires pour les malades, le déni et l’attentisme des médecins sont flagrants. Le prochain rapport du comité d’experts sur la prise en charge médical du VIH (rapport Delfraissy) en témoignent. Ainsi, il faut nous battre pour qu’y soit inclue la recommandation d’une radiographie pour les séropos sous inhibiteur de protéase. Par ailleurs, si l’on connaît l’efficacité de l’hormone de croissance pour lutter contre les lipodystophies, les médecins refusent toujours son homologation, obligeant ceux qui en ont les moyens à se rabattre sur les marchés clandestins pour obtenir des anabolisants, sans suivi médical. Il en est de même pour l’accès au New Fill® qui n’est toujours pas remboursé par la Sécurité sociale. Quant à l’acétyle carnitine qui permet de combattre efficacement les neuropathies, il n’est, quant à lui, toujours pas disponible en France malgré les interpellations répétées des activistes depuis deux ans.
Les pouvoirs médicaux ont donc une responsabilité majeure dans le renforcement de l’idée d’une épidémie contrôlée. Outre le mépris qu’il révèle pour les malades, le peu d’attention prêtée aux effets secondaires conduit à sous estimer la réalité épidémiologique, met en péril les séropos et renforce la baisse de vigilance qui prévaut aujourd’hui en matière de prévention.