Le protocole de l’essai Véga sur le New Fill® pour les personnes lipoatrophiées (cf. Action n° 69) devait compter cinquante personnes. A la date du 20 octobre, seuls 35 patients avaient été inclus. Sur ces 35 personnes, 34 hommes et une femme (militante d’Act Up). Sur la liste des patients à recruter, ne figurent que des hommes.
Le vendredi 20 octobre, une délégation de la Commission Femmes d’Act Up-Paris intervenait dans le service de la professeure Christine Katlama, pour protester contre l’exclusion de l’unique femme présente dans l’essai Véga.
La seule femme présente dans l’essai en a été « exclue » au motif qu’elle « perturbait les données ». Elle n’a, en effet, reçu qu’une demi-dose de produit lors de la seconde injection, la première ayant entraînée une violente réaction. On nous dit aujourd’hui qu’elle n’est pas véritablement exclue, puisqu’elle pourra continuer à recevoir le traitement et bénéficier du suivi médical. Pourtant, les données la concernant ne seront pas retenues dans le cadre de l’étude. Ses résultats qui ne correspondent pas aux attentes des chercheurs ne seront donc ni observés, ni exploités, ni interprétés.
De la « misogynie » ? Si le terme a pu paraître blessant aux médecins que nous avons rencontrés, quelques propos lâchés dans la conversation laissent pourtant penser qu’ils n’en étaient pas vraiment exempts.
Quoi qu’il en soit, les pratiques d’inclusion employées dans le cadre de ces recherches cliniques révèlent au moins une absence totale de prise en compte de problèmes spécifiques aux femmes. Combien de réactions connues, mais non évaluées, combien d’effets secondaires non présents chez les hommes, combien de femmes exclues des essais parce qu’elles perturbent les données faudra-t-il pour qu’on prenne enfin conscience de la nécessité de recherches sexuées ?
En Europe et en Amérique du Nord, la maladie a toujours été pensée comme essentiellement masculine. Ainsi, pendant longtemps on n’a pas imaginé que les femmes puissent être contaminées. Dans les pays du Sud, en revanche, où pratiquement seule a été prise en compte une transmission hétérosexuelle, les femmes ont été présentées, via les modèles épidémiologiques s’appuyant principalement sur la catégorie construite des « prostituées », comme responsables de l’épidémie. Et c’est avant tout le vecteur de transmission et le danger qu’elles représentaient pour les hommes qui ont été retenus. Ainsi, qu’elles soient totalement occultées ou au contraire que l’attention se focalise sur elles, les femmes ne sont jamais réellement considérées comme des patientes.
Mais, alors qu’aujourd’hui ce « paradoxe » a été mis en lumière par des travaux socio-anthropologiques s’appuyant sur l’analyse des rapports sociaux de sexe, alors que l’épidémiologie annonce que pratiquement une personne infectée sur deux est une femme (47,5% de la population adulte d’après ONUSIDA), alors que les études s’accordent pour dire que les femmes sont plus sensibles physiologiquement, socialement et économiquement que les hommes au virus du sida, il est absolument intolérable que les femmes soient encore largement absentes des essais thérapeutiques.
L’argumentaire des professionnels de la santé pour justifier cette exclusion (ou cette non-inclusion) s’inscrit dans une idéologie dominante s’ingéniant à masquer, on ne peut plus classiquement, des pratiques de type sexiste. Les protocoles des essais concernant les malades du sida en général, comme l’écrit un « éminent professeur » : «n’ont jamais tenu compte, sauf pour des raisons strictement scientifiques, de critères tels que le sexe, la race ou autre élément discriminatoire». Dans ces conditions comment se fait-il que dans tel ou tel essai, il n’y ait que des hommes, ou si peu de femmes ? C’est que tout simplement, dans le milieu de la recherche médicale, comme c’est le cas dans la société en général, l’universel, le genre humain, ne sont pensés et construits qu’au masculin.
Pour répondre aux questions concernant l’absence des femmes dans Véga, les médecins de l’essai nous expliquent qu’ils ne se sentent pas concernés et qu’ils ne sauraient retenir une variable sexe « discriminatoire ». Selon eux, le recrutement s’est fait par « ordre chronologique » d’inscription. Le fait que cette liste soit masculine à une exception près ne semble pas leur poser de problèmes, ni susciter d’interrogations particulières. Supposons pourtant un instant que sur les cinquante premières personnes inscrites, il y ait eu quarante-neuf femmes et un seul homme ; quelle aurait été la réaction des responsables de l’essai ?
On peut difficilement nous opposer que les femmes sont moins présentes dans les essais parce qu’elles sont moins nombreuses à être atteintes par le sida et/ou parce qu’elles auraient été touchées plus tard par la maladie. En toute logique, il faudrait en conclure que les femmes, prises en charge médicalement plus tard, doivent être en majorité dans les essais qui nécessitent des patients naïfs.
Les femmes séropositives et malades sont pour la plupart isolées, non organisées, ou moins bien que les hommes. Compte tenu de leur situation, nous attendions au minimum que les cliniciens et thérapeutes, qui sont au plus près des malades, informent les femmes qu’ils traitent de l’existence des essais thérapeutiques, de la même manière et au même titre que leurs autres patients.
Si les femmes sont d’une façon générale tenues à l’écart des essais thérapeutiques, on voit mal enfin comment des études pourraient rendre compte de différences découlant de réactions physiologiques ou biologiques proprement féminines à tel ou tel traitement. Et s’il y a débat chez les militantes féministes autour de « la différence des sexes », en faire état pour légitimer que les corps puissent être traités sans s’interroger sur la nécessité d’en tenir compte ou non, ne serait qu’une nouvelle ruse de la raison sexiste. Il importe que des études aient lieu sur cette question des différences hommes/femmes, et que des données sexuées sortent des protocoles de recherche. Comme le suggèrent les effets secondaires, les divers traitements ne semblent pas agir de la même manière chez les femmes que chez les hommes. Les femmes séropositives ont besoin de recherches et de résultats complets afin qu’entre autres, les médecins n’aient plus à pratiquer des « bidouillages » pour déterminer les doses qu’ils doivent administrer à leurs patientes.
Il est grand temps que la médecine s’intéresse aux femmes séropositives et malades pour elles-mêmes, indépendamment de leur fonction procréative.