Du 22 au 25 novembre s’est tenue à Hambourg la quatrième conférence européenne sur la prise en charge du VIH/sida en prison. Cette année, l’objectif affiché en était « la promotion des soins auprès des usagers de drogue au sein du système judiciaire ».
Les débats réunissaient des représentants d’associations, des médecins et des responsables politiques et administratifs des services judiciaires ou sanitaires de divers pays européens. Les représentants français se comptaient sur les doigts d’une main : avec un médecin de Fleury et une autre représentante associative, nous étions les seuls français présents. Aucun représentant des ministères de la Justice, de l’Intérieur ou de la Santé n’a jugé opportun de venir à une conférence à laquelle assistaient pourtant leurs homologues allemands, russes, italiens, britanniques ou hollandais. Nicole Maestracci, présidente de la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la Toxicomanie) et conseillère de Lionel Jospin en matière de toxicomanie, a annulé à la dernière minute l’intervention qu’elle devait faire. Ainsi, en France, les responsables politiques, premiers concernés par cette conférence, l’ont totalement occultée.
Dès la première journée pourtant, la succession d’interventions ouvrait d’intéressantes perspectives. Nous apprenions, par exemple, qu’en Rhénanie Nord-Westphalie, l’administration pénitentiaire est tenue d’assurer aux détenus l’accès aux traitements de substitution, quand bien même le médecin de la prison le refuse ; que les six prisons de Hambourg disposent de programmes d’échange de seringues, évalués régulièrement, et qu’en sortant de prison, les usagers peuvent bénéficier d’un accompagnement adapté ; qu’en Italie, la loi prévoit, sous certaines conditions, l’inincarcérabilité des personnes séropositives, mesure qui n’est même pas à l’étude en France. Ces exemples mettent en évidence le retard criminel que connaît la France en matière de surveillance épidémiologique du monde carcéral, de grâce médicale, d’accès aux soins pour les détenus malades, de programmes de substitution en prison, de libre choix du médecin, de programmes d’échange de seringues dans le milieu pénitentiaire, ou d’alternatives à l’incarcération. Mais cet état de fait n’intéresse visiblement ni Marylise Lebranchu, ni Dominique Gillot, ni leurs administrations respectives.
En France, les usagers de drogue représentent 30 % de la population carcérale. La prévalence du VIH est de quatre à six fois supérieure en prison qu’à l’extérieur. Aucun programme d’échange de seringues susceptible d’éviter des contaminations par les virus du sida ou des hépatites ne sont pourtant en place. Les détenus atteints de pathologies graves n’ont aucun moyen de se soigner correctement. Ils n’ont accès à aucun minimum social. Les grâces médicales ne sont prononcées qu’au seuil de la mort. Mais, trop occupé à construire des prisons neuves pour y entasser d’autres malades et usagers de drogues, le gouvernement refuse de participer à des discussions visant à améliorer concrètement la situation des détenus, notamment en matière de prévention, d’accès aux soins ou aux traitements de substitution.
Ni en France ni ailleurs, la prison n’est libérée des contradictions ou des aberrations que lui imposent les lois. D’un côté, on prétend régler le problème des drogues par l’incarcération. De l’autre, on laisse la santé des usagers emprisonnés se dégrader. Et ce, sans vouloir admettre que l’enfermement génère l’envie de drogues – et des usages sans doute plus toxicomaniaques que récréatifs des produits ; en confondant sans cesse « santé des usagers de drogues » et «s oin de la toxicomanie » ou « sevrage » ; en préférant, encore et toujours, la répression à la prévention des risques liés à l’usage de drogues.
Pour la quasi-totalité des personnes qui participaient à cette conférence, « promouvoir la santé des toxicomanes », c’était faire en sorte qu’ils ne se droguent plus. Cette confusion des genres n’est pas seulement simpliste et, définitivement à côté de la plaque, elle est dangereuse : en prison comme à l’extérieur, poser le sevrage ou le soin de la « toxicomanie » comme objectifs premiers de la prise en charge médicale des usagers de drogues conduit à éluder leurs véritables problèmes de santé. Ainsi, l’obsession du sevrage fait obstacle à la mise en place de programmes d’échange de seringues ; elle entrave le dialogue entre usagers et médecins – parfois jusqu’à tenir les usagers à l’écart du système de soins ; elle empêche le diagnostic, interdisant de penser les interactions entre médicaments et drogues. D’une façon générale, cette logique amène à inverser les priorités. Or, bon nombre de médecins ont aujourd’hui compris que le risque représenté par le sida ou des coinfections est sans commune mesure avec celui de l’usage de drogues.
Prenant pour appui les obsessions des institutions pénitentiaires, le laboratoire SecuriTech a pu, tout au long de la conférence, faire la promotion de son produit-phare, « sûr, efficace, rapide », le Drugwipe®, qui permet de détecter la présence de drogues par un simple contact, de quelques minutes, sur la peau. Le lendemain de notre arrivée, un tract de protestation d’Act Up, en français, en allemand et en anglais, était distribué : « entre soin et répression, il faut désormais choisir ». L’immense majorité des personnes présentes a soutenu notre initiative – beaucoup ayant été choquées par les contradictions flagrantes de la conférence, mais avouant être restées silencieuses. Le responsable du stand a, lui, poursuivi la présentation de son produit, distribuant gratuitement des gants en latex, « pour éviter que la personne qui manipule le Drugwipe® ne fausse le résultat ».
En France et ailleurs, la prison est le lieu de toutes les régressions. Tout ce qui semble avoir été progressivement acquis hors les murs, le principe de la « réduction des risques » liés à l’usage de drogues notamment, disparaît sitôt passé le seuil des centres de détention.