Aujourd’hui encore, les problèmes liés à la sexualité sont tus et passent pour inexistants lorsque les personnes concernées sont séropositifs. Ce n’est ni en gardant le silence, ni en nous opposant un silence que les problèmes s’arrangeront : problèmes fonctionnels, problèmes d’interactions avec nos traitements, problèmes psychologiques, affectifs, sociaux, problèmes liés à l’absence de parole privée ou publique. Comment évaluer la nature de ces problèmes qui concernent à la fois les hommes et les femmes, à qui s’adresser et que faire ? C’est ce à quoi la RéPI de Toulouse le 22 novembre dernier à tenter de répondre avec le Dr Sophie Bourdoncle (sexologue), le Dr Alain Berrébi (Gynécologue), le Pr Massip (Hôpital Purpan) et Cathy Daniel (Act Up-Toulouse). Voici quelques extraits de cette soirée.
une sexologue s’exprime
Dans l’interrogatoire, il s’agit de restituer avec le malade quelle était sa capacité sexuelle avant la maladie, quelles ont été au cours de sa vie ses expériences de plaisir, d’excitation, quels sont les repères qu’il connaît et comment il peut adapter ses capacités aux circonstances. Compte tenu de mon expérience, un des effets du VIH, c’est de faire oublier aux gens que la sexualité est d’abord une fonction humaine intime, personnelle. Beaucoup de gens, à cause de la culpabilité, de la honte, de la difficulté à gérer le regard des autres, ont du mal à recentrer leur sexualité sur eux, et ont une sexualité beaucoup plus centrée sur l’autre, sur le plaisir et la satisfaction de l’autre. C’est peut-être pour ça que moins de femmes se plaignent de leur sexualité, elles ont moins de problème avec la libido. Une femme, dans le cadre de rapport hétérosexuels, a moins de mal à faire l’amour même si elle ne ressent pas vraiment d’excitation, si elle n’a pas vraiment de jouissance : elle aura quand même une certaine satisfaction de faire plaisir à son partenaire ; le but primaire, la plupart du temps, c’est de ne pas être abandonnée, de ne pas perdre cette capacité de séduire, de se sentir désirée, aimée.
On retrouve ça aussi chez beaucoup d’hommes qui voient leurs codes excitatoires évoluer avec la pathologie. Un homme pouvait avoir une sexualité complètement hédoniste jusqu’à un certain point, c’est-à-dire se satisfaire d’un plaisir un peu égoïste avec un moindre investissement dans la relation à deux. La maladie fragilise, rend moins fort, moins assertif, et ces hommes vont développer et ressentir un changement de leur excitation, et rechercher davantage une relation de confiance, plus intime, et petit à petit, sans forcément s’en rendre compte, négliger ce qui est nécessaire à leur excitation. A ce moment, on va retrouver des problèmes, notamment, d’excitation et d’érection.
alors les médicaments ont une responsabilité ?
Il est évident que beaucoup de traitements agissent chez les patients de manière tout à fait inégale, et il y a des patients qui vont pouvoir supporter des traitements avec des effets secondaires peu intenses. Je me suis aperçue, ceci étant, qu’assez régulièrement, depuis que l’on «switche» les traitements et les anti-protéases, on a des surprises : des patients qui avaient une libido très basse du fait de l’altération de leur état général, due aux anti-protéases parlent spontanément, presque du jour au lendemain, d’une amélioration notable quand on change ou qu’on allège les traitements. Ce peut être Sustiva, Viramune, etc, mais c’est assez régulier pour que l’on pense que les anti-protéases peuvent avoir des effets secondaires tant sur la libido que sur l’excitation.
Ce qui m’étonne, par rapport au début de mon activité (je suis médecin de formation, je n’ai étudié la sexologie que bien après) où l’on passait largement à côté de la sexualité dans les pathologies lourdes, c’est qu’à travers cette maladie on s’aperçoit que des patients, même très atteints, accumulant des pathologies particulièrement lourdes (accumulant lymphôme, hépatite, toxoplasmose cérébrale) ou le chomage… sont aujourd’hui demandeurs de prise en charge (surtout s’ils sont en couple). Il faut, pour tous les médecins (ça semble évident, mais ça ne l’est pas toujours), ne pas hésiter à entendre cette demande, ne pas hésiter à utiliser des «gadgets». Bien sûr, la sexualité, peut répondre à un désir de magie, on voudrait que ça marche tout seul, du premier coup, que ce soit facile, que ce soit le grand amour, que ce soit génial, mais la plupart du temps ce n’est pas ça. Et le Sida vous le fait bien comprendre, que ce n’est pas ça du tout. Alors il ne faut pas hésiter à utiliser de temps en temps ce que j’appelle des «gadgets» : les injections intra-caverneuses et le viagra pour les hommes, pour les femmes il n’y a pas d’équivalent, sinon peut-être les antidépresseurs. En tout cas, l’utilisation de ces «gadgets» peut permettre et entretenir la communication, et l’adaptation à autre chose.
toxicité cumulée, érection, libido et sexualité
Il n’y a pas d’étude précise, on n’a que nos expériences personnelles. Je parlais tout à l’heure d’un patient qui fait exemple : toxicomane, séropositif depuis quinze ans, il a eu un lymphôme en 1993, avec une chimiothérapie, il s’en est sorti en 1996, au moment ou je l’ai pris en charge avec une toxoplasmose cérébrale, dont il s’est ensuite remis.
Il y a peu de temps, il a fait une septicémie impiosamique et dans cette période-là, il était sous trithérapie avec Crixivan, Combivir (Epivir et Rétrovir). Peu après que je l’ai rencontré, il est sorti de sa toxoplasmose, il avait encore une sérieuse altération de l’état général, et il s’est plaint de troubles sexuels. Il avait du mal à avoir une érection, n’avait pas eu d’éjaculation depuis longtemps, etc. On en parle, on fait une évaluation, et il m’explique qu’il est depuis toujours ce qu’il appelle un «peine à jouir» ; de fait, c’est quelqu’un d’un peu lymphatique. Je me suis posé la question, était-ce vraiment les médicaments, peut-être cela tenait-il a son comportement, il y avait par ailleurs beaucoup de facteurs, il se retrouvait au chômage, etc.
Il reste donc sous Crixivan jusqu’au début 1999. Entre temps, il était, avant l’arrivée du Viagra, sous injection intra-caverneuse, il recevait du Icavex régulièrement (une fois tout les dix ou quinze jours), ce qui lui permettait d’avoir des érections, une sexualité qui le satisfaisait, où il avait du plaisir. Il n’arrivait pas systématiquement à l’éjaculation ou à l’orgasme, mais c’était agréable ; sa partenaire était assez satisfaite de ce comportement. Je le mets sous Viagra à son apparition, c’était donc beaucoup plus simple, il était sous doses faibles (25mg) malgré le Crixivan, et l’efficacité était similaire avec peu d’effets secondaires et plus de confort. Puis l’Efavirenz est arrivée et je lui ai dit que compte tenu de tout ce qu’il prenait, avec ça on allait «switcher» le Crixivan ; c’est ce qu’on a fait. Il ne parlait plus régulièrement de sa sexualité, parce que ça avait été fait, il était pris en charge.
Deux mois plus tard, il arrive en me disant que le Viagra c’était terminé, que ça allait beaucoup mieux ; il avait en fait ce que je qualifie d’effet «amphétaminal», c’est-à-dire qu’il était boosté, il n’avait pas d’effets dépressifs, pas de ralentissement, au contraire, il était en forme. Par contre, il était toujours sous Interferon Ribavirine, il y est toujours. Ça va, il a moins de relations sexuelles, mais ça va.
Par contre, avec le Sustiva, j’ai eu 2 ou 3 effets absolument inverses, c’est à dire un état dépressif, un peu larvaire, pas de libido, des ralentis assez marqués, avec des difficultés d’érection. A mon avis, c’est lié à de multiples facteurs, parce qu’il y a un tel ralentissement psychologique, une telle atteinte de l’humeur, que c’est difficile de dire si c’est le médicament qui est à l’origine directe des troubles d’érection. Ceci dit, j’ai en ce moment un patient que l’on m’a même envoyé exclusivement pour ça, et on trouve des signes de toxicité directe, puisqu’il n’y a pas, ou peu d’érection à la masturbation. Et s’il y a le moindre conflit de couple, il y a une grande fragilité de la réponse érectile, avec bien sûr tout ce qui vient se greffer là-dessus du fait de l’état dépressif, avec une grande anxiété de performance et son cortège. Mais avec deux autres patients qui sont sous Sustiva, je n’ai pas constaté d’effets de ce genre : ils ont souffert pendant une certaine période de lipodystrophie avec une atteinte du schéma corporel, entraînant un état dépressif, séparation avec le partenaire, et une conduite non pas vraiment suicidaire, mais difficile. Mais du point de vue de la sexualité, pas de trouble marqué ni de l’excitation, ni de la jouissance ni du désir.
complétons…
Pour être plus précis, j’ai interrogé ces derniers temps un certain nombre de mes camarades sexologues sur les plaintes qu’ils avaient le mieux corrélés avec quel genre de produit. Les deux produits qu’on retrouve le plus souvent, c’est effectivement : d’une part le Crixivan, mais c’est aussi parce que c’est l’une des antiprotéases qui a été la plus utilisé, donc il y a plus de gens susceptibles d’en parler. D’autre part, c’est le Sustiva.
Ce qui est intéressant, c’est que dans un cas comme dans l’autre on en arrive à suspecter le produit parce qu’on constate pour ainsi dire un effet «on/off». C’est très simple : quasiment dans les quinze jours qui suivent la mise sous Crixivan ou sous Sustiva, ça ne marche plus, donc on peut vraiment penser que c’est un effet toxique du médicament. Ça se produit aussi bien chez l’homme que chez la femme, et de la même manière, dans les quinze jours qui suivent l’arrêt du traitement Crixivan ou Sustiva, ça revient… Ça laisse penser qu’il ne s’agit pas d’un facteur psychologique. En tout cas, les plus grandes incidences de troubles constatés, c’est avec ces deux médicaments. Bien sûr, ça ne veut pas dire que ça n’existe pas avec les autres, peut-être n’est-ce simplement pas exprimé, mais en tout cas, c’est déjà un angle d’approche. Si vous êtes sous Crixivan, Sustiva et Zérit, et que ça ne marche pas, vous pouvez vous dire qu’on peut commencer par essayer autre chose.
sustiva quand tu nous tiens !
Le Sustiva peut intervenir de façon tellement importante sur le plan psychologique, comme le dit Nancy, que l’on peut être vraiment dans la dépression, et l’individu extrêmement déprimé n’a plus d’envies. Donc je suis d’accord pour dire que ces effets peuvent exister, et exister de façon très secondaire. Parmi les patients que j’ai traité, trois ont développé un état psychologique extrêmement grave et aigu, ce qui fait que c’était très ennuyeux et qu’ils n’en prendront plus jamais. Il y en a aussi d’autres qui ont été contents. On peut voir de bon résultats, mais sur le plan psychologique, rarement, en général ils ne sont pas bien.
Pour ce qui concerne les antiprotéases, vous l’avez parfaitement dit, c’est le Crixivan qui a été le plus prescrit ; c’est l’un des plus efficaces, mais aussi avec le plus d’effets secondaires peut-être sur le plan métabolique, lipodystrophique. Je dirais que toutes les antiprotéases ont un effet «pseudo-hormonal»… Nous avons fait (et nous avons été les premiers) des études hormonales chez les patients qui avaient des lipodystrophies, parce que la nature des symptômes nous faisaient penser qu’il devait y avoir un dysfonctionnement au niveau des hormones. Nous n’avons pas plus trouvé que les autres de dysfonctionnement ; cependant, il se passe probablement quelque chose au niveau des récepteurs, et chez certaines personnes sous antiprotéases de façon un peu prolongée, il y a sans doute une modification de l’effet que les hormones peuvent avoir sur certaines structures qui font que ça fonctionne ou non. Autrement dit, je pense qu’il y a là un effet partagé par toutes les antiprotéases. Mais de même que toutes les antiprotéases n’entraînent pas de lipodystrophies ou d’hyperlipidémies chez tout le monde, certains n’auront pas de problème. Donc je crois qu’il est intéressant à l’heure actuelle d’avoir à notre disposition quelques médicaments différents, qui nous permettent éventuellement, parfois, de changer et de faire en sorte que l’effet toxique, ou l’effet pseudo-hormonal sera compensé, ou va disparaître avec la prise d’autre chose. Il y a un autre point qui nous fait tous paraître iconoclastes, et certains ont été longtemps critiqués à ce sujet, c’est que pendant longtemps, le fait d’arrêter les médicaments, ça a été un pécher mortel, au sens culturel du terme ; si l’on arrêtait les médicaments, il allait se produire des catastrophes.
Maintenant, plus personne n’est sur cette position. Ce qui est à mon avis vraiment très mauvais, c’est de prendre mal son traitement, mais arrêter le traitement, à condition de surveiller, ce n’est pas très grave. C’est à ce moment là qu’on peut constater l’effet «on/off». C’est-à-dire qu’on arrête ; après, ce n’est pas très bien de reprendre un par un les médicaments pour savoir lequel est à incriminer, parce que dans ce cas on se trouve en monothérapie successive, ce qui n’est pas très bon. Mais on peut essayer d’autres associations, et avec son médecin, on doit pouvoir trouver ce qui fait qu’on est bien ou pas. Autrement dit, je ne crois malheureusement pas qu’il y ait de médicament miracle, de ce point de vue je suis d’accord avec vous, même si les antiprotéases c’est tout de même très intéressant, que ça a sauvé la vie de beaucoup de patients, amélioré la vie de beaucoup d’autres, même si ça en a gâché quelques autres.
les points d’organisation du désir
Vous parler de la libido, et ce n’est pas simple, parce que ça touche énormément de facteurs. Pour ce qui touche l’imaginaire et l’histoire individuelle de chacun, il y a tout de même des points communs qu’on retrouve au niveau de la libido. La sexualité, c’est d’abord une histoire personnelle, intime, et pour qu’il y ait un fil conducteur tout au long de la vie, il faut qu’il y ait une certaine érotisation de soi-même. On doit avoir envie de se faire plaisir d’abord, avant de pouvoir communiquer cette envie de se faire plaisir et de faire plaisir. Si l’on creuse un peu de ce côté, ce qu’on trouve aussi dans la libido, dans le désir – désir de l’autre et désir de se faire plaisir – c’est une certaine assertivité : une confiance en soi, une estime de soi. C’est ce qui autorise chacun à rechercher les moyens de se donner du plaisir et à se sentir d’égal à égal avec quelqu’un qu’on a envie de rencontrer, de toucher, par qui on a envie de se faire toucher. Tout cela regroupe beaucoup de facteurs.
L’altération de l’état général, l’état de fatigue, la sensation d’être diminué physiquement et psychologiquement parce qu’il faut lutter tous les jours contre la peur de la mort, de la maladie, d’être limité dans sa vie quotidienne, tout ça a un impact certain sur la libido. Ceci dit, on en parlait tout à l’heure, il y a beaucoup de chose qui peuvent se compléter ; on peut s’adapter, en fonction des partenaires, si on est motivé pour faire des efforts, entreprendre, continuer, et ne pas rester dans son coin en attendant un miracle. Encore une fois, chaque histoire est individuelle, il faut trouver les points d’organisation du désir : il y a des gens qui ont envie d’amour, simplement de sentiments, qui ont envie de fusionner avec quelqu’un sans forcément avoir besoin de faire l’amour, et puis il y en a d’autres au contraire qui ont besoin de sensations plus fortes, d’émotions purement sexuelles. Ce ne sont donc pas les mêmes moyens à rechercher, à développer, voire à retrouver.
témoignage
Je suis séropo depuis 1983, et moi personnellement je suis hyper-choquée par ce qui a été dit ce soir. La sexualité, on n’en a jamais parlé. Moi j’étais suivie à Paris, maintenant je suis à Lagrave, et la sexualité, on n’en parle jamais. Même quand j’ai des problèmes, ou que je n’ai pas la pêche, vraiment jamais, absolument jamais on n’en parle. J’ai même eu un enfant, et je dois dire que j’ai eu des drôles de propositions. Je n’étais pas préparée, je n’étais pas prête à avoir un gosse, et pourtant je suis encore là, et avec les traitements j’espère pouvoir vivre encore longtemps. Mais ce que je veux dire, c’est qu’à 23 ans, lorsqu’on m’a annoncé ma séropositivité, ça voulait dire être asexuée. Et ça continue, c’est encore entretenu sur ce mode. Jusqu’ici aucun médecin ne m’a jamais donné la possibilité d’engager la discussion sur ce point ; et pourtant je fais tout pour. Souvent, les réflexions qu’on entend laisse penser qu’on est asexués, qu’on n’a plus de vie sexuelle. Donc je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que vous disiez tout à l’heure.
réponse du loup à la bergère
Il faut bien comprendre que les médecins que vous voyez n’ont jamais eu de formation en sexologie. On ne peut pas demander à un médecin d’être thérapeute, puisque finalement il a peut-être exactement les mêmes problèmes que vous. Ce qu’on peut, de fait, reprocher aux médecins, c’est de ne pas avoir senti, compris ces problèmes de sexualité, et de ne pas avoir orienté les patients dans le bon sens. Quand on voit un patient et qu’on laisse passer une maladie, ce qu’on nous reproche ce n’est pas de n’avoir pas su la soigner, mais de ne pas l’avoir détectée, et de ne pas avoir orienté le patient vers le médecin ou l’équipe capable de traiter ce problème. Le cas est le même pour la sexualité. Il faut dire aussi que beaucoup de patients – parce qu’ils ont du mal à s’exprimer sur ce sujet – trouvent des prétextes, viennent nous voir à plusieurs reprises pour des maladies «inventées» pour essayer de nous tendre la perche. Quand on n’a pas l’habitude, ce n’est pas facile de réagir.
un homme intelligent (c’est un médecin)
On s’est souvent trop attachés aux problèmes biologiques en prenant trop peu en considération les problèmes annexes, la sexualité faisant partie de ces problèmes annexes tout de même extrêmement importants qui permettent à un patient de vivre – ou de survivre. Quand on vous dit, à propos d’un traitement, qu’on ne doit pas changer un cheval qui gagne parce que vous avez de très bon résultats, mais que parallèlement vous avez des problèmes que vous n’arrivez pas à gérer, je ne suis pas d’accord. Mais ce n’est pas parce qu’on est séropositif qu’on a plus droit à ce que sa sexualité soit prise en charge que quand on est séronégatif. C’est globalement qu’il y a un déficit de la part d’un certain nombre d’intervenants en terme de santé sur la prise en charge de la sexualité. Il n’y a pas beaucoup de médecins généralistes, ou spécialistes d’ailleurs, qui soient capables de gérer ça. Je ne dis pas que c’est bien. Deuxièmement, on agit par priorité : notre priorité a été d’abord de sauver les meubles. Ensuite, on va les cirer. Pour l’instant, les meubles sont sauvés.
un peu d’histoire par-ci, un peu de sida par-là
C’est totalement inconvenant de parler de sexe, depuis des siècles et des siècles. Tout à coup, non seulement on est pédés, non seulement on est tox, mais en plus on a le Sida, et on veut baiser. Ce serait déjà inconvenant d’en parler si on n’était pas séropos, donc évidemment que pour nos toubibs ça a été scandaleux. On ne vous le dit pas comme ça aujourd’hui, parce qu’on s’aperçoit qu’on survit, mais bien évidemment que c’était scandaleux. Il ne faut pas s’attendre à ce que nos médecins soient les personnes les plus aptes à prendre en charge nos problèmes sexuels. J’ai beau jeu de taper sur les médecins, mais c’est aussi les plus aptes à médicaliser votre sexualité. C’est pour ça que c’est formidable quand Nancy vous dit, à propos du Viagra, non pas «ce médicament», mais «ce gadget», parce que ce n’est rien d’autre qu’un gadget. Et parce que si elle vous file du Viagra, ce ne sera pas dans l’optique de médicaliser votre sexualité. Faites donc très attention à ce que vous allez demander aux toubibs : ce ne sont pas des sur-hommes et des sur-femmes ; en plus, ils peuvent effectivement vouloir vous faire plaisir en cirant le meuble et tapant à côté.
Maintenant il y a des choses à entendre et il y a des sexologues. Évidemment, il y en a des bons et des mauvais, comme dans toutes les spécialités. Aujourd’hui vous savez que vous avez de bons cliniciens VIH, et il faut entendre par bon celui qui vous correspond. Il peut y en avoir de bons pour les autres et pas pour vous, de la même manière, vous tomberez sur des sexologues qui pour vous seront des bons et sur d’autres qui pour vous seront mauvais. Faites simplement un peu le tri. Et dites vous bien que plus vous parlerez de sexualité, plus vous y serez épanouis (bien que séropos, bien qu’un tout petit peu trop extravertis), plus vous allez emmerder. C’est normal. C’est toujours comme ça que ça se passe.
et le préservatif alors ?
On n’est pas là pour parler de prévention, mais ça fait quand même partie de la relation sexuelle. Le préservatif c’est un gadget, ça peut quand même être un peu sordide. Beaucoup de patient sont venus me voir pour me demander comment se débrouiller avec ça, qui disaient «j’ai trouvé une copine, comment je fais, ça me fait débander, c’est l’horreur».
Leur représentation, le symbole qu’il y a derrière le préservatif c’est ça. Le message qu’on essaie de faire passer, c’est que ça peut être un gadget synonyme, symbole de précaution, c’est ce qui permet de faire l’amour tranquille, sans risque, et il faut faire en sorte de ça fonctionne. Ça aussi, c’est un gadget, pas parce que la société veut qu’on mette un préservatif, parce qu’il faut mettre un préservatif. Chacun est libre de décider de contaminer ou de ne pas contaminer, d’avoir une grossesse ou de ne pas avoir une grossesse, ça n’est pas le problème. La question, c’est que quand on met un préservatif il faut savoir pourquoi : parce qu’on a envie de le mettre, que ça va faire plaisir. Les campagnes à ce sujet vont rarement dans ce sens-là, c’est toujours «attention…».
Si vous vous trouvez chez un toubib à qui vous dites que vous avez des problèmes avec la capote et que votre interlocuteur en face vous dit «j’ai le truc, on va érotiser la capote», vous vous levez, et vous sortez. La capote, en soi, elle n’est pas érotisable, c’est la sexualité qui est érotisable. A partir du moment où on sait ce qu’on fait de sa sexualité, on sait ce qu’on fait du préservatif. Mais méfiez-vous aussi des gens qui vont un peu trop vite dans des directions qui ne sont pas suivables.
Le préservatif en soi ce n’est pas le problème. Le problème souvent c’est qu’on n’a pas envie de le mettre, qu’on ne le supporte pas. La question, c’est pourquoi, comment, quelles sont les expériences qui ont amené à ça, en fait. Ce n’est pas du jour au lendemain que c’est apparu comme quelque chose de négatif, ce sont des expériences qui font que c’est un problème.
Effectivement, je ne suis pas surpris que dans le corps médical on ne parle pas de sexualité, parce que depuis deux mille ans on ne parle pas de sexualité. Pourquoi dans le corps médical en parlerait-on plus qu’ailleurs ? La séropositivité fait évoluer les choses là-dessus comme elle l’a fait sur un certain nombre d’autres, et je crois qu’il y a des choses à faire aussi là-dessus. Ceci dit, je voudrais quand même rebondir sur ce que disait le médecin : la pathologie de la séropositivité, c’est bien particulier, puisque c’est une pathologie qui fait suite à des conduites à risques. C’est la sexualité, ou des conduites un peu répréhensibles. Donc si on est séropositif, quelque part on l’a cherché, et on ne parle pas de la sexualité. On est nié, et si on est nié, on l’est à fortiori de la sexualité sur laquelle il y a déjà en soi des difficultés à parler. Maintenant, en tant que séropositifs, on a peut-être notre rôle à jouer aussi, qui serait celui de faire bouger les choses dans ce domaine là.
Il y a des médecins qui ont une «moralité» et d’autres qui n’en n’ont pas, mais en tout cas, il ne nous appartient à aucun moment de juger les gens. Une maladie n’est jamais pour nous la conséquence d’actes qu’on doit reprocher. Notre travail, c’est de soigner les gens, de leur dire comment ne pas aggraver leur situation, comment ne pas contaminer d’autres personnes, mais pas du tout en jugeant. Je veux bien reconnaître le manque de formation en sexualité et le fait que finalement on n’est pas plus compétent que vous parce qu’on ne l’a pas appris à la faculté, qu’on a probablement nous aussi nos problèmes sexuels, comme tout le monde, et que c’est difficile. Notre travail c’est surtout d’orienter vers les gens compétents, comme on doit le faire quand on n’est pas compétent, quel que soit le problème. Mais en aucun cas on ne doit juger, même si c’est très difficile pour nous, c’est très important.