Lors de la 8e Conférence sur les Rétrovirus et les Infections Opportunistes à Chicago de nombreuses études ont été présentées sur les conséquences du croisement de deux épidémies, la coinfection par le VIH et les hépatites. Nous vous présentons ici deux d’entre elles, l’une réalisée par une équipe de recherche française, l’autre par une équipe espagnole.
Etude 1 :
Cette étude (Abstract n°567) est publiée par l’équipe des services immunologiques et hépatologiques de l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris. Elle porte sur l’analyse des conséquences à long terme (complications et mortalité) d’une cirrhose du foie pour des patients coinfectés VIH-VHC.
S’il a déjà été démontré que le VIH réduit par trois le délai d’évolution vers la cirrhose, cette étude détaille les risques liés au VIH à partir d’une cirrhose compensée (début de cirrhose, fonctions vitales du foie non atteintes). L’étude concerne 373 patients VHC + au stade de cirrhose compensée suivis de 1988 à 1999. 41 d’entre eux étaient coinfectés VIH-VHC, 266 VHC+ avaient déjà une cirrhose compensée lors de la première biopsie du foie. 133 patients ont pu être traités par bithérapie interféron-ribavirine.
Les conséquences liées à la coinfection VIH-VHC en termes de complications et de mortalité ont été évaluées par une analyse multivariée en fonction de l’âge et de la consommation d’alcool. Par rapport aux patients VHC+ seulement, le groupe de patients coinfectés VIH-VHC présentait les caractéristiques suivantes : plus d’hommes et plus d’usagers de drogues par voie intraveineuse, une consommation d’alcool plus importante, une activité histologique plus forte (état des lésions du foie et niveau d’activité du VHC mesurés par le score Métavir), des patients plus jeunes au moment de l’infection VHC et au moment de la cirrhose. La proportion de patients traités était par contre équivalente.
Les complications survenues concernant 74 patients VHC+, dont 12 coinfectés VIH-VHC, sont les suivantes : 36 ascites (gonflement de l’abdomen par de l’eau), 16 hémorragies internes (dues à des varices oesophagiennes), 11 encéphalopathies (atteintes du cerveau). Ces complications sont le diagnostic d’une cirrhose décompensée imposant une inscription en urgence sur les listes d’attente pour greffe du foie. Sur cette période, 23 carcinomes hépato-cellulaires (cancer du foie) ont également été recensés. L’analyse multivariée fait ressortir trois facteurs prédictifs de complications : la séropositivité VIH, l’âge au moment de la cirrhose et la consommation d’alcool. La répartition de ces complications était plus forte chez les hommes, chez les patients ayant une forte consommation d’alcool, ainsi que chez les coinfectés VIH-VHC (en comparaison au monoinfecté) : 50% (coinfectés) versus 13% (VHC+) à 2 ans, 70% versus 40% à 5 ans. Le taux de mortalité par an est aussi nettement plus élevé chez les patients coinfectés VIH-VHC : 21% versus 4,5% à 2 ans, 43% versus 12% à 5 ans. Ce taux est plus faible chez les patients ayant pu bénéficier d’un traitement VHC : 7% versus 5% à 2 ans, 21% versus 10% à 5 ans.
Les analyses multivariées font ressortir plusieurs facteurs prédictifs de mortalité : un âge élevé, pas de traitement contre le VHC et la séropositivité VIH. En conclusion, les risques de complications d’une cirrhose du foie compensée, due au VHC, et de décès sont augmentés par la séropositivité VIH, mais la survie peut être améliorée par un traitement contre le VHC par bithérapie interféron-ribavirine.
– Note : Quel va être l’enjeu et le prix à payer dans les 5 ans à venir en terme de greffes du foie (toujours inaccessibles aux patients VIH+) et de décès chez les patients coinfectés VIH-VHC ? Il est évident que des mesures doivent être prises rapidement afin d’informer et d’améliorer la qualité du suivi spécifique et de l’accès aux soins dans des services compétents, pour les 35 000 coinfectés VIH-VHC. En France, on oublie qu’il y aurait environ 15% des séropositifs traités coinfectés VIH-VHB, soit environ 15 000. Une étude espagnole a précisé les conséquences actuelles des hépatites virales dans les services hospitaliers VIH.
Etude 2 :
Cette étude (Abstract n°297) a été publiée par l’équipe de l’Institut de Santé Carlos III à Madrid et s’intitule » Quelle est l’incidence des hépatites virales chroniques pour les patients séropositifs VIH en terme d’hospitalisations et de mortalité ? «
De janvier 1996 à septembre 2000, 843 patients VIH+ ont été hospitalisés. 82% sont injecteurs de drogues, 36% VHC+, 4,3% VHB+ (AgHBs+), 1,6% VHD+. Si 46% sont coinfectés par une hépatite, 15% sont coinfectés par plusieurs hépatites. Sur 5 ans, ont été dénombrées 7% d’admissions pour cirrhose décompensée. L’incidence annuelle d’admissions pour hépatopathie sévère ( » phase finale » d’une maladie virale chronique du foie) a augmenté de 5,2% en 1996 à 8,4% en 2000. Alors que le nombre de décès de patients VIH au cours d’une hospitalisation a chuté depuis l’arrivée des antirétroviraux, la mortalité pour complications hépatiques a explosé : 10,9% (6/55) en 1996, 18,5% (5/27) en 1997, 36,7% (8/22) en 1998, 61% (11/18) en 1999, 42,9% (6/15) en 2000.
Conclusion : En Espagne, en cas de coinfection VIH-VHC, le VHC est en cause dans 2 décès sur 3, pour hépatopathie sévère. Le taux des atteintes hépatiques a décuplé dans les admissions hospitalières en 5 ans. Elles sont responsables de la moitié des décès VIH à l’hôpital. Les stratégies de prévention des hépatites, notamment les campagnes de vaccination contre le VHB et VHA, ainsi qu’un accès au traitement contre le VHC (interféron-ribavirine) doivent donc être impérativement favorisés.
– Note : Il va sans dire que nous ne supporterons pas d’entendre les regrets de ne pas avoir mis en place assez tôt une cohorte de suivi hospitalier en matière d’hépatite, y compris pour le DMI2 (base de données clinique des patients VIH+ à l’hôpital) dans lequel les médecins VIH ont longtemps demandé de mentionner les données hépatiques. Après avoir obtenu en juin 1999, de la Direction Hospitalière une enquête sur la coinfection VIH-VHC – puisque l’InVS ne s’intéresse pas à ce sujet » mineur » – nous demandons aujourd’hui aux pouvoirs publics de publier très rapidement une étude nationale aussi précise, répondant aux mêmes questions et tenant compte des répartitions régionales.
100 000 personnes
Si l’hépatite virale a été découverte en 1943, en revanche les virus en cause n’ont été isolés que bien plus tard (1965 VHB, 1973 VHA, 1978 VHD, 1988 VHC, 1990 VHE). Depuis, à chaque nouvelle conférence internationale d’hépatologie, la découverte de nouvelles souches virales est attendue. C’est seulement en 1990 que la spécialité médicale d’hépatologie a été officiellement reconnue en France. En janvier 1999, Bernard Kouchner avait personnellement lancé à grand renfort de médias le Plan National Hépatite C, suite aux prévisions épidémiologiques de 1995 qui confirmaient l’arrivée de cette nouvelle épidémie. On prévoyait alors 500 000 personnes touchées par le VHC, dont environ 20% devaient développer une cirrhose dans les 20 ans à venir, ce qui signifiait 100 000 cirrhoses VHC à traiter. Actuellement on compte en France environ 100 000 patients VIH sous traitement antirétroviral. En ce qui concerne l’hépatite B, les enquêtes épidémiologiques sont aléatoires et incomplètes, mais, à en croire les spécialistes, il y aurait en France environ 100 000 personnes souffrant d’une hépatite B chronique. Ces trois virus imposeraient donc pour un nombre à peu près identique de personnes (100 000) un suivi médical lourd.
Perspectives thérapeutiques
Mais les perspectives thérapeutiques pour ces patients restent maigres et les institutions françaises refusent de se mobiliser.
Ainsi, le dernier espoir thérapeutique contre le VHB s’est récemment soldé par un échec majeur mettant bon nombre de patients dans une situation très risquée. Les premiers signes d’efficacité sur le VHB d’une molécule couramment utilisée contre le VIH, la lamivudine (Epivir® pour le VIH et Zeffix® pour le VHB) étaient prometteurs, surtout pour les coinfectés VIH-VHB. Mais en matière d’hépatite B, faute de décision des pouvoirs publics, il n’existe en France aucune coordination de la recherche permettant de publier rapidement des recommandations thérapeutiques. Ainsi, faute d’étude plus rigoureuse, les médecins ont été enclins à prescrire massivement et trop rapidement cette molécule bien que les hépatologues se soient rapidement aperçu qu’elle générait des résistances, impliquant parfois des mutations du virus lui-même. Aujourd’hui, les patients à qui on a » vendu » ces effets prometteurs se retrouvent en impasse thérapeutique avec une charge virale VHB qui flambe et dans certains cas un réveil dangereux de leur hépatite.
Une autre molécule, l’adéfovir, permet, malgré les résistances et les mutations du VHB, de contrôler efficacement la progression de la charge virale VHB. Pourtant, le laboratoire américain Gilead, propriétaire de cette molécule, ne voit pas l’intérêt aujourd’hui de s’investir sur un marché qu’il juge insuffisant en terme de perspectives financières. Aussi il n’autorise l’accès à ce traitement qu’à de rares services hépato de renom. La DGS (Direction Générale de la Santé) et l’AFSSaPS (agence du médicament) n’ont jamais réagi pour exiger de ce laboratoire une mise à disposition rapide et urgente de ce traitement. Le Ministère préfère se soucier d’équilibre financier plutôt que de réagir efficacement. Les infections virales, sans un plan de lutte coordonné, risquent encore longtemps d’être traitées au cas par cas.
» Les infections virales sont devenues la première cause mondiale de réduction de l’espérance de vie et la deuxième cause de décès dans le monde « écrivait Anthony S. Fauci, directeur du NIAID, Institut National des Maladies Infectieuses et des Allergies aux États Unis, le 1er mars 2001.
» La coinfection du VIH-VHC est un sujet alarmant, mais il est enfin à l’ordre du jour de la recherche grâce au Plan VHC « . C’est ce que l’on peut entendre dans les couloirs des institutions. Pourtant la prise en compte des coinfections VIH-VHB est reléguée aux calendes grecques. Des campagnes d’information sur les hépatites A et B et des campagnes énergiques d’incitation au dépistage et à la vaccination sont indispensables. Après l’expérience de 15 ans de lutte contre le sida, de deux ans de Plan National Hépatite C, il est impensable que l’Etat poursuive dans sa logique de petites économies financières sur le VHB.