Les laboratoires pharmaceutiques occidentaux ont imposé au niveau international des prix de vente exorbitants : une trithérapie coûte en moyenne 5 000 FF par mois. Malgré de rares initiatives nationales, seules quelques centaines de patients ont pu accéder aux traitements, dans les pays où des programmes d’accès ont été implantés (Côte d’Ivoire, Sénégal, Ouganda…).
Les traitements restent beaucoup trop chers. Dans ces conditions, de nombreux gouvernements et la majorité des financeurs refusent de s’engager pour l’accès aux traitements des séropositifs dans les pays pauvres.
En Côte d’Ivoire, après deux ans de négociations avec les compagnies pharmaceutiques, le prix pour un mois de trithérapie reste de 3 000 FF. Face à cette situation, de plus en plus de pays s’intéressent à la production de copies. Ainsi, en Côte d’Ivoire, la pharmacie centrale a finalement décidé d’importer des copies d’antiviraux, moins chères et d’aussi bonne qualité, en provenance d’Inde et d’Espagne.
En Thaïlande, au Brésil ou en Inde, les industries locales (publiques ou privées) se sont lancées dans la production de médicaments antirétroviraux et de certains traitements contre les maladies opportunistes particulièrement coûteux, réduisant ainsi drastiquement les prix de vente.
L’apparition sur le marché de copies fabriquées par les producteurs du Sud pose enfin clairement la question du prix et ouvre de nouvelles perspectives pour les pays en développement. L’ONUSIDA a d’ailleurs mis en évidence dans une étude rendue publique à l’occasion de la Conférence Internationale de Durban sur le sida en juillet 2000 que la mise en compétition des producteurs de copies avec les grands laboratoires constitue à l’heure actuelle le mécanisme le plus efficace pour permettre une réduction effective des prix de vente de médicaments dans les marchés du Sud, plus en adéquation avec la capacité de paiement des pays.
Des solutions existent pour permettre la multiplication des sources de production de médicaments copiés à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués par les compagnies détentrices des brevets, ainsi que l’importation pour les pays ne disposant pas de capacités locales de production. Des dispositions légales sont en effet inscrites dans les accords TRIPS (accords relatifs à la propriété intellectuelle) contractés dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995. Ainsi, un laboratoire détenteur d’un brevet prêt à négocier avec un pays tiers peut céder une autorisation de production locale en échange de royalties : il s’agit alors d’une licence volontaire. Si le laboratoire n’est pas prêt à négocier, un Etat, souverain, peut décider de faire fabriquer par une industrie locale une copie d’un produit dont il a besoin : c’est ce qu’on appelle une licence obligatoire. Cette disposition permet également à un pays ne disposant pas de capacités de production propre d’importer des copies de traitements.
C’est dans ces brèches, prévues par les accords TRIPS comme autant de garde-fous au monopole des grands laboratoires, que des gouvernements et des associations de malades ont tenté de s’engouffrer. Jusqu’à présent pourtant, ces dispositions se sont révélées inexploitables par les pays les plus pauvres : aucun d’entre eux ne s’est vu octroyer de licence volontaire, aucun d’entre eux n’a pu importer de copies de médicaments à partir de pays intermédiaires, aucune licence obligatoire n’a pu être mise en place.
En l’état des rapports de forces, les “ brèches ”, étroites, sont inexploitables. L’intimidation est la règle à tous les stades de circulation des génériques, et les exemples de tentatives avortées abondent.
Les menaces de procès, de rétorsions économiques, la perspective d’affrontement avec les laboratoires occidentaux et les gouvernements qui les soutiennent, Etats-Unis en tête, ont jusqu’à présent eu raison des tentatives des pays pauvres.
Peter Piot, directeur exécutif de l’ONUSIDA, le signalait dans son discours à la Commission européenne le 28 septembre 2000 : “ Le contrat actuel, par lequel nous avons accepté des prix élevés en échange de traitements innovants et de meilleure qualité, a fonctionné pour le bénéfice de tous dans les pays riches. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, en particulier à cause du sida, ce contrat est à remettre en question, puisqu’il exclut des millions de gens de l’accès à ces mêmes produits. ”
Les accords internationaux ont en effet servi avant tout les intérêts des lobbies pharmaceutiques qui dictent leurs lois aux pays. Ils ont ainsi imposé une protection organisée de leur monopole : un respect des brevets sur 20 ans, au lieu de 10, dans tous les Etats membres de l’OMC.
Face à l’urgence qu’impose l’épidémie de sida, il est essentiel que la production de copies se développe dans les pays pauvres et que les importations sud/sud soient rendues possibles afin que les coûts de production des copies diminuent. Les pays en développement ne doivent subir aucun chantage économique, et ne doivent plus être sous la menace de recours devant les tribunaux de leur pays ou de l’OMC. Ils doivent être soutenus dans la mise en place de leur législation sur la propriété intellectuelle dans l’objectif d’utiliser au mieux de leurs intérêts les mesures de sauvegarde de santé publique prévues dans les accords ADPIC. Aujourd’hui il est urgent que des industries locales puissent produire des médicaments génériques dans les pays qui disposent de l’infrastructure nécessaire et exporter ces produits génériques dans les pays privés de capacité de production.
C’est la raison d’être du Sommet pour l’accès aux médicaments génériques anti-VIH/sida : donner les moyens aux acteurs du sud d’agir et de se faire entendre.