Dans la presse pédé, il y a manifestement plusieurs manières d’interpréter les chiffres de l’enquête » InVS / Presse Gay 2000 « . Alors que Têtu titre sur » les chiffres de l’irresponsabilité « et s’inquiète de la recrudescence des prises de risques tant chez les séropos que chez les séronegs, Illico préfère, dans son édition du 15 mars 2001, affirmer : » ce ne sera pas la cata qu’on attendait « .
Qu’importe à Jean-Baptiste Coursaud et Jean-François Laforgerie, tous deux journalistes à Illico, la conclusion du premier paragraphe de leur article : » Les oublis de protection, indéniablement, sont de plus en plus fréquents « . Pour eux, ce ne sera pas la cata. Comment peut-on dans le même temps reconnaître la recrudescence des pratiques à risques, donc une remontée des contaminations par le VIH/sida, et affirmer que la situation n’est pas dramatique ? Les journalistes, et le directeur de publication d’Illico, Jacky Fougeray assument-ils donc la responsabilité d’un discours qui tient le VIH pour mineur ?
Que les chiffres de l’enquête InVS montrent sans équivoque le relâchement des gays en matière de prévention du VIH, donc une explosion plus que probable de l’épidémie dans notre communauté, JBC et JFL s’en foutent. La seule chose qui les intéresse, c’est de » prouver « que le bareback n’existe pas.
Ce qu’ils résument en une formule, martelée tout au long de l’article : » relâchement oui, bareback non « . Pour eux, le bareback n’est qu’une » hypothèse « . Pour réfuter cette hypothèse, ils ont un argument imparable : » Rien n’interroge les répondants sur cette question « . Puisqu’on ne pose pas la question, c’est que cela n’existe pas, logique. Illico utilise, au lieu de les critiquer, les lacunes de l’enquête presse gay afin de dénier toute réalité au bareback.
Les journalistes entretiennent sciemment l’équivoque entre le relapse – dont ils reconnaissent la réalité, mais en minimisent l’impact – et le bareback. Le bareback serait tout d’abord (rubrique » Deux mots « , page 7) : » un choix délibéré (et parfois théorisé) de certains séropositifs (et d’un certain nombre de séronégatifs) d’avoir des rapports sexuels non-protégés « . Selon cette définition, le bareback concerne tout le monde, séropos et séronegs.
Deux pages plus loin, le bareback devient (rubrique » quid des séropos ? « ) : » dans sa définition exacte, la volonté affichée par certains séropositifs de baiser sans capote entre eux « . En deux pages, Illico oublie et les séronégatifs et tous les homos qui ignorent leur statut sérologique. On a la rigueur qu’on peut. Eux n’en ont aucune, ce qui leur permet de citer des chiffres pour illustrer leur propos : » ceux des séropos qui baisent sans capote avec d’autres séropos ne sont que 14 sur 593 (répondants) « (rubrique » quid des séropos ? « , page 9). Selon la seconde définition d’Illico, le bareback serait donc un phénomène minoritaire. Mais selon la première ? En l’espace de deux pages, les séronegs ne barebackent plus ? Pourtant, selon l’enquête, parmi les séronégatifs qui ont pris des risques avec des partenaires occasionnels, 5 % déclarent ne pas s’être protégés alors qu’ils savaient leur partenaire séropo. 11 % des séropos ayant pris des risques déclarent ne pas s’être protégés alors qu’ils savaient leur partenaire séronégatif. Ces chiffres là sont oubliés, Illico les oublie. Il est vrai qu’alors l’ » hypothèse « du bareback serait plus difficile à » réfuter « .
Dans l’une comme dans l’autre des deux définitions il est question de » volonté affichée « ou de » choix délibéré « . Pour Illico, on aurait dû le parier, tout est affaire de liberté. Jamais de responsabilité et de prévention.
sida. Le mot n’apparaît que deux fois. JBC et JFL ne veulent pas entendre parler de transmission du VIH au sein de la communauté. Tout débat public sur la reprise de l’épidémie chez les gays – débat que l’enquête pourrait susciter – doit être évité. L’InVS a intitulé son enquête : » Sur la recrudescence des prises de risques et des MST parmi les gays « , mais, pour eux, il s’agit d’une enquête sur la sexualité gay en général (voir le surtitre de leur article). L’enquête nous donne certes des chiffres sur les pratiques sexuelles, mais il ne faut pas s’y tromper, elle n’est pas là pour analyser la sexualité, elle est là pour décrire l’évolution des comportements de la communauté par rapport au sida.
JBC et JFL ne voudraient pas qu’on en parle. Leur acharnement à minimiser la gravité du relapse en témoigne : ils passent sous silence la dynamique actuelle de l’épidémie de sida chez les gays. Ils font ainsi l’économie de toute réflexion sur la réponse à apporter à ce relâchement, alors que, journalistes d’un gratuit homo distribué massivement dans les bars et les lieux de consommation sexuelle, ils ont un rôle essentiel à jouer dans la diffusion des informations et des débats concernant une maladie qui a déjà tué plus de 25 000 d’entre nous.
Ce qu’Illico veut, avant tout, c’est que la communauté donne une image bien lisse et bien propre d’elle-même. Voilà l’avertissement donné par le magazine en guise de conclusion de l’article : » Soyez préparés : les médias hétérosexuels vont nous tomber dessus à bras raccourcis « .
L’homophobie, réelle ou supposée, des médias hétéros serait donc plus dangereuse que l’épidémie de sida. Pour Illico, le VIH n’est pas un problème parce qu’il risque de décimer à nouveau les pédés, il l’est parce qu’il peut nuire à leur image de marque. En ne jouant pas son rôle d’information et d’alerte, Illico est pourtant bien plus dangereux que les médias hétéros. En maniant constamment un discours ambigu, en n’osant pas appeler les PD à mieux se protéger, Illico joue le jeu des pouvoirs publics et, comme eux, se voile la face.
Contrairement à eux, nous n’attendrons pas une nouvelle explosion de l’épidémie. Car nous ne sommes pas irresponsables.