Un seul suffirait pour attester des aberrations de la loi pénale française en matière de stupéfiants, et il sont près de 3 000 ! Au 1er novembre 2000, 2 892 personnes étaient détenues dans les prisons françaises pour usage et/ou détention illicites de stupéfiants.
Nicole Maestracci, présidente de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la Toxicomanie (MILDT), voulait nous rassurer. Nicole Maestracci, d’une manière générale, voudrait arriver à convaincre : Non, non, vraiment, l’esprit français de la lutte contre les drogues n’est plus à la répression de l’usage. Oui, oui, le nombre des détenus dans les prisons françaises pour usage et/ou détention de drogues est insignifiant. Des circulaires ont été éditées en ce sens, il ne peut aller qu’en diminuant.
Mais il en va tout autrement. Pendant longtemps, les seuls chiffres disponibles dataient de 1994. A l’époque, on comptait 168 personnes incarcérées pour simple usage de stupéfiant. Et rien que pour cette infraction. La dernière enquête datant du 1er novembre 2000 indique une augmentation sensible de ce chiffre : 197 détenus purgeraient une peine pour simple consommation. Ils représenteraient 0,4% de la population carcérale. Pour relativement faibles que soient ces chiffres, ils montrent néanmoins une augmentation de 15% des incarcérations. Ce qui n’empêche pas Martine Viallet, directrice de l’Administration Pénitentiaire, d’écrire : » l’évolution portant sur des petits effectifs, il est difficile de conclure à une augmentation du nombre de détenus pour usage « .
L’esprit de la lutte contre les drogues pourrait changer sans qu’on en change les lois ? Voilà un moment que nous en doutons ; aujourd’hui les chiffres nous donnent raison. Quoiqu’en dise Nicole Maestracci, la justice française s’accommode bien de l’incarcération pour simple usage de drogues. Dans une note datée d’avril dernier, une chargée de mission de la MILDT n’écrivait-elle pas, à propos de cette » frange résiduelle « d’environ 200 usagers de drogues mis en prison pour simple usage, » peut-être a-t-on atteint là un seuil plancher incompressible ? « .
Mais ce n’est pas tout. A ces 200 personnes, il faut également ajouter les 2 692 détenus pour » usage et détention » de stupéfiants. Ces derniers, à eux seuls, représentent 5,5 % de la population carcérale. Cette seconde série de chiffres ne fait l’objet d’aucun commentaire dans la note de l’Administration Pénitentiaire consacrée à l’enquête du 1er novembre 2000. Et elle n’est même pas reprise dans la note de la MILDT qui nous est parvenue. Et pour cause : elle y susciterait un réel embarras. Car qui, à la MILDT, serait à même de nous expliquer ce qui peut bien fonder la différence entre délit d’ » usage simple » et délit d’ » usage et détention » ? Qui nous expliquera comment on use de drogues dans détenir de drogues ?
Feuilletez les livres spécialisés : la différence est si floue que les auteurs en sont réduits à comparer la structure et la durée des peines prononcées pour » usage simple » d’un côté, et » usage et détention-acquisition » de l’autre, pour essayer de comprendre ce qui fonde la différence. Et cela pour conclure : » on peut penser que les condamnations pour usage seul et pour usage et détention-acquisition visent souvent des comportements et des publics semblables « [[OFDT, Drogues et Toxicomanies : indicateurs et tendances, édition 1999, p.122.]]. On ne saurait mieux dire.
Ce ne sont pas près de 200 personnes qui sont enfermés aujourd’hui dans les prisons françaises pour simple délit d’usage de drogues, mais près de 3 000. 0,4 % et 5,5%, ça fait près de 6%. 6% de détenus qui n’auraient jamais dû entrer dans les statistiques du ministère de la Justice.