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Cette AG avait avant tout un objectif : redonner la parole aux usagers de drogues pour échapper aux discours des experts et des pouvoirs publics qui ne les considèrent que comme malades ou comme délinquants. Les débats ont ainsi permis de faire le point sur la loi de 1970 et sa logique prohibitive pour envisager à partir des positionnements de chacun des stratégies d’action.
Où en sommes-nous ?
L’AG a débuté sur un état des lieux passant en revue les problèmes légaux que la prohibition pose aux usagers de drogues, les difficultés d’accès à des soins équitables qu’ils rencontrent (les médecins refusant souvent de les soigner), l’arbitraire de la répression. Quoi qu’en dise la MILDT, l’usage de drogues reste fortement réprimé : ainsi, le nombre de personnes incarcérés pour usage simple est passé de 167 en 1994 à 197 en 2000, à quoi s’ajoutent presque 3000 personnes emprisonnées pour usage et détention, ce qui représente 6 % de la population carcérale !
Outre ce contexte répressif, les participants ont souligné le décalage énorme qui existe entre les pratiques des usagers de drogues et l’image qui est donnée d’eux ; une image qui les contraint souvent à dissimuler leurs consommations à leur entourage – même si, dans le cadre familiale, il semble qu’une vision moins catastrophiste de la prise de cannabis se développe. Plusieurs personnes ont ainsi souligné la nécessité politique de faire son coming out d’usager de drogues, de la même façon que l’on fait son coming out en tant qu’homosexuel. Si cela reste difficile dans le contexte actuel, cette visibilité pourrait être une condition sine qua non pour un véritable changement de la perception des usagers et permettre de sortir des éternels clichés.
Plusieurs participants ont d’ailleurs dénoncé les caricatures qui ont cours, en particulier concernant les banlieues – par exemple, celle du père immigré super réac qui tabasse son fils s’il le choppe en train de fumer. S’il y a un discours anti-toxs dans les quartiers (
« ni pédés ni toxs chez nous »), pour les participants, le problème est avant tout et surtout le manque d’information sur la réduction des risques. Cet état de fait peut en partie expliquer les rapports tendus entre usagers de drogues et riverains et les levées de boucliers contre les projets de boutiques – comme le centre Beaurepaire ou l’association Charonne. Or, la prévention impose le dialogue et l’écoute des usagers : les risques, en particulier celui de la dépendance, sont augmentés par la déresponsabilisation des usagers et le manque d’information sur les produits. Ainsi, certains participants trouvent scandaleux que la seule information transmise sur les drogues dans les collèges et les lycées soit donnée par des gendarmes qui se limitent à rappeler l’interdiction et à énumérer les peines encourues.
Que nous propose-t-on ?
La question centrale de la prévention a donc placé la réduction des risques au cœur des débats pendant l’AG. Comme en témoignaient les participants, du matériel de prévention est mis à disposition par les associations (stéribox, etc) ; les seringues sont en vente libre ; le discours officiel a changé puisqu’il intègre désormais la nécessité d’informer les usagers sur tous les produits, légaux comme illégaux, afin de réduire les risques (
« savoir plus, risquer moins », comme le dit la MILDT depuis deux ans).
Pourtant, les moyens sont insuffisants pour toucher efficacement les usagers en situation de grande précarité ; la substitution sert avant tout à instaurer un contrôle social ; aucune salle de shoot n’a encore été mise en place ; l’information sur la qualité des produits n’est pas diffusée ; le testing, dont certains soulignent les imperfections (le test de Marquis ne permet pas de déterminer la composition exacte d’un produit, mais simplement de détecter la présence ou non de MDMA ou d’amphétamines), reste interdit, notamment dans les clubs – alors qu’il est notoire que de nombreux produits y circulent.
Plusieurs participants n’ont pas manqué de le relever, la situation en France est bien meilleure sur ces questions que dans des pays comme la Russie et la Thaïlande, où les produits de mauvaise qualité font des ravages et où les usagers de drogues sont qualifiés de
« démons sociaux ». En France comme ailleurs, la même logique prohibitive sous-tend pourtant les politiques gouvernementales et explique l’état préoccupant de la réduction des risques. Les exemples qui en attestent ne manquent pas : retrait de la vente des seringues 2cc, baisse des budgets réduction des risques. D’une manière générale, les dispositifs mis en place sont arrivés à saturation et ne répondent plus aux nouveaux besoins et aux nouvelles demandes et la réduction des risques telle qu’elle est pratiquée semble parfois se résumer à la mise en place d’un contrôle social (on pense par exemple à l’amendement Mariani sur les raves (document en pièce jointe), qui permettrait de confisquer la sono des raves non autorisées et de pratiquer des contrôles de drogues aux environs).
Dans ce contexte, la priorité pour tous est donc de modifier la loi de 1970 dont les conséquences sanitaires, sociales et politiques sont catastrophiques, au lieu de prétendre, comme le fait le cabinet de Kouchner, qu’il est possible de s’en arranger tandis qu’il est trop compliqué de la remettre en cause. Certains participants ont insisté sur la nécessité de récréer une dynamique interassociative pour l’abrogation pure et simple de la loi. En effet, les impasses actuelles de la réduction des risques et le blocage législatif semblent appeler de nouvelles formes de lutte et de rassemblement permettant d’éviter, entre autres, la récupération et l’instrumentalisation par les pouvoirs publics.
Comment s’en sortir ?
Tous les participants s’accordent donc pour dénoncer la loi de 1970 et obtenir, au moins, une dépénalisation de tous les usages (pour Act Up, une simple dépénalisation paraît insatisfaisante et ne lève pas toutes les interrogations, notamment vis-à-vis de la composition des produits, essentielle à nos yeux).
Pour certains, la pression sur les politiques doit s’appuyer sur le calendrier électoral, en conjonction avec certaines échéances judiciaires (comme l’application de la condamnation de Jean-Pierre Galland). Cette stratégie ne semble pas la plus efficace pour tout le monde : il est peu vraisemblable que les débats à l’occasion des législatives et des présidentielles se cristallisent autour de la question des drogues ; en outre, les mouvements associatifs n’ont pas réussi à instaurer une réelle discussion sur ce sujet. Il est également frappant de constater que la montée en puissance médiatique de la MILDT coïncide avec l’essoufflement des mouvements d’usagers.
Ces réflexions soulèvent la question des rapports entre les institutions et le mouvement associatif. Comment reconstituer un mouvement d’usagers qui puisse instaurer un réel rapport de force avec les pouvoirs publics ? Quelle position adopter vis-à-vis de la MILDT ? Est-elle un adversaire, un interlocuteur, un instrument, ou tout simplement un os à ronger pour les associations et une façade pour donner l’illusion que le problème est traité ?
Pour le
CIRC, la MILDT est d’abord un ennemi, particulièrement dangereux parce que « dialectique » ; d’où la nécessité de faire monter la pression à l’occasion des échéances électorales afin d’activer un clivage gauche-droite sur la question des drogues (clivage sur la réalité duquel certains étaient plus que dubitatifs). Nombreux sont ceux qui pensent que la MILDT est instrumentalisée par les autres pouvoirs publics (DGS, Justice, etc.) qui se retranchent derrière elle, tandis qu’elle-même se retranche derrière Jospin dès qu’une décision est à prendre. D’aucuns en appellent ainsi à la constitution d’un vaste mouvement d’usagers qui puisse jouer le bras de fer avec cette institution. Pour d’autres, le problème est pour l’instant que les mouvements d’usagers courent le plus souvent après cette institution qui s’avère une redoutable communicatrice.
Pour certains (ASUD notamment), compte tenu de l’état d’esprit des députés, une transformation du cadre législatif ne passera que par un mouvement d’opinion important, un véritable changement des mentalités… Et d’ajouter qu’il faut sortir du discours misérabiliste qui, s’il a permis des avancées de la réduction des risques il y a une dizaine d’années (
« il faut limiter la casse »), renferme aujourd’hui les usagers sur une image à laquelle personne ne peut s’identifier de façon positive.
Ce que les différents usagers de drogues ont en commun, au-delà des rapports aux produits et des pratiques diverses, c’est un statut : être placés, malgré eux, du côté de l’illégalisme. Nous faisons tous partie, malgré nous, du même camp.
Au terme de cette AG nombre de questions restent donc en suspens. Beaucoup d’entre nous auraient rêvé d’une affluence plus conséquente, de débats un peu moins apathiques. Bref, nous aurions souhaité que cette AG attire plus d’usagers et que ceux-ci prennent un peu plus la parole à la première personne. Des dynamiques ont pourtant été relancées, des questions reposées. Aujourd’hui, la quasi-totalité des associations, du CIRC à ASUD en passant par
MDM, parle de « légalisation » de tous les usages. Il y a désormais consensus sur la nécessité d’abroger la loi de 1970. Reste encore à venir une parole d’usager responsable et revendiquée, un réel contrepoids aux discours officiels : la lutte pour les droits des usagers ne peut se faire sans eux, sans nous.
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