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On pourrait croire que nos ennemis changent. On aimerait le croire. Mais non, ça ne marche pas. Les années se suivent, et on se bat toujours contre les mêmes. Malheureusement. Et pourtant, la lutte contre le sida est en train de prendre un sale tournant : la démobilisation n’a jamais été aussi forte, tant chez les militants que les pouvoirs publics ou simplement les personnes atteintes, à bout après 20 ans d’épidémie.

Les financements publics se maintiennent à peine, lorsqu’ils ne sont pas fléchés sur d’autres priorités ou rendus inaccessibles pour des raisons administratives. Est-il encore normal que les associations financées par les pouvoirs publics (Direction Générale de la Santé, DDASS, etc.), n’aient toujours pas reçu le moindre centime pour les frais engagés depuis janvier 2001 ? Au 1er décembre 2000, des associations avaient manifesté contre le Trésorier Payeur Général de Paris afin qu’il accélère le paiement des subventions. Mais rien n’y a fait. Et le Trésorier Payeur est aujourd’hui responsable de la précarité de ces associations. Des séropos vont se retrouver à la rue, tout simplement parce que les structures qui les hébergent n’auront pas les moyens de payer les appartements ou les salariés nécessaires. Les associations de lutte contre le sida ont accepté d’organiser la prise en charge thérapeutique et sociale de personnes séropositives. Elles n’avaient pas le choix : l’Etat et les services déconcentrés étaient incapables de le faire ou s’y refusaient. Aujourd’hui, ces associations, sur lesquelles les pouvoirs publics se sont déchargés de leurs responsabilités, doivent avancer des salaires, l’achat de matériel de prévention et d’injection, la location de chambres d’hôtel, le paiement de repas et de cartes oranges. Tout cela, parce que, par exemple, le fonctionnement comptable des DDASS impose un délai de 8 mois dans les paiements. Nous n’avons pas à accepter cette situation. VLS (Vaincre le sida) a fermé ses portes il y a un an. Sol En Si est en train de licencier 32 de ces 69 salariés, et se bat contre des difficultés financières énormes. D’autres structures luttent simplement pour pouvoir continuer à travailler. Quant à nous, notre incertitude financière est quotidienne, et sans les dons de nos sympathisants et amis, nous ne serions plus grand chose. Qu’attendent les pouvoirs publics ? Que les associations ferment les unes après les autres pendant que l’épidémie reprend ? On commémore actuellement les 20 ans de l’épidémie, au moment même où le milieu de la lutte contre le sida est en pleine déperdition. Et tout le monde s’en fout. Ce qu’on voit dans le milieu homo est un peu similaire. C’est l’ère de l’après PaCS et la communauté gay et lesbienne a du mal à faire émerger de nouvelles revendications, qu’il s’agisse du mariage, de l’égalité des droits pour tous les couples ou du droit à l’adoption. Dans le même temps, la communauté oublie de plus en plus le VIH. Pourtant, les combats contre le sida et pour les droits des homos se sont, ces 20 dernières années, constamment rejoints. Les pédés ont l’air de l’oublier. Ils n’ont plus envie qu’on les « fasse chier » avec notre sida. Ils ne veulent pas qu’on leur parle de notre quotidien, de notre vie. Les pédés doivent se remobiliser au sein de leur propre communauté. Il est urgent de se ressaisir. Se pavaner à la Gay Pride, c’est agréable, « ça ne mange pas de pain », mais ça ne suffit pas. Bertrand Delanoë sera certainement dans le carré de tête cette année, comme d’habitude. Au moment où il exprimera sa fierté, des personnes séropositives, homos ou hétéros, actuellement SDF seront toujours en train d’attendre des logements. Il y a un mois, la Mairie de Paris nous promettait une action en urgence. Aujourd’hui, toujours aucune mesure n’a été prise. Jack Lang sera sans doute également en tête de cortège. Pourtant, depuis qu’il est à nouveau ministre de l’Éducation Nationale, il n’a toujours rien entrepris pour assurer dans les collèges et les lycées une meilleure éducation à la sexualité, une meilleure prévention du VIH et des MST. C’est dans ces moments là qu’on se demande à quoi sert la Gay Pride, mis à part servir un étalage de fric, de pub, de propos consensuels, bref tout le tralala d’une folle pride qui n’a rien à voir avec notre quotidien, nos désirs, nos droits et nos luttes ? Cette année, la Lesbian and Gay Pride (LGP), association qui organise la Marche et qui s’est arrogée le droit à une propriété sur la fierté homosexuelle, a choisi comme mot d’ordre rassembleur « Hétéros, homos : tous ensemble contre les discriminations ». Ce mot d’ordre n’est ni mauvais, ni emballant. Il est désespérément consensuel et mou. A vouloir trop rassembler, la Lesbian and Gay Pride ne dit plus rien. Les thèmes concrets à porter ne manquent pourtant pas : droit des homos à l’adoption ou relapse, par exemple, qui sont les deux principaux sujets du moment. Cette année la LGP n’a pas apprécié notre refus de signer une convention de partenariat pour notre participation à la Marche nous demandant de relayer son mot d’ordre (que nous n’avions pas choisi), de couper notre sono à certaines étapes du parcours avec « obligation de diffuser sur la sono à intervalles donnés des messages fournis par la LGP » ou encore de régler des frais de participation et une redevance SACEM. Nous avons refusé de nous plier à ces exigences. Personne n’a à nous imposer un mot d’ordre, à museler la liberté d’expression des associations. Si dans un premier temps le Conseil de la LGP nous a assuré que ce n’était pas « grave » de ne pas signer cette convention, nous apprenons aujourd’hui que nous serons relégués (avec Sida Info Service, punie pour le même motif), dans la seconde partie de la Marche, parmi les établissements commerciaux. Des considérations techniques (« la taille monumentale de notre sono ») le justifieraient. Ainsi les seuls chars associatifs importants de lutte contre le sida ne mériteraient-ils pas de faire partie du cortège associatif. On préfère nous cacher parmi les bars, les discothèques, les minitels et autres sites web de cul. On aimerait penser qu’il s’agit d’une incompréhension mutuelle. Mais on n’y arrive pas. Alors, le 23 juin 2001, nous défilerons, fiers et fières, là où nous le souhaiterons, avec qui nous voulons, comme nous le souhaitons. Nous sommes Safe, Sex, Queen.

 

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