Les gouvernements de l’ensemble des pays du monde se retrouvaient du 25 au 27 juin à New York afin d’adopter une déclaration commune d’engagement à lutter « vraiment » contre le sida.
Dès le départ, le texte de la déclaration en lui-même ne comportait que très peu d’enjeux : au contraire d’un accord international, une «déclaration d’engagement » des Nations Unies n’engage en réalité absolument personne. Elle sert au mieux à établir une sorte de « norme indicative de bonne conduite » pour les gouvernements, à donner un vague cadre général à leurs politiques.
En revanche ces Sessions Spéciales sont porteuses d’un certain enjeu symbolique : elles officialisent les catastrophes. Cela peut paraître grotesque, mais dans le cas du sida, cet enjeu n’est pas anodin.
En effet, faute d’admettre ce caractère de catastrophe internationale, les pays riches refusent toujours de s’engager financièrement à hauteur des besoins et la majorité d’entre eux rechignent encore à considérer l’accès aux médicaments comme une priorité quel que soit le pays. En outre, face à la violence de l’épidémie et de la stigmatisation, la plupart des pays en développement, gouvernements et opinions publiques, continuent de se réfugier dans le déni.
Dans ce contexte, un grand raout d’alarme pouvait marquer un tournant significatif dans la lutte contre l’épidémie et la prise en charge des malades.
Pourtant, au terme de cette rencontre, si la déclaration des Nations-Unies fait une place à la prise en charge thérapeutique pour les malades du Sud, voire aux génériques, elle reste éminemment générale sur ces questions, et ne leur donne pas le moindre caractère d’urgence. Seule la prévention jouit d’une mention de priorité… De leur côté, les considérations d’ordres financières ont été savamment étouffées au milieu de grandes déclarations sur la création du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme ; un fonds trop insuffisamment abondé pour pouvoir faire une quelconque différence.
Les déclarations des Nations Unies sont, par ailleurs, bien souvent le terrain d’âpres combats idéologiques entre différents Etats. Dans ce registre, cette Session Spéciale aura vue l’union inattendue des Etats-Unis de M. Bush, de la Syrie et de l’Iran contre l’ONG Américaine IGLHRC (International Gay & Lesbian Human Rights Commission). Il faut dire que non contente d’être homosexuelle et fière, l’activiste d’IGLHRC Karyn Kaplan s’était permise lors de la réunion préparatoire à l’UNGASS de rappeler les méthodes peu déontologiques employées par son gouvernement pour empêcher l’accès aux traitements dans les pays pauvres. On comprend que la délégation américaine lui en ait tenu rigueur. Quant à la coalition des pays musulmans menée par l’Iran, encouragée à se faire entendre sur le sujet par son allié américain, elle tentait tout simplement d’imposer sa démagogie homophobe comme règle. Au terme de 14 heures de débat et d’un vote de l’ensemble des pays membres des Nations Unies, l’IGLHRC obtenait finalement le droit de participer aux tables rondes auxquelles ses représentants étaient invités.
Dans la même veine, deux autres sujets ont préoccupé les délégations, opposant la coalition des pays musulmans, au groupe Sud-Américain, à l’Union Européenne et au Canada : le droit des femmes à décider de leur sexualité, ainsi que la question des groupes vulnérables au VIH, au premier rang desquels les fameux MSM (Men who have Sex with Men). Bilan : victoire relative pour les femmes, échec pour les autres. La déclaration d’engagement à lutter contre le sida ne fait à aucun moment mention des MSM, ni d’ailleurs d’aucun groupe vulnérable au VIH : elle se borne à ne reconnaître que des pratiques à risque. Ainsi, après 20 ans d’épidémie, les Nations Unies offrent un blanc seing aux politiques discriminatoires de nombreux pays, peu importe les contaminations qui en découlent.
Pour les associations et autres activistes, l’enjeu de cette Session Spéciale se trouvait avant tout sur le plan médiatique : c’était l’occasion de faire entendre les voix des malades des pays pauvres, d’imposer des exigences, en particulier en matière de traitements et d’aide internationale. De ce point de vue également, l’UNGASS fut un échec. Dépolitisation, désillusionnement, renoncement qui suivent parfois un travail de terrain de longue durée, discours édulcorés des réseaux associatifs internationaux de personnes atteintes ou d’associations de « service sida » (aids service organisations), la réalité des malades n’avait pas sa place à l’UNGASS. Les problèmes continuent d’être évoqués comme une fatalité, quelques témoignages alimentent le consensus général sur la gravité de la situation, très peu de colère ne vient troubler la tranquillité de ce grand meeting. Loin de New York pourtant, dans bon nombre des pays les plus touchés, l’été aura vu se dérouler des évènements autrement plus intéressants…