A l’occasion de la publication du dernier rapport du Conseil National du Sida, du 21 juin 2001, intitulé «Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique». Pour la commission Drogues & Usages d’Act Up-Paris, il s’agit avant tout d’un outil de réflexion dans la perspective d’une abrogation de la loi du 31 décembre 1970.
Une nouvelle approche
En effet ce rapport légitime de nouvelles approches et constate, que la prohibition ne fait qu’aggraver les risques liés à l’usage de drogues. Il s’agit d’une première de la part d’un organisme institutionnel. Il ne constitue pas une énième tentative de réponse de réduction des risques (RdR) de santé, mais plutôt une prise de position inédite de la part d’une instance publique quant à la reconnaissance et la place des usagers de drogues. Le but de ce rapport est de proposer de nouvelles approches et stratégies en vue d’une «éradication» des risques liés à la prohibition, par une dépénalisation de l’usage de drogues en privé et une décriminalisation de l’usage solitaire ou collectif de toutes les drogues, y compris en public (c’est-à-dire des amendes plutôt que de la prison). Il condamne par ailleurs «des interpellations d’usagers toujours plus nombreuses dont la cible n’est plus prioritairement le risque sanitaire», et déplore «la persistance des préjugés sur les usagers de drogues» due «à une loi qui renforce les stéréotypes». Il critique également les carences d’ «une prévention sans cadre réglementaire, des moyens insuffisants, des décalages insurmontables entre les objectifs», en un mot la «contradiction entre principes légaux et logiques de prévention», et recommande de dépasser «le couple santé publique/ordre publique». Le C.N.S se prononce également, petite révolution, pour une inscription de la RdR et de la prévention «au cœur de l’intervention publique» en «promouvant par la loi les critères et les distinctions claires pour guider l’action répressive», et le courage de ce rapport est d’évoquer enfin l’idée de définir des seuils ou des quantités de «produit», pour fonder cette approche.
On ne peut que se féliciter qu’un organisme institutionnel écrive noir sur blanc ce que le milieu associatif essaie de faire comprendre depuis un certain temps déjà, à savoir que les conséquences de la prohibition sont catastrophiques, tant sur le plan sanitaire que social. De même, on ne peut que se féliciter du fait que l’actuel ministre délégué à la santé, M. Bernard Kouchner, déclare «partager clairement le sentiment du C.N.S.». Mais il nous semble plus que regrettable que ces conclusions n’aient suscité rien d’autre que silence et mépris de la part de Jospin, et que les seules réactions à ces conclusions et aux propos de Kouchner aient été les habituels discours sécuritaires et démagogiques diabolisant l’usage de drogues. Car la nouveauté de ce rapport est qu’il vise à dépasser la politique actuelle de RdR pour l’inscrire dans un cadre plus général de réflexion sur les usages de drogues, ce qui pourrait permettre d’inaugurer un large débat sur la question des drogues, un débat qui ne peut se faire qu’avec la participation active des usagers et donc dans le respect de leur mode de vie.
La légitimité des usagers
Les conséquences des conclusions de ce rapport du C.N.S sont claires : on ne peut se cantonner à faire de la simple RdR la seule politique en matière de drogues, comme voudrait le faire croire les politiques. Pour faire avancer les choses, c’est-à-dire mener une politique des drogues globale et conséquente, il importe que les usagers de drogues soient partie prenante d’un débat qu’il est urgent d’ouvrir. Ce qui n’est possible qu’en conférant à ces derniers une légitimité publique, au lieu du couple «santé publique/ordre public». La RdR, dont nous ne remettons en cause ni le progrès qu’elle a constitué, ni les réponses qu’elle a apportées, appelle à être complétée d’un cadre législatif qui tienne compte des usagers et les respecte, sans qu’elle devienne un auxiliaire de la prohibition. Les politiques ont instrumentalisé la RdR en l’inscrivant dans une logique «compassionnelle», ce qui leur permet de s’acheter une bonne conscience à peu de frais, en faisant croire qu’elle constitue aujourd’hui l’unique solution, tout en refusant d’attribuer des moyens d’une politique sanitaire d’ampleur. La RdR a été inventée comme solution temporaire pour réduire les conséquences sanitaires de la prohibition internationale et de la répression de «certaines drogues» jugées illégales.
Le C.N.S. reconnaît l’efficacité des premiers pas de stratégies de RdR, et la nécessité de les développer, à l’unique condition d’un changement et d’une évolution majeure du contexte légal. Il faut que la société civile puisse enfin répondre aux questions des droits et des devoirs spécifiques des usagers de drogues, et pas uniquement leur droit à la santé. L’enjeu est maintenant celui de la légitimité publique des usagers de drogues. Ce rapport montre clairement, jusque dans les contradictions entre la loi de 70 et son application, qu’on ne peut plus nier la nécessité d’ouvrir un débat politique sur la place et le rôle des usagers de drogues dans la société. Ils sont les premiers à pouvoir prévenir et minimiser les risques spécifiques liés uniquement à l’usage de drogues. La société se doit lors de prévenir et minimiser les risques liés à la loi, en abandonnant le choix d’une prohibition et d’une répression aveugle.
Elargir la palette des réponses thérapeutiques est un besoin urgent, certes, mais il faut avant tout réformer la palette des réponses » législatives « . Les politiques de réduction des risques passe par des informations accessibles partout et pour tous, en vue d’une formation sur les «bénéfices / risques» liés aux drogues et à leurs usages. La loi 70 axe sa politique sur le binôme santé publique-ordre public. Plutôt que d’impliquer les usagers de drogues en leur donnant une reconnaissance et des moyens conséquents de participer aux décisions politiques de notre société. Nous sommes les premiers concernés et devons être les premiers impliqués, afin d’interpeller et consulter les autres acteurs, professionnels de la santé, de la justice et du commerce.
Le silence coupable des politiques
La RdR a pu inventer quelques réponses face à certaines conduites à risques, surtout grâce au travail et à la présence des intervenants sur le terrain, souvent confrontés aux réticences et au manque de courage des responsables politiques. La plus dangereuse des conduites à risques sur les drogues en société est la frilosité électorale et le silence méprisant des femmes, et surtout des hommes politiques français, concernant un changement de cadre législatif sur les drogues. On peut s’interroger à bon droit sur l’intérêt de maintenir une loi que sa «vétusté» rend inapplicable et qui va à l’encontre du principe d’égalité devant la loi. Sa mise en œuvre aléatoire est fonction du bon vouloir, du pouvoir et de l’humeur des différents acteurs. Certes, les réactions traditionnelles des réactionnaires de tout bords et les sempiternelles antiennes sur «l’irresponsabilité» des abolitionnistes et leur «permissivité» qui seraient censées engendrer «le malheur de nos enfants», comme l’a si originalement dit Philippe de Villiers, ne nous surprennent pas. Mais le silence de l’actuel gouvernement, et l’absence de prises de positions courageuses allant dans le sens des propositions de M. Kouchner sont pour nous bien plus graves…
Le silence de Jospin sur cette question, alors que tout le monde, y compris un organisme consultatif institutionnel comme le C.N.S, dénonce les ravages de la prohibition (rappelons encore une fois que 197 personnes sont actuellement détenues pour simple usage, et que si on les ajoutent aux personnes condamnées pour usage et détention, ce chiffre frise les 3000 détenus, soit 6% de la population carcérale, alors que dans le même temps, les pouvoirs publics affirment que «plus personne» n’est emprisonné pour usage) nous apparaît non seulement inadmissible, mais aussi coupable, en regard des dégâts provoqués par la prohibition. Comme pour le Pacs, Jospin démontre encore une fois l’étendue de son manque de courage politique et la force de ses convictions de «gauche». Alors que d’importantes échéances électorales approchent, alors que la France démontre chaque jour un peu plus son retard son archaïsme par rapport aux autres pays européens en matière de politiques des drogues, alors que la prohibition apparaît de plus en plus comme ce qu’elle est, un déni d’existence et une injustice vis-à-vis de nous, usagers de drogues, comment ne pouvons-nous pas comprendre ce silence comme un mépris inadmissible ? La criminalisation est un crime envers les usagers de drogues.
Act Up Paris demande à tous les candidats, et particulièrement à ceux de la «gauche plurielle», de publier des revendications et des objectifs clairs et d’ouvrir le débat sur la question des drogues. Act Up Paris demande que les usagers soient partie prenante de ce débat, en tout respect et en toute légitimité. Ceci implique, contrairement aux recommandations du C.N.S., une abrogation des articles de lois sanctionnant les associations d’usagers de drogues sous prétexte «d’incitation à l’usage», et l’annulation immédiate de toutes les condamnations et amendes à ce titre. Seule cette étape permettra l’abrogation de la loi de 70.