Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, l’avait promis : « une nouvelle grande loi pénitentiaire » censée mettre fin aux constats alarmants des commissions d’enquêtes de l’Assemblée et du Sénat sera discutée prochainement.
L’actuel projet de loi a été rédigé sous son égide, s’appuyant théoriquement sur les travaux de consultation d’un Conseil d’Orientation Stratégique (COS) composé d’une trentaine de professionnels intervenant en prison et de représentants des associations. Cet avant-projet comporte cinq parties : le sens de la peine ; le service pénitentiaire ; le régime disciplinaire des personnes détenues ; la condition juridique de la personne détenue et le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires.
Le sens de la peine
Si le projet de loi n’hésite pas à reprendre les recommandations européennes selon lesquelles la privation de liberté ne peut intervenir qu’en dernier recours, il fait pourtant l’économie d’une véritable réflexion sur le « sens de la peine ». Quel sens cela fait-il d’incarcérer des malades, des usagers de drogue ou des sans-papiers ? On pourrait s’attendre à ce que ce projet de loi s’interroge sur la privation de liberté pour ces populations. Pour que la prison soit réellement considérée comme un ultime recours, ce sont également le code pénal de 1994, les périodes de sûreté, les peines de trente ans de réclusion qu’il faudrait intégralement revoir.
Pourtant, de ces questions de fond, et urgentes, il n’est rien dit dans le projet. Une demi-page suffit à traiter le sujet et à introduire quelques mesures d’aménagement. On nous propose quelques alternatives à l’emprisonnement au cas par cas, alors qu’elles devraient être la règle, surtout si l’on pense réellement la prison comme un dernier recours. Il est prévu moins de cumuls de peines, ainsi qu’un élargissement des recours.
Par ailleurs, on prévoit la possibilité d’une suspension de peine pour cause médicale et l’introduction d’un dispositif analogue à la libération conditionnelle, lorsque le pronostic vital est engagé ou lorsque les soins dont bénéficie la personne condamnée sont incompatibles avec le maintien en détention. Ces deux dernières mesures, annoncées publiquement par Marylise Lebranchu le 6 octobre 2001 (date anniversaire de l’abolition de la peine de mort) pourraient représenter une avancée si elles ne validaient pas avant tout des pratiques d’emprisonnement archaïques. Il ne s’agit pas simplement d’envisager de suspendre l’emprisonnement des personnes atteintes de pathologies graves — qui pourraient être réincarcérées en cas d’amélioration de leur état de santé — mais d’adopter une position de principe rendant impossible leur incarcération.
Le service pénitentiaire
Deux points sont abordés dans ce chapitre. Concernant, tout d’abord, les missions de l’administration pénitentiaire (AP), rien de vraiment décisif n’apparaît dans le projet de loi. On affirme que le personnel pénitentiaire doit cumuler rôle de garde, rôle de réinsertion et « d’accompagnement quotidien des détenus ». Celui qui surveille est également censé travailler à la réinsertion. Dans la réalité, ces deux fonctions sont contradictoires et les missions correspondantes s’avèrent incompatibles. Sans apporter aucune solution au problème, le projet de loi s’enlise dans cette impasse.
En ce qui concerne le classement des établissements pénitentiaires, en revanche, le projet comporte une innovation. Distinguées en trois niveaux selon le degré de sécurité qui y sera appliqué, les prisons seraient classées du niveau 1 « dégagé des contraintes sécuritaires » au niveau 3 qui correspondrait aux établissements à niveau élevé de sécurité. Si le niveau 1 représente une nouveauté remarquable, par contre, on assiste au retour des quartiers de haute sécurité (QHS) avec le niveau 3. Tandis que l’on conçoit enfin des lieux sans contraintes sécuritaires, on ouvre d’un autre côté la porte à l’affectation par l’AP elle-même et sans recours de détenus dans des QHS aux conditions de vie insupportables.
En effet, l’orientation des détenus ne dépendra désormais plus du quantum de peine, mais « de la personnalité » de celui-ci, elle-même évaluée en dernier lieu par l’AP. Le caractère arbitraire de cette évaluation est inquiétant : un détenu de niveau 2 risquera vite pour faute disciplinaire d’être emprisonné dans un QHS sans garantie de pouvoir en ressortir rapidement. Ces possibilités de transfert sans contrôle extérieur représentent, par ailleurs, un outil de pression dangereux aux mains de l’AP dans sa relation avec les détenus.
Le régime disciplinaire des personnes détenues
Le projet de loi s’en tient à hiérarchiser les fautes disciplinaires (1er, 2ème ; 3ème degré) sans remettre en question un mode de fonctionnement exclusivement sécuritaire. Le quartier disciplinaire demeure. Si la présence d’avocats au prétoire depuis le début de l’année 2001 permet de limiter les abus, et bien que la réduction de la durée maximale d’isolement soit envisagée dans le cadre du projet de loi, la question de l’utilité de ce type de sanction n’est à aucun moment posée. Marylise Lebranchu, en intégrant la proposition de loi votée par le Sénat le 26 avril 2001 sur les durées de placement en cellule disciplinaire, s’imagine sans doute qu’elle satisfait l’ensemble des acteurs du monde politique, associatif, ou du personnel pénitentiaire. Non seulement ce n’est pas le cas, mais cela ne change en rien le fond du problème.
La condition juridique de la personne détenue
Ce chapitre assez complet pose enfin clairement les droits de la personne en détention, de l’intégrité physique et la dignité de la personne à la gestion contrainte des biens patrimoniaux de la personne détenue, en passant par la non-discrimination, la liberté de pensée, la liberté de culte, d’expression, le respect des droits électoraux, de la vie privée et des liens familiaux, de l’intimité, des droits à la santé, à l’enseignement, au travail, etc.
Théoriquement, l’ensemble des droits du citoyen aurait donc du être enfin octroyé dans l’enceinte de la prison comme à l’extérieur. Cependant, le projet de loi ne reconnaît pas systématiquement à 100% ces droits et conserve ainsi au détenu son statut de sous-citoyen. Si, d’un côté, on reconnaît théoriquement les droits du « citoyen incarcéré », on n’hésite pas, d’un autre côté, à exiger de lui une « obéissance citoyenne » qui, au sein de la « société carcérale », justifie que les droits qui peuvent poser des problèmes de sécurité (liberté d’expression, de pensée, droit au syndicalisme, etc.) seront «limités», pour ne pas dire liquidés. On fait ainsi collaborer l’annonce du respect de l’intégrité physique de la personne avec une définition précise des fouilles corporelles, des fouilles des cavités, des test d’urine. On déclare la liberté d’expression des détenus, et dans le même temps on règle précisément les contrôles aléatoires ou systématiques de leur courriers, de leurs lectures, de leurs appels téléphoniques. L’utilité de ces mesures en terme de sécurité n’est pourtant toujours pas prouvée. On énonce le respect et la dignité de la personne et l’on concerve pourtant les dispositifs de menottes, d’entrave, de contention, de camisole de force au moindre mouvement.
Par ailleurs, la mise en application de ces droits pose question. Ce n’est pas au ministère de la Justice de veiller à leur respect, mais aux différentes administrations concernées (ministère de l’Emploi, ministère de l’Education, etc.). Dans le domaine de la santé, le problème était en partie résolu avec le rattachement de l’organisation des soins au ministère de la Santé (loi de 1994) : depuis cette date l’amélioration de la prise en charge est certaine même si beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires
Les propositions faites dans ce chapitre s’inspirent du rapport sur le contrôle externe et indépendant des prisons (rapport Canivet). Elles restent pourtant toujours aussi imprecises sur l’indépendance de cet organisme, ou sur les moyens de sanctions dont il disposerait en cas de dysfonctionnement.
Ce projet de loi plein de « bonnes intentions », nous demandera encore un peu de réflexion pour évaluer finalement les changements que peuvent apporter les mesures proposées. Pourtant, il est clair dès aujourd’hui que les risques de voir instaurer une loi pénitentiaire plus proche d’un règlement intérieur sont grands, au lieu que soit mise en place une véritable législation égalitaire orientée vers une limitation de l’incarcération et renforcant les droits des personnes détenues.
Lors de la session parlementaire où devrait être discutée cette future loi, Act Up sera vigilant. Avant de discuter des conditions de gestions de détention, il importe de savoir quelle est la place de la prison dans notre société, qui nous décidons d’y mettre ? pour quelles raisons ? quelles doivent être les missions du service public pénitentiaire ? Le gouvernement ne peut faire l’économie de ce préalable majeur.
Dans l’urgence, Act Up exige la libération des malades.