Du 9 au 13 novembre, au Qatar, l’OMC va se prononcer sur l’accès aux médicaments pour les malades des pays en développement. 60 pays ont demandé que rien au sein des accords sur la propriété intellectuelle n’entrave l’accès aux médicaments ou à la santé. L’OMC doit garantir ce droit légitime des pays pauvres et des malades.
Actuellement plus de 36 millions de personnes dans le monde sont atteintes du sida. Malgré la mobilisation internationale, 90% des malades du sida de la planète n’ont toujours pas accès aux traitements essentiels à leur survie. Chaque jour 10 000 personnes qui pourraient être traitées meurent.
Dans ce contexte, le prix des médicaments joue un rôle déterminant. Et la production de médicaments génériques ainsi que la diversification des sources de production sont indispensables pour que l’ensemble de la palette thérapeutique anti-VIH/sida soit enfin abordable, durablement, pour les malades des pays pauvres.
Seule une concurrence entre de nombreux fabricants est en mesure d’entraîner une baisse conséquente du prix des produits pharmaceutiques. Sans cette concurrence, la mise en place d’un système de prix différenciés entre Nord et Sud restera conditionnée aux bonnes volontés des industriels occidentaux, et s’avèrera impuissante à permettre l’accès à la santé et aux médicaments.
Les accords internationaux sur la propriété intellectuelle autorisent les pays à produire ou à importer des copies de médicaments.
Une partie des traitements anti-VIH sont fabriqués dans certains pays, comme l’Inde ou le Brésil, et vendus à bas prix – ce qui a notamment pour effet d’obliger les multinationales pharmaceutiques à aligner leurs tarifs.
La réduction drastique du prix d’une partie des molécules indispensables aux malades du sida dans les pays pauvres est due à l’apparition de médicaments génériques vendus à très bas prix, ce qui a entraîné une baisse sans précédant des prix proposés par les multinationales sur ces médicaments. En octobre 2000, un producteur indien de génériques proposait des trithérapies pour 800 dollars US par an (soit une économie de plus de 90% par rapport aux prix annoncés par les multinationales). En février 2001 il ramenait son prix à 350 dollars US. En octobre 2001, un autre producteur de génériques descendait à 295 dollars US. La nécessité d’une concurrence entre producteurs pour permettre l’accessibilité des médicaments est ici flagrante.
Les producteurs de génériques ont ainsi prouvé deux choses :
– que les marges de baisse du prix des médicaments sont bien supérieures à ce que prétend l’industrie occidentale (nous n’avons toujours aucune idée de ce qu’est le prix coûtant d’un médicament),
– que l’arrivée des génériques change complètement la donne dans la mesure où l’accès à des médicaments abordables ne dépend plus du bon vouloir philanthropique des multinationales, mais des règles économiques de la concurrence.
Certains pays ont actuellement la capacité de produire des médicaments de bonne qualité qu’ils peuvent vendre à très bas prix (Inde, Brésil, Thaïlande).
Pour autant, l’intégralité de la palette thérapeutique contre le sida n’est pas disponible à des prix abordables dans les pays en développement. Ce alors que le sida est une maladie qui nécessite de disposer du plus grand nombre de molécules existantes afin de pouvoir prescrire les combinaisons thérapeutiques les plus efficaces et les plus adaptées aux patients. Or, il n’existe toujours pas de production génériques des traitements les plus récents (amprenavir, lopinavir, tenofovir, par exemple).
La plupart des pays en développement, soumis à pression, hésitent encore à autoriser la production ou l’importation des copies de médicaments, craignant les représailles des pays occidentaux. Les productions locales ne concernent donc que très peu de pays et il n’existe toujours aucune copie des traitements les plus récents qui restent par conséquent inabordables.
En outre, à partir de 2006 l’ensemble des pays membres de l’OMC devront appliquer les réglementations de l’OMC. Si l’interprétation des Accords sur la propriété intellectuelle n’est pas claire et que le droit des pays en développement à produire, importer ou exporter des médicaments génériques n’est pas reconnu par tous, les pays pauvres les plus touchés par le sida seront d’office exclus de l’accès aux nouveaux traitements et d’une façon générale aux futures innovations de santé.
C’est pourquoi aujourd’hui à Doha, une soixantaine de pays demandent que l’OMC donne officiellement des garanties aux pays qui souhaitent recourir à des copies de médicaments.
Depuis le 19 septembre, 60 pays ont demandés que «plus rien au sein des accords internationaux n’entrave l’accès à la santé et aux médicaments» ; ceci en particulier afin qu’ils puissent produire ou échanger des produits génériques sans avoir à craindre pressions ou chantages de la part des pays du Nord.
Les Etats-unis, l’Australie, le Japon, la Suisse et le Canada s’opposent à cette demande et tentent de l’étouffer. Ils continuent d’imposer aux pays en développement des règles plus contraignantes encore que les accords internationaux.
Contrairement aux discours récents de certains responsables politiques, dans les faits et par leurs pressions, les pays riches refusent aux plus pauvres le droit de recourir aux dispositions des Accords de l’OMC dont eux-mêmes usent couramment dans d’autres domaines que la santé (les licences obligatoires sur les émissions de télévision ou les composants électroniques, dans le cas des Etats-Unis). L’exemple des Etats-Unis et du Canada envisageant de copier la ciprofloxacine, médicament contre l’anthrax sous brevet de Bayer, au nom de l’urgence nationale et en raison de prix excessifs est le plus récent et le plus significatif.
Le 28 octobre, l’OMC a mis en circulation la dernière version, avant le début de la conférence Ministérielle, de sa proposition pour une déclaration sur la propriété intellectuelle à Doha. Dans ce texte, Une fois de plus l’Organisation mondiale du Commerce se contente d’une paraphrase délibérément floue des accords TRIPS et évite de prendre une position claire et précise sur ce qu’ils autorisent. Ainsi la possibilité pour les pays intermédiaires de produire et d’exporter des médicaments afin que les pays dits les moins avancés, et qui ne disposent pas des capacités de production nécessaires, puissent en bénéficier, est occultée dans cette proposition. Ouverture unique proposée par ce texte, l’article 4, qui comporte deux options. La première reprendrait la demande des pays en développement selon laquelle rien dans les accords TRIPS ne doit entraver l’accès à la santé et aux médicaments. La seconde n’est ni plus ni moins qu’une reprise de la position américaine et ne présente aucun intérêt pour les pays en développement.
Si, comme il est probable, l’option des pays pauvres est écartée, la totalité des demandes déposées par la coalition de 60 pays le 19 septembre à Genève, aura été ignorée par l’OMC au bénéfice de la position Américaine. Et l’OMC fera une fois de plus la démonstration de son mépris des besoins des populations.
A maintes reprises, l’OMC a soutenu officiellement ou officieusement la position criminelle des pays du Nord. A ce stade de la pandémie de sida, l’organisation mondiale du Commerce doit absolument se prononcer en faveur de l’accès aux médicaments génériques pour les malades des pays pauvres.
Si Mike Moore (directeur de l’OMC) et Robert Zoellick (Secrétaire américain au Commerce) se sont systématiquement opposes aux efforts des pays pauvres pour garantir le droit fondamental a la santé, Pascal Lamy (commissaire européen au Commerce), qui jusqu’ici a choisi l’ambiguïté, est aujourd’hui en position de mettre un terme a la logique criminelle de l’OMC.
Jusqu’à présent, l’Union européenne s’est contenté dans le cadre des négociations de Doha de propositions visant à rassurer l’industrie pharmaceutique et à renforcer son emprise sur l’accès aux médicaments, en conditionnant juridiquement le recours aux génériques à des négociations préalables avec les détenteurs de brevets.
Après 18 mois de consultation avec la société civile, l’Union européenne se montre toujours incapable de prendre, face aux multinationales, la défense, pourtant légitime, du droit des plus pauvres a la santé. En 18 mois près de 5 millions de personnes qui n’avaient pas accès aux traitements sont pourtant mortes du sida.
Lors de la dernière Assemblée Mondiale de la Santé, les observateurs ont pu être témoin de la façon dont l’UE, sous couvert d’un soi-disant rôle de médiation entre pays pauvres d’une part et Etats-Unis d’autre part, a en réalité pesé de tout son poids pour réduire à néant les demandes très concrètes des pays du Sud en matière d’accès aux génériques et de contrôle des prix des médicaments.
Le 1er novembre 2001, la Commission Paritaire Européenne mandatait Pascal Lamy pour «soutenir clairement et sans ambiguïté la position des pays en développement sur l’interprétation de l’accord ADPIC». La Commission Paritaire «souhaite intégrer dans la déclaration ministérielle qui sera adoptée par l’OMC à Doha, la reconnaissance explicite de l’autorisation de recours aux clauses de sauvegarde, contenue dans l’accord ADPIC». Elle «confirme notamment que rien, dans cet accord, ne saurait empêcher les membres de l’OMC de prendre des mesures pour protéger la santé publique. Les pays ayant recours aux clauses de sauvegarde ne pourront donc être poursuivis devant l’OMC.»
Le commissaire Lamy portera une part majeure de responsabilité dans les décisions qui seront prises lors de la conférence ministérielle au Qatar.
10 000 personnes meurent chaque jour du sida. Le Commissaire Européen au Commerce doit refuser le jeu des Etats-Unis a l’OMC.
Il est impératif qu’à Doha l’OMC établisse sans ambiguïté que, suivant les dispositions prévues au sein des accords internationaux sur la propriété intellectuelle, les pays ont la possibilité de produire, d’importer ou d’exporter des médicaments.
Les accords de l’OMC prévoient une certaine flexibilité de la protection des brevets qui est censée permettre de faire face aux urgences sanitaires et aux besoins de médicaments bon marché.
Ainsi, l’Article 31 de l’Accord ADPIC prévoit que les Etats puissent décréter une licence obligatoire sur un brevet et ainsi fabriquer ou importer des génériques d’un médicament sous brevet.
L’Article 30 prévoit qu’un pays puisse fabriquer des génériques d’un médicament sous brevet pour les exporter vers un pays où ce médicament n’est pas sous monopole, tant que le générique n’est pas commercialisé dans le pays d’exportation mais uniquement dans le pays d’importation, où ce médicament n’est pas sous monopole — ce qui ne cause pas de tort particulier au détenteur du brevet dans le pays d’exportation.
L’Article 39.3 prévoit qu’il soit possible aux pays riches de transmettre les données techniques concernant la fabrication d’un médicament nouveau à des pays pauvres dans lesquels l’absence de brevet sur ledit médicament permet cette transmission, dans la mesure où elle ne représente pas une concurrence déloyale, ou dans des pays pauvres dans lesquels le laboratoire ne cherche pas à obtenir ‘autorisation de commercialiser ledit médicament. Ceci est essentiel afin que, d’une part, chaque gouvernement puisse s’assurer de la qualité des médicaments vendus sur son territoire, d’autre part pour que, en cas de non-monopole de brevet, les fabricants de génériques puissent fabriquer des copies des médicaments originaux qui soient absolument parfaites en qualité.
L’Article 66 prévoit que les pays les moins avancés auront droit à une extension automatique jusqu’en 2016 de la période de transition pendant laquelle ils ne sont pas encore obligés de protéger la propriété intellectuelle à travers l’application de l’ADPIC. Mais l’OMC refuse aux pays dits «intermédiaires» tels que l’Inde, où les statistiques officielles dénombrent près de 5 millions de séropositifs et où le PNB/hab est inférieur à la barre des 500 dollars, le droit à cette extension. Il est par conséquent nécessaire que la réunion Ministérielle de l’OMC à Doha fasse valoir cette extension pour tous les pays en développement, y compris les pays dits «intermédiaires».
A Doha, les Ministres du Commerce du monde entier vont préciser les règles du commerce international pour les années à venir. En matière d’accès aux traitements et à la santé, l’enjeu est considérable. Des médicaments abordables et de qualité doivent être produits et distribués par les pays en développement sans qu’aucune mesure de rétorsion ne les inquiète. L’OMC ne peut constituer une entrave au droit à la santé.