Depuis l’avènement des trithérapies hautement actives contre le VIH en 1996, la survie des malades s’est considérablement allongée, grâce à la remontée du taux de CD4 et la baisse de la charge virale, en dépit de la difficulté de la prise des antirétroviraux et à l’exception de ceux qui, parmi nous, subissent des phénomènes d’échappement virologique.
Mais l’allongement de notre vie s’accompagne de la survenue d’autres pathologies qui ne s’exprimaient pas avant, lorsque le pronostic de survie était court. Aujourd’hui, on prend conscience, un peu tard sans doute, qu’au moins 50 % des patients VIH en Ile-de-France sont touchés par une hépatite.
Le pronostic vital des personnes coinfectées est menacé non plus par le sida, mais par les complications de l’hépatite. Là où il faut en moyenne 30 à 40 ans à une personne séronégative au VIH pour développer une cirrhose, une dizaine d’années suffit chez une personne coinfectée pour la voir apparaître.
En raison du manque d’intérêt longtemps en vigueur ou de l’ancienneté d’une hépatite chez de nombreux patients coinfectés, certains souffrent d’une cirrhose qui s’accompagne de nombreux symptômes graves. L’une des issues qui reste possible est alors la greffe d’un foie. Mais attention : l’objectif d’une greffe n’est pas de guérir d’une hépatite. Après la transplantation, le foie remplira de nouveau ses fonctions, mais le patient restera infecté.
L’indication à la greffe n’est évidemment pas systématique. Certaines personnes souffrant d’une cirrhose ne connaissent pas de complication : leur cirrhose est compensée. Il est inutile, dans ce cas, de se précipiter.
Une chose est certaine : des patients jeunes (entre 30 et 40 ans) dont la charge virale VIH est devenue indétectable sont candidats à la transplantation hépatique, parce qu’ils n’ont pas répondu favorablement aux traitements actuels des hépatites (interféron et ribavirine pour l’hépatite C, interféron et lamivudine pour les hépatites B et D). L’histoire du sida en restera marquée. C’est désormais un autre regard qu’il faut porter sur l’infection à VIH.
le don d’organe, c’est quoi ?
En France, nous sommes confrontés à un déficit d’organes : cela signifie qu’il y a davantage de personnes en attente d’une greffe de foie que de donneurs. Les greffons disponibles ne couvrent que 55% des besoins. 29% des candidats à la greffe seront réinscrits l’année suivante sur la liste d’attente, faute d’avoir pu bénéficier d’une transplantation. Cette attente peut donc être longue. Les groupes sanguins AB et B sont ceux qui attendent le plus longtemps, en raison de la difficulté à trouver un donneur dont le groupe sanguin soit compatible. Mais dans les faits, la greffe dépend de l’état du patient : des situations d’urgence (atteinte hépatique fulminante, évolution très rapide d’une cirrhose) sont bien sûr prioritaires par rapport à des cirrhoses faiblement évolutives.
Le don d’organe repose sur trois types de prélèvements possibles :
– sur des donneurs vivants apparentés, mariés, ou sous le régime du PaCS. Un prélèvement est effectué, qui constituera le greffon. Parce que le foie se régénère, le donneur vivant ne subit pas de préjudice.
– sur des donneurs décédés : le prélèvement est effectué dans les heures qui suivent la mort d’une personne.
– sur des donneurs eux-mêmes en attente de greffe. Souffrant de problèmes hépatiques occasionnés par une anomalie génétique, ces personnes peuvent donner leur foie, qui sera greffé sur une personne VHB+ ou VHC+. Mais l’anomalie génétique est transmise au receveur et elle surviendra dans un délai d’environ 20 ans. On appelle cette technique : «la Technique du Domino».
n’y a-t-il pas de contre-indication entre le vih et la greffe ?
L’idée qui a prévalu en 1993 pendant la Conférence de Consensus sur les indications de la transplantation était que l’infection au VIH sans sida était une contre-indication relativement à la greffe, et que l’existence d’un sida était une contre-indication absolue. On se fondait alors sur des expériences menées entre 88 et 90, à un moment où l’on ne disposait pas d’un arsenal antirétroviral important, ni de la connaissance actuelle des virus. La survie était nettement plus faible que chez les patients transplantés séronégatifs au VIH : en 1994, le Dr Bouscarat montrait une survie à 7 ans pour 36% des personnes coinfectées, contre 70% chez les personnes séronégatives au VIH. D’autres essais présentaient des résultats plus défavorables encore. Les expériences demeuraient donc très décevantes. Mais les connaissances ont évolué, le profil immunologique des patients aussi. Il redevient possible d’envisager la greffe d’un foie.
quels sont les problèmes que l’on rencontre ?
Bien évidemment, il ne s’agit pas de dresser un tableau idyllique. Au contraire, la greffe du foie est le dernier recours, lorsqu’il est trop tard et que tout a déjà été entrepris. C’est un acte chirurgical très délicat, qui nécessite une surveillance particulièrement attentive.
La première étape est de poser l’indication de la greffe. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte : une cirrhose qui continue à s’aggraver, le délai d’attente pour le don d’organe, le profil psychologique et l’état général. Proposer une greffe de foie à un patient touché par le VIH, ce n’est pas facile. Prendre déjà des médicaments depuis de nombreuses années, connaître la souffrance, et apprendre que le foie est très fatigué… De nouveaux obstacles se présentent, après plus de dix ans d’efforts thérapeutiques.
Le deuxième problème relève du suivi thérapeutique. C’est d’abord l’acte chirurgical lui-même. Mais c’est aussi l’impact de l’immunosuppression volontairement provoquée. Elle est suscitée par les traitements qui empêchent le rejet du greffon. La personne greffée devra toute sa vie prendre des médicaments pour empêcher le rejet. Ces médicaments anti-rejet sont des médicaments immunosuppresseurs : ils modulent ou affaiblissent l’activité immunitaire afin que le patient ne rejette pas immunologiquement ce greffon. Or un patient touché par le VIH a besoin d’être soutenu sur le plan immunitaire pour échapper aux infections opportunistes et au risque de lymphome. Il faut donc à la fois maintenir une bonne immunité grâce à l’activité des antirétroviraux, et préserver le greffon par l’intermédiaire des immunosuppresseurs.
Il faudra enfin surveiller, comme pour toute personne VIH+, une éventuelle augmentation de la charge virale VIH, une possible réactivation de la maladie, sans exclure l’apparition éventuelle de VIH résistants. Ce qu’il s’agira dorénavant de contrôler, c’est une double immunosuppression : celle que l’on organise pour bloquer le rejet du greffon, et celle que l’on veut éviter parce qu’elle est liée au VIH.
quelle utilisation faut-il faire des dosages plasmatiques ?
La posologie de chacun de ces traitements doit être adaptée selon le patient. C’est essentiel pour supprimer tout risque de toxicité médicamenteuse, ainsi que des interactions trop importantes entre ces deux traitements. On sait par exemple que lorsque la trithérapie contient une antiprotéase, de puissantes interférences médicamenteuses apparaissent. Les antiprotéases inhibent le cytochrome P-450 : si elles sont surdosées, elles peuvent empêcher l’action des médicaments anti-rejet. De ce point de vue, les analogues nucléosidiques sont les moins embarrassants. Mais tout le monde ne peut pas prétendre à une trithérapie exclusivement constituée d’analogues nucléosidiques.
après la greffe est-on guéri de son hépatite ?
Certains cas récemment rapportés chez des personnes coinfectées laissent apparaître une gravité particulière de la réinfection par le VHC après la transplantation. Le traitement rapide par une bithérapie «interféron + ribavirine» est donc l’hypothèse qu’il va falloir retenir, si l’on veut que le foie greffé demeure en bon état de fonctionnement.
C’est la même chose avec le VHB : puisque le patient n’a pas développé d’anticorps spécifiques, il doit suivre un traitement préventif de contrôle du virus hépatique, soit par adéfovir dipivoxil, soit par injection d’immunoglobulines spécifiques anti-VHB. C’est dire combien la greffe est un acte lourd qui ne se décide pas avec insouciance et légèreté.
comment en sommes nous arrivés là ?
Cela fait longtemps que l’on dépiste les hépatites B et C. Un vaccin est même disponible depuis 1972 contre l’hépatite B. Alors pourquoi cet état d’urgence ?
Le problème des hépatites a été sous-évalué. Les infectiologues privilégiaient le VIH sur toute autre considération. Mais surtout, les autorités ont pris du retard : les hépatites n’étaient pas considérées comme des pathologies graves.
Pendant longtemps, les recherches thérapeutiques n’ont pas avancé. Le VHB a seulement profité ces dernières années des progrès réalisés dans la connaissance du VIH, en tirant profit de la découverte de l’action inhibitrice de la lamivudine puis de l’adéfovir.
L’interféron est, de son côté, un traitement extrêmement lourd et médiocrement efficace. Des améliorations ont pu lui être apportées (une injection par semaine contre une tous les deux jours naguère). Mais c’est toujours lui qui prévaut comme traitement de base des hépatites, en association avec des antirétroviraux. C’est dire combien nous n’en sommes qu’au début des avancées thérapeutiques.