Depuis 10 ans, l’explosion des épidémies de VIH, VHC et VHB en prison contraint les responsables politiques à une prise en compte des questions de santé en milieu carcéral. L’urgence de la situation a ainsi entraîné la mise en place en 1994 d’une réforme dite « progressiste » du système de soins en prison (dont les effets concrets restent pourtant très insatisfaisants), la réalisation en 1997 d’une étude sur la prise en charge du VIH et de la toxicomanie en prison, et enfin récemment la production de ce nouveau rapport sur « sur la réduction des risques de transmission du VIH et des hépatites virales en milieu carcéral ».
Déposée sur le bureau de la Garde des Sceaux en décembre de l’année dernière, cette enquête menée par l’administration pénitentiaire et la Direction Générale de la Santé a pour but de dresser « un constat objectif » afin de préciser le type de politique sanitaire qui doit être appliquée en prison.
Si ce rapport contient quelques « révélations » — sur les échecs de la prévention en prison, sur les pratiques d’injection par voie intraveineuse ou sur la substitution. Il reste cependant que ce « constat objectif » vient un peu tardivement : Act Up-Paris le dresse depuis des années sans que cela ne suscite la moindre réaction des pouvoirs publics. Oui, nous savions qu’il y a des rapports sexuels non-protégés en prison. Oui, nous savions que la pratique de l’injection y est courante, que les substitutions se font de façon complètement aléatoires dans l’enceinte pénitentiaire. Pour le savoir, il suffit de prêter attention aux témoignages de détenus, séropositifs, ou coinfectés, de leurs proches, ou de jeter un regard sur les études disponibles. Ainsi, la juste du constat ne fait qu’aggraver ce que l’inertie des irresponsables politiques a d’insupportable.
Mais rappelons les données que ce rapport officialise enfin. Concernant « l’exposition des personnes détenues aux risques de transmission de maladies infectieuses par voies sexuelle et sanguine », il fournit entre autre le chiffre des détenus infectés par le VIH et connus des services médicaux en juin 1998 : on comptait alors 866 détenus atteints par le VIH (1.56% ) dans les prisons françaises, dont 165 au stade sida. Ce qui correspond à une séroprévalence 3 à 4 fois supérieure à celle qui prévaut à l’extérieur. Concernant le VHC — les chiffres, sous–estimés, sont à prendre avec prudence (un entrant sur cinq déclare avoir été dépisté) — le taux de séropositivité serait de 4,4% (enquête sur l’état de santé des entrants 1999). Il apparaît que les femmes sont plus touchées que les hommes, avec un taux de séropositivité de 3.1% pour le VIH, et 6% pour le VHC. Parmi les usagers de drogues la séroprévalence est également supérieur à celle de la population carcérale générale. Par ailleurs, un document officiel note que 12% des UDVI actifs incarcérés continuent leurs pratiques d’injections en prison, et que 10% d’entre eux déclarent avoir partagé leur matériel d’injection en détention. Le produit injecté est généralement l’héroïne, parfois la cocaïne et plus exceptionnellement le Subutex® et le Skénan®. Le nombre de personnes s’injectant des produits en détention sur une année est estimé à environ un millier, soit environ 2% de la population pénale.
L’étude (ORS PACA de 1998) apporte également des données quantitatives sur les relations sexuelles en détention. Ainsi, sur 1212 personnes interrogées, 8% déclarent avoir des rapports hétérosexuels en détention, et 1% des rapports homosexuels. 20% des personnes ayant une relation sexuelle en détention ont utilisé un préservatif lors du dernier rapport occasionnel.
Dans sa deuxième partie consacrée à la prévention en détention, le rapport tire des conclusions mitigées. En 1985 une circulaire signifiant la nécessité de sensibiliser le personnel carcéral, les détenus, de dédramatiser les peurs autour des virus du sida et des hépatites, était envoyée à destination des responsables pénitentiaires et responsables médicaux intervenant en détention. La mise en place d’actions d’éducation pour la santé, de dépistage, de substitution, la mise à disposition d’eau de Javel, de préservatifs laissaient alors envisager un certain progrès de la prévention en prison. Le rapport montre pourtant que toutes ces mesures restent largement insuffisantes ; ce dont témoigne l’exemple suivant : en 1998, 34% des détenus pensaient qu’il était impossible d’accéder à des préservatifs en détention (enquête ORS PACA), alors qu’au même moment la capote était censée être rendue pleinement dans la prison. Ni plis ni moins qu’auparavant, la sexualité reste compliquée à vivre pour les détenus comme pour les surveillants. Par ailleurs, on constate que la substitution a ses limites en détention, et surtout que le sevrage forcé est loin d’apporter les réponses escomptées.
La troisième partie du rapport développe analyses et propositions pour une « politique de réduction des risques adaptée au milieu carcéral ». Pour répondre au constat déplorable quant à la situation sanitaire en détention, les mesures envisagées s’imposent en effet pour permettre un meilleur dépistage, développer l’accès à l’information pour les détenus comme pour les surveillants (notamment sur les traitements prophylactiques), améliorer l’accessibilité au préservatif, prendre en compte le « fémidon » pour les détenues ; développer les traitements de substitution… Encore faut-il que ces mesures soient effectives, rapidement.
En outre, il faut désormais aller beaucoup plus loin et accélérer la cadence : avec la défense d’un véritable droit à la sexualité, d’une véritable égalité des soins entre l’intérieur et l’extérieur. Pourtant, les programmes d’échange de seringues sont encore considérés dans ce rapport comme « prématurés » en France. Malgré les chiffres sur la pratique d’injection en prison, sur l’échange de matériel, sur la propagation de l’hépatite C, et bien que le rapport souligne l’existence d’expériences « plutôt positives » menées dans ce domaine à l’étranger, rien n’y fait : il faudra encore attendre. Attendre, probablement jusqu’à ce que la gestion des hépatites C soit devenue impossible. Comme le dit si justement le rapport, en France, « on réagi avec lenteur à la propagation du VIH et des hépatites. La politique de réduction des risques est encore fragile ».
D’une manière générale, le constat que dresse ce rapport semble effectivement « objectif », mais il n’a rien de nouveau. La Garde des Sceaux est au fait de la situation depuis presque un an maintenant. L’étude ORS PACA a été publiée en 1998, elle suffisait pour réagir. Les politiques n’entendent ni les détenus, ni leurs proches, ni les associations, ni les médecins. Les rapports de l’Assemblée nationale et du Sénat l’année dernière sont resté lettre morte. Dans ce contexte ce rapport aura-t-il un impact ? On peut se permettre d’en douter.
Avec ce rapport, il est clair que nous disposons d’une nouvelle arme, produite par ceux-là mêmes qui ignorent la voix des détenus, des associations, des chercheurs. Dès que nous le pourrons, nous en userons à grand bruit. Mais ce rapport nous pousse également à un constat insupportable : en 2001, les responsables politiques en sont encore à attendre tranquillement l’explosion d’une épidémie pour « agir ». Le temps de l’action politique tourne au ralenti.
Alors, à la lecture de ce rapport et des informations qu’il officialise, c’est la colère qui l’emporte. Et cette question : Mesdames et Messieurs les Gardes des Sceaux de cette décennie, de combien de morts votre inaction vous rend-elle responsable ?
M. Kouchner et Mme Lebranchu n’ont aucune politique sanitaire en direction des détenus. Pendant ce temps, les contaminations ne cessent d’augmenter.