L’A.F.E.F. (Association Française pour l’Étude du Foie) est la « société savante » de référence pour les hépato-gastro-entérologues. Pratique inhabituelle : lors de son dernier congrès à Angers, le 6 octobre 2001, un représentant d’association de patients a été officiellement invité à parler à la tribune : il s’agissait de Pascal Melin, président de SOS Hépatites, la principale fédération de malades en France.
Pascal Melin a fait un état des lieux des difficultés rencontrées actuellement par les malades, la première étant souvent de parvenir à expliquer les problèmes auxquels ils sont confrontés : « Les hépatites, ces maladies paradoxales, qui restreignent la vie relationnelle et favorisent l’exclusion sociale, qui mobilisent des traumatismes antérieurs tout en étant des maladies transmissibles mais non contagieuses … ». Difficile d’appréhender ces réalités et de vivre avec, sans un soutien efficace et la prise en compte, à l’instar des aspects purement médicaux, des questions, liées plus ou moins étroitement à la maladie, concernant la qualité de vie. « Malgré l’expérience du V.I.H. et des maladies chroniques, notre système sanitaire n’est pas prêt à accueillir une épidémie virale comme le V.H.C. touchant 650 000 personnes. On ne peut aujourd’hui se satisfaire des progrès thérapeutiques, il est urgent de concevoir et mettre en place des équipes d’éducation multidisciplinaire pour accompagner et maintenir dans le soin le plus grand nombre de patients ».
Pour de nombreux médecins, la coinfection VIH-hépatites est devenue un sujet d’actualité bien trop complexe et bien trop controversé pour qu’ils y accordent quelques efforts. Les polémiques font rage entre « infectio » et « hépato ». Les hépatologues voient d’un mauvais œil qu’une clientèle si nombreuse reste la « part de marché » des services d’infectiologie. Un véritable esprit de concurrence règne ainsi dans la plupart des « hôpitaux publics », les coinfectés essuyant toujours les plâtres du manque de dialogue et de travail multidisciplinaire. Cet état de fait est largement entretenu par la Direction Hospitalière et l’AP-HP : pendant que leurs chefs de service se disputent des titres de carrière, elles appliquent une politique d’austérité et s’emploient de façon absurde à réduire les moyens financiers.
Dans les éditions de 1999 et 2000, les recommandations thérapeutiques VIH du groupe Delfraissy consacraient un chapitre entier à la coinfection et abordaient toutes les hépatites (vaccin contre VHA et VHB, et traitement des hépatites B, C et D). Les nouvelles recommandations VIH de ce groupe d’experts seront publiées courant 2002. Voilà pour le côté des infectiologues. Mais les hépatologues ne supportent apparemment pas de se référer à des recommandations VIH. Il est donc urgent que soient produites des recommandations sur la coinfection du côté des hépatologues.
Les 27 et 28 février prochains, se réunira la nouvelle Conférence de Consensus VHC. Quelques mois plus tard, une mise à jour de ses « dogmes » sera publiée. Ces recommandations concerneront exclusivement l’hépatite C. Les autres hépatites, et notamment l’hépatite B, font l’objet d’un blocage « idéologique » de quelques acteurs institutionnels du Ministère de la Santé et du Ministère de la Recherche. Pourtant tout le monde reconnaît que ces autres hépatites sont des co-facteurs particulièrement aggravants pour le VHC. Il est donc primordial que toutes les associations de malades s’investissent dans ces recommandations afin que les coinfectés ne restent pas seuls, pris entre ces deux feux.
Depuis trois ans, l’enquête « Un jour donné », tente de documenter les connaissances épidémiologiques en matière de coinfection VIH-VHC en France. L’INVS (Institut National de Veille Sanitaire) s’est engagé depuis peu à ce que, l’année prochaine, des moyens soient mis afin que cette enquête soit étendue à la coinfection VIH-hépatites, quelles qu’elles soient.
Cette enquête a eu lieu le 19 juin 1999, le 21 juin 2000 et en juin 2001. Les données recueillies en 2001 et la synthèse de trois années étant en cours de validation, elles ne seront dévoilées qu’en janvier. La plupart des instances gouvernementales ont d’abord fait la sourde oreille face aux chiffres alarmants produits par ces enquêtes successives, prétextant une surévaluation du phénomène. L’enquête 2001 a donc suivi une méthodologie scrupuleuse afin de proposer une photographie précise de la situation française. Cependant, en utilisant une méthodologie différente, les résultats de prévalence nationale dans la population séropositive ne varient que de 5,2 points : la prévalence est de 28,4% en 2001 contre 33,6% en 2000. En France, un séropositif VIH sur trois est coinfecté par le VHC. Il faut souligner avec insistance le fait que les autres hépatites virales chroniques n’ont pas été prises en compte dans l’enquête et cette négligence continue de coûter la vie à de nombreux séropositifs VIH coinfectés par les hépatites B et D. Les responsables institutionnels auront à s’en justifier : aucun effort n’est fait aujourd’hui pour promouvoir la recherche thérapeutique et de nouvelles molécules efficaces contre le VHB.
Tous les hôpitaux participant à l’enquête 2000 ont proposé à tous les séropositifs VIH fréquentant l’hôpital dans la journée du 21 juin 2000, de remplir avec l’aide de leur médecin un questionnaire détaillé. Nous vous avions donné les résultats de l’enquête 1999, voilà une synthèse des données recueillies en 2000 en attendant les résultats pour 2001 :
Les patients
La moitié des 1 255 patients de cette enquête sont des hommes ayant entre 35 et 44 ans. Les femmes représentent 28% des patients VIH et 28% des coinfectés.
Prise en charge
73 hôpitaux ont répondu à cette enquête. Les coinfectés sont répartis comme suit : 55% Ile de France (30 hôp.), 15% PACA (10 hôp.) et 30% sur le reste de la province (33 hôp.). La moitié des patients étudiés sont venus dans un hôpital de l’AP-HP (20 hôp.). 35% des patients sont sur Paris (15 hôp.), 15% sur Nice et Marseille (5 hôp.) et 50% sur le reste de la France.
La répartition des patients VIH dans les différents services hospitaliers était la suivante : 70% maladies infectieuses, 15% médecine interne, 10% autres services, et seulement 5% dans les services d’hépatologie. Cette sous-représentation des services d’hépatologie mérite d’être soulignée. Cependant, la prévalence de VIH-VHC parmi les séropos VIH dans chaque service est respectivement de 29%, 32% et 41%, et elle atteint 73% dans les services d’hépatologie. Les patients VIH étaient 45% en consultation, 25% en hôpital de jour et 30% en hospitalisation complète.
Alcool
70% déclarent consommer moins de 4 verres par jours, 20% de 4 à 8 verres, et 10% plus de 8 verres par jour. Ce dernier chiffre peut sembler faible au regard des constats de consommation d’alcool fait par les associations de séropositifs.
Transmission VHC
75% des coinfectés ont été contaminés par usage de drogues, 10% par transfusion, 5% rapports bi-homosexuels et pour 10%, le mode de transmission est inconnu. Les estimations de l’année de la première prise de risques vont de 1973 à 2000. Une nette augmentation des premières prises de risques est visible de 1977 (1 cas) à 85 (23 cas), puis en baisse jusqu’en 96 (3 cas), où elle stagne.
Examens VIH
70% des coinfectés ont moins de 500 CD4. 40% des coinfectés sont au stade sida contre 20% chez les séropositifs VIH (DMI2).
Examens VHC
58 patients (5%) ne connaissaient pas leur sérologie ou bien n’avaient pas fait de dépistage VHC. La biopsie a été plus fréquemment faite quand le mode de contamination est inconnu (80% versus 55%). 65% des coinfectés ont des génotypes 1 et 4 qui répondent moins bien aux traitements (1=50%, 2=1%, 3=35% et 4=15%).
Fibrose
15% des coinfectés ont une charge virale d’ARN-VHC « indétectable ». S’agit-il de « guérison spontanée » ou bien des limite de sensibilité des tests ?
Chez les coinfectés ayant une charge virale ARN-VHC détectable, 40% ont des transaminases normales (ALAT). Parmi eux, 12,5% ont des transaminases normales et sont déjà en cirrhose. Les transaminases ne sont en aucun cas des marqueurs suffisants pour diagnostiquer des lésions aux foie résultant des hépatites virales chroniques.
15% seulement des coinfectés ont une hépatite minime (F1) et peuvent attendre l’arrivée de traitements plus faciles à supporter, même si à ce stade les chances de guérison sont grandes. Cependant, il faut absolument rappeler que si le VHC est traité tôt et que la charge virale VHC est devenue indetéctable, alors le traitement VIH sera d’autant plus efficace. 60% ont une hépatite modérée ou sévère (F2-F3) et doivent être mis sous traitement rapidement. 25% sont en cirrhose. Or, la cirrhose du foie rend plus difficiles la métabolisation et la réponse à tous les traitements (VIH, hépatites, …). Elle atteint lourdement la qualité de vie.
En conclusion, lorsque le VIH est déjà contrôlé et stabilisé par une thérapie efficace, et que les lésions dues à l’hépatite virale chronique ne sont pas trop avancée (< F2), alors le traitement de l'hépatite chronique devient une priorité. Lorsque le VIH est mal contrôlé et/ou que les lésions hépatiques sont avancées, la discussion des stratégies thérapeutiques sera plus délicate et demandera impérativement les compétences communes d'un hépato et d'un infectio.
Coinfection
Les 406 coinfectés représentent une prévalence totale de 33,4%. En France, un séropositif VIH sur trois est coinfecté au moins par le VHC. Cette prévalence explose à Nice et Marseille (60%), et en banlieue parisienne (37%). Une autre étude du DMI2, indique sur Paris, une prévalence de 48%. En province (hors Ile de France et PACA) la prévalence est de 26,4%. Depuis trois ans, les nouveaux cas de contamination VIH ont explosé chez les bi-homosexuels de 15 à 24 ans et chez les femmes de 35 à 44 ans. La prévalence nationale de coinfection de ces deux groupes est de 47%, soit 50% de plus que la moyenne générale. Il serait donc primordial de savoir si les nouveaux cas de contamination VIH ne sont pas, en fait, des cas de contamination VIH-VHC.
En France, en l’an 2000, il y aurait officiellement environ 150 000 séropositifs VIH. En reprenant les pourcentages ci-dessus, nous pouvons tenter d’évaluer l’ampleur et les conséquences de la coinfection VIH-VHC qui concerne environ 50 000 personnes.
Pourquoi se préoccuper de la cirrhose virale C chez les coinfectés VIH et de son unique et difficile traitement ?
Parce que chez les coinfectés VIH-VHC les dépistages VHC ne sont pas encore faits ou bien que les résultats ne sont pas connus pour tous les séropos (4,6% = environ 2 300 coinfectés). Parce que les traitements sont moins bien supportés et moins efficaces avec l’âge. 7,3% (environ 3 600 coinfectés) sont des hommes de plus de 55 ans et des femmes de plus de 45 ans. Parce que 63,9% (environ 32 000 coinfectés) ont un génotype 1 ou 4, demandant un an de traitement au lieu de six mois. C’est un traitement long qui demande à être bien préparé avec le soutien de son entourage. Parce que 11,8% (environ 6 000 coinfectés) déclarent consommer plus de 8 verres par jour. Les lésions sur le foie sont alors plus sévères, la progression de la fibrose encore plus rapide et la réponse aux traitements moindre. 40% (environ 20 000 coinfectés) des coinfectés ont déjà eu au moins un événement classant sida. 19,1% (environ 10 000 coinfectés) ont moins de 200 CD4 et ne sont pas encore en cirrhose. 29,6% (environ 15 000 coinfectés) sont déjà en cirrhose. 8,7% (environ 4 500 coinfectés) sont en cirrhose avec moins de 200 CD4.
La moitié des coinfectés VIH-VHC, soit environ 25 000 personnes, ont moins de 200 CD4 et/ou une cirrhose déjà constituée.
S’il a fallu une trentaine d’années pour que les cas de cirrhoses se déclarent en nombre, l’épidémie de V.H.C. fait aujourd’hui exploser toutes les files d’attentes de la plupart des services d’hépatologie. Aujourd’hui, il faut compter au moins trois mois d’attente pour obtenir un rendez vous avec un hépato dans un hôpital.