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Le 11 septembre, il aura fallu peu de temps aux Etats-Unis et à leurs alliés pour se mettre sur le pied de guerre. Une coalition mondiale, des budgets sans limites, une médiatisation quotidienne, la mise au pas de l’industrie pharmaceutique : les pays riches ont déployé en deux mois l’arsenal qu’ils refusent depuis vingt ans à une autre guerre, la lutte contre le sida. Le dixième des moyens engagés en Afghanistan aurait pourtant suffi à vaincre l’épidémie. Une vraie solidarité internationale, une prévention sans fausse pudeur, des conditions de vie décentes, l’accès aux médicaments pour tous : le 1er décembre, personne ne pourra prétendre que nous exigeons l’impossible. Le 1er décembre, comme chaque année, Act Up organise une manifestation. Parce que cette journée mondiale de lutte contre le sida n’a de sens que si dans chaque ville, des milliers de personnes sont dans la rue. Parce que c’est l’occasion de se sentir un peu plus grands, un peu plus forts, un peu moins seuls dans les combats que nous menons. Parce qu’en manifestant avec nous ce jour-là, vous donnez du poids à nos revendications lorsque nous sommes face aux institutions, aux laboratoires, et à l’Etat. Il y a des batailles à gagner. La bataille de l’échappement thérapeutique en est une, celle de la production et de l’importation de médicaments génériques dans les pays en développement une autre. Toutes deux ont mobilisé nos forces pendant ces dernières semaines. Nous sommes engagés depuis deux ans dans un bras de fer avec les laboratoires Roche pour l’accès à une nouvelle molécule : le T20. Il y a dix-huit mois, les dirigeants de l’entreprise ont décidé de limiter la production de cette molécule tant qu’elle n’a pas obtenu d’autorisation de mise sur le marché. En France, seules 25 personnes auront ainsi accès au T20 en mars 2002 dans le cadre d’un essai de phase III-bis alors que 8000 personnes sont en échappement thérapeutique aujourd’hui. En novembre 2000, nous avions fermé leur usine. Les 15 et 16 novembre derniers, c’est le siège social de la filiale française que nous avons cadenassé et maculé de « faux sang ». Pendant ces deux jours, les salariés n’ont pu entrer dans le site et ont été invités par la direction à rentrer chez eux. Sur France-Inter, une des salariés de Roche à qui le journaliste demandait de réagir à cette fermeture, a déclaré : « je trouve ça démentiel, je trouve ça horrible, je trouve ça nul. Parce qu’on nous empêche de travailler. Roche n’est pas une société qui fait du mal aux pauvres homosexuels, ils n’ont qu’à faire moins de conneries, ils n’auront pas les maladies. C’est notre outil de travail qu’on nous prend, là. Mais qu’est ce qu’ils font, eux ? Ils ne travaillent pas, ils foutent rien, ils vivent sur la communauté en plus. On leur paie des soins gratuits, on leur paie tout un tas de trucs. Pays de merde. J’espère que l’autre, il va arriver au pouvoir et qu’il va foutre tout ça en taule ». A la suite de ces deux journées d’action, nous avons obtenu un rendez-vous avec les plus hauts responsables de Roche à la maison-mère de Bâle. Cependant, rien n’est gagné. Nous n’obtiendrons probablement pas le T20 en nombre suffisant pour éviter la mort de nombreux malades en impasse thérapeutique. Tout au plus quelques places supplémentaires pour les personnes pré-inclues dans l’essai d’enregistrement puis exclues. Il est trop tard pour revenir sur les décisions criminelles de limitation des coûts de production. Des investissements étaient nécessaires, il y a plus d’un an. Les dirigeants le savaient. Nous étions là pour le leur rappeler à l’époque. La décision a donc été prise en connaissance de cause et aujourd’hui, ils nous opposent des contraintes techniques de production pour justifier leur refus de fournir la molécule en compassionnel aux malades qui en ont besoin pour continuer de vivre. C’est toujours la même histoire sordide. Il est clair, dès lors, que nous n’aurons rien gagné tant que nous ne pourrons pas contraindre par des textes juridiques les laboratoires à proposer un accès au compassionnel en même temps que l’essai de phase III. L’impuissance des pouvoirs publics aujourd’hui face à l’industrie pharmaceutique devrait suffire à les convaincre d’agir rapidement. Pendant que le reste du groupe tentait de faire plier Roche, la commission Nord-Sud d’Act Up-Paris était à la conférence de l’OMC à Doha, au Qatar. L’enjeu était de taille : la conférence devait aboutir à une déclaration précisant l’interprétation des accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle de 1994 (les accords TRIPS). Les Etats-Unis, l’Europe, la Suisse et le Japon ont tenté de faire prévaloir une interprétation restrictive de ces accords afin de protéger le droit des brevets. Mais en dépit des pressions et des tentatives de division, la coalition formée par plus de 80 pays en développement a obtenu gain de cause. Dans la déclaration finale, il est dit que « chaque membre (de l’OMC) a le droit d’accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les situations pour lesquelles de telles licences peuvent être accordées ». Les gouvernements sont donc libres de produire des versions génériques des médicaments sous brevet dont ils ont besoin et il leur appartient de qualifier la situation de « problème sanitaire ». Cependant la victoire n’est pas totale : toutes les dispositions prévues par les accords TRIPS n’ont pas été clarifiées à Doha et notamment la possibilité d’exporter des médicaments sous licences obligatoires. Cette clarification est notre prochaine bataille. Nous la mènerons dans les mois à venir à Genève lors d’un prochain conseil de TRIPS à l’OMC. Chaque jour, dans le monde, 10 000 personnes meurent du sida. Il n’y a pas de fatalité. « Les seules batailles perdues d’avance sont celles qu’on n’engage pas » (Madiguène Cissé, porte-parole du mouvement des sans-papiers). Le 1er décembre, rejoignez-nous : 15h, place de la République.

 

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