Contrairement à la situation française, et au rapport, fragile, qui lie les associations de lutte contre le sida et l’AFSSaPS, la réglementation européenne du médicament ne prend pas suffisament en compte l’intérêt des malades. Voici une explication de textes qui devraient vous permettre de vous y retrouver dans les méandres à venir.
état des lieux
Les dernières procédures européennes d’autorisation et de surveillance des médicaments sont entrées en vigueur en 1995. Au centre de ce dispositif l’Agence Européenne du Médicament (EMEA). Ces procédures viennent de faire l’objet d’une évaluation après 6 années de fonctionnement. Ce bilan a conduit la Commission des Communautés Européennes à procéder à des adaptations, formalisées dans une proposition de règlement et une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil.
Les améliorations apportées sont tout à fait insuffisantes. Elles n’introduisent notamment aucune contrainte en ce qui concerne la conduite d’études de phase IV ou la mise à disposition de médicaments pour les malades en impasse thérapeutique. De plus, le projet laisse craindre des dérives en matière de publicité.
procédures d’AMM
Afin d’accélérer l’accès à des traitements innovants ayant un impact majeur en matière de santé publique, deux nouvelles procédures d’autorisation de mise sur le marché sont instaurées :
– Une procédure accélérée qui vise particulièrement, mais de façon non limitative, les médicaments anticancéreux et ceux contre l’infection par le VIH. Cette procédure n’est déclenchée qu’à l’initiative des laboratoires et rien n’est dit des mesures de suivi et des obligations qui pourraient leur être imposées.
– une autorisation conditionnelle permettant la commercialisation anticipée d’un médicament dès lors que les résultats des études disponibles montrent un bénéfice/risque important, compte tenu de la pathologie pour laquelle il est indiqué.Il s’agit d’une autorisation temporaire qui sera encadrée et révisable annuellement. Aujourd’hui, on ne sait rien des obligations qui seront imposées aux laboratoires. Qui définira le nombre de patients concernés ? Quelles seront les obligations en matière de nombre de traitements disponibles ? Quels seront les moyens de pression des autorités ?
usage compassionnel
Il est proposé une approche commune aux états membres en matière de critères et de conditions d’usage compassionnel et ceci dans le cadre des législations existantes des états membres. Ceci est une avancée notoire car, jusqu’à présent, les compassionnels étaient accordés selon la pression des associations ou des Etats membres. Par exemple, depuis l’arrivée du 3TC, en 1995, la France se trouve nettement privilégiée par rapport aux autres pays. Cette situation, profitable pour nous, rend impossible un accès équitable aux traitements. Mais rien n’est dit des moyens de contrainte — à l’échelle européenne ou locale — pour obliger les firmes à mettre à disposition suffisamment de produit pour traiter tous les malades résistants ou en échappement thérapeutique.
transparence
Une banque de données sur les médicaments accessibles au public doit être constituée offrant, en complément du rapport d’évaluation (EPAR) et du résumé des caractéristiques du produit déjà accessibles sur le site de l’Agence, la notice patient et les informations concernant l’étiquetage.
La publication des avis du Comité des Spécialités Pharmaceutiques (CPMP), aussi bien négatifs que positifs, est prévue. L’industrie s’oppose pour l’instant au calendrier de publication qu’elle juge trop précoce ainsi qu’à la publication des avis négatifs. Ce n’est pas une surprise !
localisation institutionnelle de l’EMEA
L’EMEA reste rattachée à la Direction Générale Entreprise et non pas à la Direction Générale Santé et protection des consommateurs. Il faut y voir la combinaison de la force du lobby pharmaceutique et de l’absence de volonté politique.
pharmacovigilance
Les procédures de pharmacovigilance vont être renforcées, en étroite coopération avec les systèmes nationaux afin d’accroître leur efficacité. Mais on reste dans un système de notification, d’alerte. Aucun dispositif prospectif qui permettrait d’évaluer les effets secondaires sur le long terme, d’apprécier la qualité de la vie, d’anticiper les problèmes et d’y remédier, n’est introduit.
renouvellement quinquennal
Le renouvellement quinquennal est supprimé : la durée de validité d’une AMM communautaire sera illimitée (à condition de commercialiser dans les deux ans après obtention). C’est l’occasion manquée d’obtenir de la part des firmes des études de phase IV. L’affirmation de la nécessité d’une réévaluation du rapport bénéfice / risque ne doit pas tromper : elle ne se fera qu’au vu des données de pharmacovigilance de notification régulièrement actualisées et des études cliniques présentes.
L’industrie était formellement opposée au renouvellement quinquennal ; elle tire un bénéfice certain de sa suppression — notamment financier — sans que des contreparties lui ait été imposées.
publicité
Dans son rapport, la Commission fait l’amalgame entre information et publicité. Elle envisage, pour les médicaments sur prescription, de permettre la publicité auprès du grand public au nom du droit à l’information revendiqué par les patients et de la généralisation des nouvelles technologies de l’information. Cette approche entretient la confusion entre des objectifs de profit et des objectifs de transparence.
Le contrôle réduit de l’industrie se trouve face à une demande de plus en plus appuyée des laboratoires : ils veulent, comme aux USA, imposer la publicité sur leur produits. Or, pour l’instant, la publicité dans le domaine du sida, et de l’asthme, est interdite. On sait à quel point le marketing des laboratoires se fiche des recommandations médicales. On promet n’importe quoi. On nous dit, par exemple, que le Sustiva est bien toléré alors qu’il a rendu plus ou moins folles des personnes de notre entourage. Il faut refuser à l’industrie la possibilité d’ouvrir la porte vers une communication que nous ne pourrons plus, ensuite, contrôler.
en conclusion
Il était inévitable que les autorités européennes se penchent sur une certaine uniformisation de l’accès des traitements dans les divers pays de l’Union. Mais ces décisions, si elles sont extrêmement complexes, ne vont pas assez loin. On voit ici la puissance grandissante du lobby de l’industrie pharmaceutique. Fragilisé dans les pays en voie de développement, cette industrie met toute la pression sur l’Europe pour se garantir un contrôle a minima de ses produits. On sait qu’il est très difficile d’établir, au niveau européen, des mesures que certains pays ne peuvent pas appliquer. La pharmacovigilance, par exemple, est bien souvent défaillante, il est essentiel et important qu’elle devienne prospective.
Toutes ces propositions ont fait l’objet d’une vaste consultation de toutes «les parties intéressées». Il apparaît à l’évidence que la voix de l’industrie pharmaceutique a été prépondérante au détriment de celle des 15 organisations de consommateurs et des 134 associations de patients également consultées. Dans ce contexte, on peut se demander quel sera le réel pouvoir des représentants de patients au Conseil d’Administration de l’EMEA et s’ils ne sont pas envisagés comme un simple alibi.