Deux ans avant son autorisation de mise sur le marché (AMM), le laboratoire Schering Plough vantait déjà sur toute la planète l’arrivée de son traitement miracle contre l’hépatite C : le PEG interféron. De grandes opérations marketing vers les médecins et les hépatologues ont été mises en place afin de garantir une juteuse opération financière, sans précédent dans l’industrie pharmaceutique. En effet, nous ne faisons face aujourd’hui qu’aux premières conséquences de l’épidémie d’hépatite C. En France, selon le Ministère de la Santé, il y aurait eu environ 5 000 morts en l’an 2000.
contre effet
Ce traitement, très lourd à supporter pour un tiers des patients, et impossible sur la durée pour 20%, ne permettra pas d’enrayer, en terme de décès, la crête de l’épidémie , prévue selon les spécialistes entre 2005 et 2015. En effet, à peine plus de la moitié des patients répondent favorablement à ce traitement, quand ils arrivent à le prendre sur toute la durée prévue (6 ou 12 mois). Pourtant certains médecins continuent à jouer les avocats du diable en annonçant qu’il y a 80% de chance de guérison.
péguylé, c’est en Bretagne ?
Le PEG interféron a un avantage majeur sur l’interféron classique. Les injections se font une fois par semaine au lieu de trois, ce qui facilite les prises mais aussi le stockage et le transport. Hormis cet indéniable avantage, il est toutefois prudent de rappeler que le PEG n’a permis de meilleure chance de traitement que chez les patients ayant un virus VHC de génotype 1, et si possible une faible charge virale. Il s’agirait d’environ 50% des patients en Europe et aux Etats Unis.
Son usage est recommandé en association à de la ribavirine, une sorte de bithérapie. Or justement, Schering Plough a le monopole mondial sur la molécule ribavirine. Avant l’arrivée du PEG, ils ont donc vendu de l’interféron classique injectable et de la ribavirine en gélules sous un même pack : le Rebetron®. Prévenu de leur projet par des activistes américains, Act Up-Paris et le TRT-5 ont pu faire pression pour que ce pack ne soit pas autorisé en Europe, en vertu d’une loi qui empêche de vendre sous un même emballage deux traitements ayant des modes de prises différents. Mais aux Etats-Unis, il n’y a pas de loi équivalente pour protéger les patients des risques d’erreurs, les activistes n’ont donc pas réussi à imposer la vente séparée. Schering a pu ainsi régner en seul maître à bord, ignorant la concurrence des laboratoires Roche.
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En effet, contre l’hépatite C, Schering fabrique de l’interféron alfa-2b, et Roche de l’interféron alfa-2a. Ces deux molécules ont des réponses et des effets secondaires semblables.
Lorsque ces deux laboratoires ont mis au point leurs PEG, ils n’ont pas utilisés les même techniques de «pegylation» et donc les deux PEG ne sont pas de même nature. Pégyler un produit consiste à rajouter du monométhoxy-polyéthylène-glycol (ou peg) à un médicament, ce qui permet d’en ralonger la durée du principe actif dans le sang (ou demie vie). Le PEG de Roche s’appelle le Pegasys® et celui de Schering, le Viraféron-PEG®.
Les taux de réussite obtenus dans les essais sont équivalents, même si il faut noter une supériorité du Pegasys pour les patients en pré-cirrhose et quelques effets secondaires différents mais tout aussi fréquents qu’avec le Viraféron-PEG (ou PEG-Intron® aux Etats-Unis). Schering voyant venir un produit concurrent inquiétant à décidé d’employer tous les moyens nécessaires pour garder le monopole du marché américain, n’hésitant pas à obliger la plupart des pharmacies centrales des hôpitaux américains préparant eux même de la ribavirine pour quelques patients à y renoncer. Ils ont également laissé Roche en 1999, annoncer la sortie prochaine de leur propre ribavirine, pour racheter ensuite le laboratoire indépendant qui devait sous-traiter la fabrication pour Roche et annuler leur projet.
qui va gagner quoi ?
Le PEG-Intron a obtenu une AMM en monothérapie aux Etats Unis en février 2001. A la rentrée, c’est en association avec la ribavirine que l’AMM a été gagnée. Soi disant afin de prévenir une éventuelle rupture de stock, Schering-Plough US a en fait voulu «évaluer» le nombre réel de patients traités par PEG-Intron et l’évolution de la demande, qui a fait suite à l’AMM de la bithérapie. En s’y prenant après coup, il fallait donc les grands moyens.
Ils ont commencé courant octobre 2001 à demander à tous les patients de bien vouloir s’inscrire auprès du laboratoire dans le cadre du Programme de garantie d’accès à un traitement PEG-Intron (PEG-Intron Assurance Access Program®). Pour ce faire il fallait remplir un questionnaire comprenant nom et prénom, adresse téléphone, disponibilité de présence, un rapide historique de santé, date de naissance, genre et poids, date de début du traitement et date de chacune des prises de traitement, et bien évidemment le nom et les coordonnées du médecin traitant, comme si il s’agissait d’un essai thérapeutique «officiellement déclaré». Evidemment au bas de ce questionnaire une signature autorise le laboratoire à utiliser ces informations. Le patient reconnait alors abandonner toutes poursuites pour le caractère privé de ses informations.
Ceci a été possible car la tournure du texte parle de «demande de participation volontaire à un programme des laboratoires Schering Plough». Le laboratoire alors peut librement prendre contact avec les patients afin de «vérifier si ces données sont toujours valides» et, au passage, les «informer» qu’il y a tel et tel essai thérapeutique fait par le laboratoire. Mais s’ils sont intéressés par ces essais, ils doivent répondre à un autre questionnaire médical beaucoup plus détaillé. C’est seulement une fois que toutes les données médicales complètes ont été collectées, qu’est remis au patient un numéro confidentiel d’identifiant lui permettant de pouvoir bénéficier du traitement.
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Aucune garantie n’est donné par Schering Plough concernant l’utilisation de ces données privées. En effet ils prétextent qu’elles sont gérées indépendamment par un administrateur spécialisé, Mc Kesson. Seulement dès qu’un patient prend contact par téléphone avec ce cabinet, la communication est passée à un représentant du marketing de Schering Plough. Faut-il leur rappeler qu’un laboratoire ne peut pas entrer directement en contact avec des patients sans un intermédiaire, médecin, pharmacien, administration, association … selon les accords internationaux d’Helsinki concernant le développement et la vente de traitements pharmaceutiques ?
Les patients inscris sur cette liste et ayant un numéro d’identifiant valide se voient remettre au maximum quatre doses hebdomadaires de PEG pour une ordonnance d’un mois maximum. Mais il ne peuvent prendre la réserve de traitement mensuelle suivante que trois semaines après cette date de délivrance. Les activistes américains se sont plaint que certains patients aient du attendre une dizaine de jours pour que leurs traitement leurs soient remis malgré une ordonnance.
Il faut savoir que comme pour toute infection virale, une rupture de traitement peut être l’occasion d’une remontée de charge virale, diminuant les chances d’efficacité ou de succès de traitement, sachant que la durée totale de ce traitement ne peut pas être étendue au vu des risques d’effets secondaires longs termes. Pourtant certains hépatologues disent qu’il y aurait peu d’incidence à supprimer une dose hebdomadaire au cours d’un traitement. Les différences de réponse significatives n’apparaitraient qu’à partir d’une période de deux semaines sans traitement.
quand l’armée s’y colle
L’Administration des Vétérans, assurance des militaires américains à la retraite, la plus nombreuse association de malades VHC américains, a immédiatement demandé à tous ces adhérents de refuser de s’inscrire à de tels programmes. Ils ont exigé de leurs systèmes de santé de contourner les lois fédérales et de protéger la confidentialité de leurs adhérents. Ils ont diffusé des informations sur les autres possibilités de traitement que le PEG. Evidemment Schering a dû céder face à leur puissance politique. Schering Plough leur remet donc chaque mois sur simple demande de nouveaux numéros d’identifiant pour chaque nouveau patient adhérent de l’administration des vétérans, et ce sans aucun questionnaire d’aucune sorte. Comme quoi, il vaut mieux avoir ses adhésions associatives à jour…
écoeurement
A ce jour, la FDA (Food and Drug Administration, agence du médicament aux Etats-Unis) n’a donné aucune reconnaissance officielle à ce programme contrairement à ce que disent les représentants de Schering au téléphone. Ce programme a été mis en place par le laboratoire sans demander l’accord ou l’avis d’aucun représentant des professionnels du système de santé américain (pharmacien, assurance, mutuelle ou distributeur). Une réunion de mise au point sur ce sujet a eu lieu le 12 décembre 2001, dans les bureaux de la FDA, au comité consultatif sur les traitements antiviraux.
Le PEG étant disponible depuis février, le laboratoire connaissait donc l’état de la consommation et pouvait estimer que la demande allait être forte lorsque l’AMM pour l’utilisation en bithérapie avec la ribavirine serait accordée. Et pourtant, ils n’ont rien fait, rien anticipé pendant plusieurs mois et ils justifient aujourd’hui ce programme par l’urgence de la situation.Et leur cynisme a atteint son paroxysme le15 janvier 2002, lorsque Schering Plough a daigné annoncer officiellement qu’ils créaient une «liste d’attente» pour les nouveaux patients qui, on l’espère, pourront peut-être attendre jusqu’à leur prescription de PEG interféron.
des réactions à chaud
Jay Siegel, directeur du bureau des recherches thérapeutiques de la FDA, a reconnu le risque de violation de la vie privée, et déclaré «qu’il allait prendre toutes les mesures afin de s’assurer de la bonne disponibilité des traitements». Robert Consalvo, le porte parole local de Schering Plough déclarait, quant à lui «ne pas être au courant de tels problèmes de distribution de médicaments puisque plus de 90% des prescriptions sont honorées dans les trois jours».
Mais Schering Plough a déclaré qu’environ 60.000 patients ont signé, 60.000 patients sont donc sous traitement à base de PEG. 10% c’est environ 6.000 personnes qui doivent attendre plus de trois jours leur traitement. Comme ils disent, il s’agit d’ajuster en temps réel la production face à la demande. Un représentant de Schering a même osé expliquer en ces termes : «Vous ne pouvez pas attendre de Schering Plough, que nous développions des traitements pour qu’ils reposent sur l’étagère».
en France aussi, on attend
Un article de loi impose aux pharmacies des hôpitaux de maintenir une gestion autonome et équilibrée pour chacune d’entre elles, quitte à improviser. L’outil crucial qui avait fait ses preuves avec 15 ans de VIH se voit aujourd’hui contraint a de la comptabilité sans que tous les moyens nécessaires aient été prévus à cet effet.
Le Viraféron-PEG coûte environ 1.200 € par mois et la ribavirine environ 900 €. Il s’agit donc d’un traitement mensuel par bithérapie qui coûte environ deux fois et demi le SMIC net TTC à la sécurité sociale. La gestion des pharmacies centrales a donc explosé très rapidement imposant à chacun de se débrouiller pour trouver soit un excellent comptable, soit des solutions radicales mais efficaces. C’est pourquoi le pharmacien de Valence a tout simplement décidé de refuser d’honorer les prescriptions de PEG puisqu’il dépassait son quota financier. Il a bloqué la situation pendant plus d’un mois. Il a fallu tout ce temps pour que le laboratoire Schering Plough France, le Ministère de la Santé, la Direction Générale de la Santé, le Ministère des Finances, la Sécurité Sociale et l’AFFSAPS trouvent une solution et que les traitements puissent être à nouveau remis aux patients de l’Hôpital de Valence. Mais c’est aussi grâce à la pression de la fédération SOS Hépatite et à son président Pascal MELIN qu’une solution a finalement été trouvée.
exigences
A la veille des Etats Généraux des 63 associations de malades des hépatites en France, le 20 et 21 janvier 2002 à la bourse du travail de Saint Denis, les malades trouveront-ils à qui parler ? Bernard Kouchner ne s’y rendra pas, étant retenu par son planning, pas plus que son premier conseiller, Dr. Brucker, pas plus qu’aucun responsable de la D.G.S. qui ont programmé ce même jour une réunion d’actualisation du prochain Plan National Hépatite C. Mais toutes les associations de malades vont se retrouver pour organiser, prévoir et agir.
En attendant, Act Up-Paris exige de Schering Plough et du gouvernement une réponse documentée et argumentée permettant de garantir à tous les patients actuels et à venir jusqu’en 2015, la totale disponibilité du PEG interféron en France, dans le total respect de la législation en vigueur.
Act Up-Paris attend de l’Etat la mise en place, dès aujourd’hui, d’un groupe de contrôle auprès de l’AFSAPPS, de la CNIL et de la Cour des Comptes, afin que puisse être prévenu a temps d’éventuelles ruptures de traitement ou mise en place et utilisation de fichier frauduleux par les laboratoires Schering Plough.